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Premier secteur touché par les effets du changement climatique, l’agriculture française est aux prises avec des phénomènes météorologiques de plus en plus extrêmes. Tout un système agricole et assurantiel doit s’adapter.

 Les agriculteurs français restent encore mal assurés

C'est un fait : le secteur agricole français fait office de mauvais élève en matière d’assurances. Quand bien même les épisodes climatiques extrêmes se multiplient dans l’Hexagone, le lien d’interdépendance entre l’agriculture et l’assurance ne va pas de soi, et cela se remarque.

« Voyant les effets du réchauffement climatique qui touchent de plein fouet les agriculteurs, on ne peut plus laisser 70 % du territoire non couvert. Il y a un enjeu de souveraineté alimentaire à la clé », selon Bruno Lepoivre. Les différentes études concernant le changement climatique sont unanimes : la fréquence des phénomènes extrêmes devrait doubler d’ici à 2040. 

Les rapports d’anticipation établis par les compagnies d’assurances nous montrent que cela a déjà doublé depuis vingt ans.

Parallèlement à ce phénomène de non-assurance des exploitations françaises, on dénombre plusieurs dispositifs publics et privés. C’est par exemple le cas de l’assurance contre la grêle, qui existe depuis plus de cent cinquante ans et à laquelle 30 % des exploitants français ont souscrit, ou bien de l’assurance récolte, qui couvre la baisse de rendement d’une culture liée à l’impact d’un événement climatique. Citons également le dispositif public des calamités agricoles, qui a explosé en 2003 à la suite de la grande sécheresse.

Citation Bruno Lepoivre

Un secteur agricole en première ligne face aux effets du changement climatique

« Ce changement engendre un réchauffement et une instabilité climatique, avec des hivers plus doux, le printemps qui démarre plus tôt, et une floraison plus précoce. Un fort épisode de gel au mois d’avril, c’est une catastrophe pour à peu près toutes les cultures. Outre l’instabilité, l’imprévisibilité de ces événements climatiques va représenter une source de risques », poursuit Bruno Lepoivre.

Les territoires ne sont pas impactés de la même façon. Des départements comme la Charente et la Charente-Maritime, où les réserves d’eau sont quasi inexistantes, peuvent connaître désormais des épisodes de sécheresse intense. Ils sont d’ailleurs deux des endroits de France où le sujet des bassins de rétention d’eau pour l’arrosage des cultures est devenu central.

Comme l’agriculture, le secteur assurantiel est lui aussi fortement climato-dépendant. « Le métier d’assureur consiste à anticiper les événements et, compte tenu de l’imprévisibilité grandissante des phénomènes météorologiques, c’est tout le secteur qui doit se réinventer.»

Assurance et agriculture doivent se mettre en mouvement

Ce nouveau paradigme dans lequel sont plongés à la fois les assureurs et les agriculteurs nécessite de revoir le rôle de chacun. Un double mouvement doit être impulsé. Les agriculteurs doivent prendre davantage conscience des risques que peuvent courir leurs exploitations face à un réchauffement et à une instabilité croissante du climat. Aujourd’hui, l’impact de ces événements sur leurs cultures peut aller d’une perte de rendement conséquente à un arrêt complet d’activité.

Les dernières années ont montré les limites du système actuel d’indemnisation des agriculteurs touchés par les aléas climatiques. Jusqu’ici, l’assurance privée rencontrait des difficultés à se développer du fait de l’intervention de l’État au travers du dispositif de calamité agricole et d’assurance récolte. C’est donc bien l’articulation entre deux systèmes d’assurance, d’un côté le public, de l’autre le privé, qu’il faut repenser. Le projet de loi du 2 mars 2022 portant la réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture, voté par l’Assemblée nationale et le Sénat, va dans ce sens. Grâce à un long travail de concertation, cette loi clarifie et actualise le dispositif existant : « Les premiers pourcentages de perte, c’est l’agriculteur qui les assume ; ensuite, c’est l’assurance qui intervient entre 20 et 50 % de perte et, au-delà, c’est l’État qui s’en charge », explique Bruno Lepoivre.

Si la France prend la bonne direction pour relever le défi du changement climatique, c’est sans doute en partie grâce à un écosystème agricole et assurantiel qui a l’habitude d’échanger et de se concerter sur la gestion des risques. En la matière, le modèle européen à suivre est sans nul doute celui de l’Espagne. Dès 1978, le pays vote la loi sur la résilience en agriculture. « La France a le climat de l’Espagne à la fin des années 1970. C’est inspirant, et cela nous donne des pistes pour les solutions à venir.»

Malgré ces avancées, la seule adaptation des dispositifs d’assurance ne suffira pas. Il faudra en parallèle réduire les sinistres en amont en les prévenant. À ce titre, des filets paragrêle commencent à se développer dans les vignes, et des solutions de panneaux photovoltaïques modulables peuvent sauver des cultures entières. Ces méthodes expérimentales sont encore à leurs balbutiements, mais ont le vent en poupe. « Vu ce qui nous attend, un énorme effort doit être consenti dans ce domaine. De nombreuses startups et instituts techniques s’y attellent et, en tant qu’assureur, nous allons promouvoir ce genre d’initiatives », conclut Bruno Lepoivre.

 

Aller plus loin

Cet article est tiré du mook Adaptez/adapter - Des solutions pour les territoires face au changement climatique publié par la Caisse des Dépôts en décembre 2022.

Analyses d’experts, retours d’expériences d'acteurs locaux, partages de bonnes pratiques… cette publication revient sur les huit grands enjeux (chaleur en ville, circuits courts et écologie industrielle, ressources en eau, moyenne montagne, érosion du littoral, forêt, modèles assurantiels,…) abordés lors du cycle de recherche sur l’adaptation au changement climatique dans les territoires dirigé par l’Institut pour la recherche avec le concours de 5 think tanks : la Fondation Jean-Jaurès, la Fondation pour l’innovation politique, Terra Nova, La Fabrique Écologique et le Comité 21.