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La politique d’adaptation au changement climatique de la France à la lumière des expériences étrangère

Pendant longtemps, l’adaptation au changement climatique est restée un angle mort des politiques climatiques car militants et scientifiques craignaient que l’évoquer signifie renoncer à l’atténuation. En février 2023, lorsque Christophe Béchu annonce que la France envisage de s’adapter à un réchauffement climatique de +4°C à la fin du siècle, la sphère environnementale salue cette décision. En effet, la hausse des températures et l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des événements climatiques extrêmes ont fait du changement climatique une réalité tangible pour la majorité des citoyens. S’adapter est donc devenu indispensable. Une comparaison des politiques d’adaptation de différents pays permet de cerner les éléments-clés et les points d’amélioration pour construire ces politiques. 

 

Anticiper les aléas climatiques : l’intérêt de définir une trajectoire de réchauffement de référence

Définir une trajectoire de réchauffement permet de montrer les aléas climatiques auxquels un Etat va être exposé s’il suit cette trajectoire. Concrètement, il s’agit de choisir entre des hypothèses d’augmentation globale des températures plus ou moins pessimistes, ce qui, en creux, détermine l’intensité des impacts du changement climatique. Une fois le modèle climatique défini, certains pays produisent une analyse poussée des risques (Royaume-Uni, Japon, Allemagne), là où la France n’a pas mis en place d’étude de risques exhaustive.

Le choix de la trajectoire de réchauffement de référence est fondamentalement politique puisqu’il détermine le niveau d’effort de l’Etat et qu’une sous ou surévaluation des risques entraîne des coûts importants (investissements inutiles ou décuplés s’ils sont faits dans l’urgence). En comparant les trajectoires des pays étudiés, on peut distinguer les grandes questions auxquelles chaque pays doit répondre pour décider de son scénario de réchauffement :

  • Ce scénario doit-il être au cœur de la construction des politiques publiques ? En effet, la plupart des pays n’affichent pas avec clarté leur trajectoire de référence, à commencer par la Suède qui considère que c’est une approche “contre-productive”. A l’inverse, la France a fait de son scénario à +4°C le cœur de son discours politique en expliquant que le travail de modélisation piloté par Météo France permettait une analyse de risques plus spécifique.
  • Ce scénario de référence doit-il être l’un de ceux du GIEC ou s’adapter aux spécificités nationales ? En optant pour un scénario climatique à +4°C, la France considère un réchauffement global de +3°C. Or, cette trajectoire n’est pas exactement un scénario du GIEC même s’il se rapproche de son cas médian (SSP2-4,5), ce qui rend les comparaisons internationales plus complexes. C’est pourquoi les stratégies et plans d’adaptation nationaux intègrent de plus en plus les hypothèses du GIEC à l’image de Chypre et du Portugal qui travaillent sur ses trois scénarios principaux (SSP1-2,6 ; SSP2-4,5 ; SSP5-8,5).
  • Quel niveau de réchauffement adopte-t-on ? En choisissant une trajectoire de référence à +3°C au niveau mondial, la France déclare choisir une voie “pessimiste”. Néanmoins, le choix des mots est très politique car ce scénario est en réalité très proche du narratif médian du GIEC (SSP2-4,5) qui considère que les Etats vont faire ce qu’ils se sont engagés à mettre en œuvre d’ici 2030 (sans avancées ni reculs significatifs). Ceci n’a rien d’évident étant donné le climat politique mondial. En comparaison, lorsque l’Autriche, l’Espagne ou les Pays-Bas envisagent des scénarios “pessimistes” ils se réfèrent aux pires trajectoires du GIEC (SSP5-8,5).
  • Combien de scénarios sont étudiés ? Si la France a défini un scénario climatique unique, la plupart des pays produisent des études de risques pour différentes hypothèses. Ainsi, l’Italie a produit des études de risques à partir des trois principales trajectoires du GIEC (SSP1-2,6 ; SSP2-4,5 ; SSP5-8,5) et l'étude de risques britannique propose de s’adapter à +2°C et d’étudier les risques à 4°C afin d’évaluer le pire.

Traduire ces aléas climatiques en enjeux spécifiques à chaque territoire

Une fois modélisés les aléas climatiques susceptibles de se produire, il faut analyser les caractéristiques sociales, économiques et géographiques du territoire afin de qualifier le risque. Cette territorialisation des aléas permet de savoir quels enjeux seront affectés, que ce soit en termes de santé et de sécurité des populations, de continuité des services publics ou encore de résistance des infrastructures. Or, les données fournies par les services climatiques - type Météo France - sont souvent soit trop simplifiées pour réaliser une étude précise, soit trop difficiles à manier pour les non-experts, d’où un grand besoin d’ingénierie dans ce domaine. Les Etats suggèrent souvent, voire imposent, la réalisation de plans à des échelles subnationales mais sans nécessairement apporter d’outil dédié ou d’accompagnement.

Ensuite, il s’agit de qualifier la sensibilité du risque en déterminant le degré auquel l’activité (services de soins ou scolaires) ou l’infrastructure (routes, chemins de fer) impactée est jugée essentielle. Ce type d’arbitrage, profondément politique, est de plus en plus commun dans le domaine de la gestion de l’eau en période de canicule. Pour mieux gérer les conflits d’usage, l’anticipation est indispensable. Pourtant, les politiques d’adaptation ne prennent que rarement en compte ces enjeux. Certes, les acteurs privés (gestionnaires de réseaux électriques ou de transports par exemple) jouent un rôle fondamental pour déterminer les infrastructures critiques mais ce travail gagnerait à être coordonné par le Gouvernement et réalisé dans chaque périmètre ministériel, en s’appuyant sur une démocratie locale pour embarquer les citoyens au niveau de leur bassin de vie.

Enfin l’adaptation face aux risques doit distinguer le stock existant et le flux. Pour les nouvelles infrastructures et activités, qui forment les flux d’investissement, l’enjeu est de s’assurer qu'elles soient adaptées au niveau de réchauffement futur auquel elles seront confrontées. Pour traiter ce flux, le Canada a fait office de pionnier en procédant, dès 2016, à un référencement des normes existantes et en identifiant une centaine dont la révision urgente était préconisée. Pour les infrastructures déjà en place, il importe de réaliser des stress-tests au regard de plusieurs hypothèses pour tester la résistance des infrastructures de transport, la capacité des bâtiments à conserver le confort d'été ou encore la capacité des canalisations à évacuer de grandes quantités d’eau en cas de pluies diluviennes. Ces stress-tests sont ensuite à croiser avec la durée de vie des infrastructures et des services concernés afin de limiter le surcoût en adaptant au sein d’un processus de rénovation. Cependant, les stress-tests restent les grands absents des politiques d’adaptation étudiées même si d’autres acteurs s’emparent de ces outils.

Cadrer sa politique nationale d’adaptation : des formats variés

De nombreux pays européens ont désormais inscrit l’adaptation au changement climatique dans leur loi, ce qui donne une nature contraignante au texte. En France, contrairement à la Stratégie nationale bas carbone prévue par les textes législatifs et adoptée par décret, le PNACC ne fait pas l’objet d’un texte réglementaire. Dans une période où les recours juridiques se multiplient, cette distinction fait une sérieuse différence car la France ne pourra en théorie pas être tenue responsable devant un juge pour ne pas avoir atteint ses objectifs d’adaptation. A l’exception de la Hongrie, dont la loi remonte à 2007, la plupart des textes législatifs concernant l’adaptation ont été adoptés au cours de ces cinq dernières années, dans un contexte où les COP climat ont mis l’accent sur l’adaptation au niveau international et où les effets concrets du changement climatique sont de plus en plus visibles dans nos vies. Cependant, aucune de ces lois ne fixe d’objectifs quantitatifs avec une vision long-terme sur l’objectif recherché. Ce sont des lois-cadres qui posent uniquement les principes des futures stratégies et plans d’adaptation du pays.

Les principaux domaines traités par les politiques d’adaptation sont globalement similaires. Ainsi, les enjeux de l’agriculture, de la forêt, des transports de l’énergie, de la gestion de l’eau, les enjeux sanitaires et de la protection de la biodiversité sont abordés par la quasi-totalité des stratégies. En revanche, le secteur assurantiel est rarement inclus (à l’exception de l’Espagne et des Pays-Bas) alors même qu’il est déjà l’un des plus impactés. En France, la moyenne du coût annuel pour les assurances est passée de 2,7 milliards d’euros en moyenne par an entre 2000 et 2008 à 6 milliards sur les quatre dernières années.

Si les stratégies d’atténuation en Europe envisagent presque toutes des perspectives à 2030 et 2050, les stratégies d’adaptation ont chacune des horizons temporels différents. La plupart des pays ne fixent pas d’horizon temporel à leurs politiques d’adaptation et lorsque c’est le cas, elles varient entre 2030 et 2050. Avec une “France à +4°C”, le Gouvernement français donne plutôt un horizon temporel à la fin du siècle, ce qui en ferait l’une des stratégies avec la perspective la plus lointaine. Certaines stratégies ont également un cycle de révision déterminé qui varient entre 4 et 10 ans selon les pays. En France, la fréquence de mise à jour du plan est proche de 4-5 ans mais elle n’est pas définie dans les textes. Ces variations d’horizons temporels et de rythmes de révision entraînent des difficultés à mettre en cohérence les politiques d’adaptation des Etats. Sur ce point, l’Union européenne pourrait aller plus loin que la seule Stratégie d’adaptation de l’UE publiée en 2023 en développant une législation spécifique qui donnerait de la cohérence aux politiques d’adaptation de ses Etats-membres.

Au regard des différentes politiques d’adaptation, le positionnement le plus efficace est de disposer d’une vision de long-terme, avec des points de passage à moyen-terme et un cycle d’évaluation/révisions de quelques années. La France, avec une vision long-terme et un solide processus de révision, pourrait avoir un positionnement de leader sur le sujet mais cette politique doit être sécurisée juridiquement pour ne pas être affecté par les remous politiques comme celui que le pays traverse actuellement.

Conclusion

Sujet émergent au sein des politiques climatiques, les enjeux de l’adaptation sont de plus en plus pris en compte par les Etats. La science climatique est très avancée dans les pays européens et principales puissances mondiales, et fournit les données précises des impacts anticipés. Les Etats doivent désormais structurer les processus permettant de passer des aléas climatiques annoncés aux risques concrets sur chaque territoire. Afin de ne pas rester un simple slogan politique, le PNACC français devra intégrer un véritable travail d’inventaire des vulnérabilités, de qualification des risques par des stress-tests et d’identification des infrastructures et services les plus essentiels. Cependant, son caractère non-normatif le rendra sujet aux aléas politiques, dans une période où le rejet des contraintes environnementales se fait de plus en plus prégnant.

 

La Caisse des Dépôts, à travers l'Institut pour la Recherche, soutient les travaux de Terra Nova, think tank progressiste indépendant qui produit et diffuse des solutions politiques innovantes en France et en Europe.