L’analyse des données énergétiques existantes, en particulier les données électriques, est déterminante pour adapter nos modes de production et de consommation d’électricité. Dans une note publiée le 13 mars dernier[1] La Fabrique Ecologique analyse la façon dont les pouvoirs publics peuvent encourager l’évolution des pratiques et les décisions des acteurs – ménages, entreprises et collectivités - à partir des données sur l’électricité disponibles.

La décarbonation de notre consommation d’énergie s’appuiera notamment sur une sobriété dans les usages, l’électrification de beaucoup d’entre eux et une production d’électricité qui s’oriente vers une dualité entre le nucléaire et des ENR au développement rapide. La contribution de l’électricité à la consommation d’énergie en 2050 devrait ainsi se situer légèrement au-dessus de 50%, deux fois plus qu’aujourd’hui. Notons au passage que cela laissera encore une large place à d’autres formes d’énergie finale, comme le gaz, les carburants liquides ou le bois-énergie. A cet égard, la biomasse devra être fortement mise à contribution comme source d’énergie[2].

Cette montée en puissance de l’électricité, et plus largement la mise en œuvre de tous les objectifs des politiques énergétiques, résulteront in fine des décisions d’une multitude d’acteurs : producteurs, fournisseurs, gestionnaires de réseaux de transport et de distribution, collectivités territoriales et bien sûr entreprises et particuliers. Et tous ont besoin de données pour s’adapter.

Des données pour les acteurs de la transition

Quelles sont ces données sur l’électricité utiles aux acteurs de la transition, qui les produit et avec quels objectifs ?

ll s’agit essentiellement des données sur les réseaux et des données locales de consommation et de production fournies par les gestionnaires de réseaux de transport (RTE) et de distribution de l’électricité (Enedis et les 116 entreprises locales de distribution). Ces gestionnaires de réseaux se trouvent placés au cœur du système électrique, entre les producteurs en amont, et les fournisseurs et les consommateurs en aval (particuliers, entreprises, collectivités). Ils recueillent des données pour tout le monde. Déjà pour eux-mêmes, ne serait-ce que pour gérer les réseaux en temps réel et veiller à l’équilibre permanent du système électrique ; mais aussi pour planifier leur adaptation, dans un contexte où les réseaux se complexifient avec notamment l’arrivée de multiples producteurs locaux d’énergie renouvelable, y compris des particuliers.

Ils mettent à disposition, comme la loi leur fait obligation, de multiples données de consommation et de production locale qui vont permettre aux différents acteurs de prendre des décisions éclairées : des données fournies « sur demande » au consommateur ou au producteur intéressé, et des « données ouvertes » sous forme agrégée (open data), mises à disposition de tous les publics sur leurs sites internet et de plus en plus par l’intermédiaire de plates-formes mutualisées entre eux (y compris parfois avec les gestionnaires des réseaux de gaz) où elles sont associées à des données géographiques. Tout ceci est bien sûr juridiquement très encadré, pour protéger le secret des affaires des entreprises et la vie privée des particuliers.

Des données utiles à la planification

La loi a confié d’importantes responsabilités aux collectivités territoriales pour la planification énergétique : notamment l’élaboration des SRADDET[3] aux régions, des PCAET[4] aux intercommunalités, et plus récemment le zonage de la production renouvelable aux communes dans le cadre de la loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables (loi APER de 2023). Ces collectivités sont donc particulièrement demanderesses de données pertinentes sur la situation énergétique locale.

En réponse à leurs besoins, les gestionnaires de réseaux, seuls ou associés à d’autres organismes nationaux ou régionaux, ont développé des plateformes avec des outils spécifiques dédiés, pour les aider à construire des politiques cohérentes, notamment en matière d’installations de production d’ENR (lieux et capacités de raccordement au réseau, contraintes réglementaires, etc.) ou encore sur des questions particulières importantes pour elles comme la lutte contre la précarité énergétique.

En parallèle, en se tournant cette fois du côté des producteurs d’énergies renouvelables, on peut réduire les coûts et les délais de développement des projets et améliorer leur planification en simplifiant les outils de mise à disposition des données sur le réseau électrique et l’environnement.

Des données utiles pour la flexibilité du système électrique

Pour comprendre comment les autres acteurs, notamment les fournisseurs et les consommateurs, pourraient utiliser les données électriques dans cette nouvelle donne de la transition, il faut d’abord examiner les enjeux auxquels est confronté le secteur électrique dans son ensemble. Il est promis d’ici 2050 à une expansion forte par les nouveaux usages (pompes à chaleur, véhicule électrique, etc.) et à une décarbonation quasi totale grâce à la montée en puissance des énergies renouvelables. La sobriété reste indispensable, notamment pour limiter les investissements lourds dans les infrastructures et leurs impacts environnementaux.  Défis considérables ! Mais de plus, les productions éolienne et solaire n’étant pas « pilotables », un enjeu essentiel pour les décennies à venir consistera à assurer la flexibilité du système, pour faire correspondre à tout moment l’offre et la demande d’électricité, tout en limitant les coûts économiques et écologiques correspondants. Les solutions de stockage sont limitées (stations de pompage hydrauliques) ou chères et très consommatrices de métaux (stockage électrochimique par batteries). Le recours à d’autres formes d’énergie « stockables » (gaz renouvelable, biomasse…) est une option complémentaire, économiquement intéressante mais probablement limitée à la gestion des pointes de consommation d’hiver.

Tous les consommateurs (ménages, entreprises, collectivités) seront ainsi incités à maîtriser leurs consommations d’électricité : les quantités consommées mais aussi désormais le moment où interviendront les appels de puissance. Notons bien qu’on ne parle plus simplement d’effacement, qui est un moyen de « rogner » les plus fortes pointes de consommation en hiver, mais d’une flexibilité généralisée toute l’année et tous les jours pour faire davantage correspondre les consommations et les productions. Or, la recharge des véhicules électriques (qui sont des objets communicants) et le pilotage fin du chauffage de locaux bien isolés par des outils bientôt obligatoires) ouvrent pour l’avenir de grandes possibilités de flexibilité. Les entreprises, notamment les bâtiments du secteur tertiaire, et les ménages y trouvent un intérêt. Ces derniers devraient donc être incités à piloter ces deux usages par des tarifs « dynamiques » proposés par leurs fournisseurs, tenant compte de l’état réel du réseau, ce qui est possible à partir des données disponibles sur les compteurs Linky. Ces tarifs devront viser des personnes volontaires, être simples à comprendre et protecteurs pour ces consommateurs. Le compteur Linky permet de proposer au maximum une dizaine de niveaux tarifaires que le fournisseur associerait, la veille pour le lendemain, à des plages horaires prédéterminées, rendant d’autant plus obsolètes le système HP/HC (Heures pleines/heures creuses), où les tarifs sont les mêmes tous les jours à heures fixes, et le tarif Tempo aujourd’hui proposé par la seule EDF.

Une telle prise en compte de la flexibilité de la demande d’électricité par les consommateurs permettrait de minimiser le recours au stockage, de pallier partiellement la variabilité de la production des énergies éolienne et solaire et ainsi de limiter la volatilité des prix. En consommant au moment où l’électricité est peu chère et décarbonée, on limite les coûts du système électrique, avec un intérêt collectif, économique et environnemental. La répartition de la valeur ainsi apportée par la flexibilité au système devrait être régulée sous le contrôle de la CRE (Commission de régulation de l’énergie), en réservant une juste part de cette valeur aux consommateurs volontaires, qu’il convient de protéger efficacement par l’association des représentants des consommateurs à la démarche.

Trois priorités sont donc essentielles pour l’avenir :

  1. Considérer la montée en puissance quantitative et qualitative du système de gestion du réseau et des outils et plateformes de données électriques comme un véritable investissement d’intérêt général et veiller à leur utilisation optimale ;
  2. Encourager les fournisseurs d’énergie à proposer à leurs clients des « tarifs dynamiques » adaptés à leurs données de consommation, accompagnés de moyens techniques de programmation et d’une assistance pour qu’ils puissent en tirer le meilleur parti, sous le contrôle de la CRE ;
  3. Mobiliser les moyens de communication, notamment publics (ADEME, ANAH, CRE, RTE, ENEDIS, etc.) pour sensibiliser les consommateurs aux besoins de flexibilité du système électrique, aux solutions techniques et contractuelles disponibles et aux garanties associées en matière de protection des données et d’équilibre des contrats.
 

[1] « Electricité : les données au service de la transition », La Fabrique Ecologique, mars 2023

[2] « Les bioénergies : quelle place dans la transition énergétique ? » - La Fabrique Ecologique, décembre 2023

[3] Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires

[4] Plan climat air énergie territorial

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