cicéron
c'est poincarré
Crédit ©L'économie en infographie - Gaël Étienne
A l’occasion des 100 ans de la journée mondiale de l’épargne le 31 octobre dernier nous vous proposons deux articles relatifs à l’épargne.
Le premier, présente ici les principaux déterminants de l’épargne des ménages avec un regard historique.
Le second, publié prochainement, analysera la persistance d’un taux d’épargne élevé depuis quelques années, au regard de la moyenne historique ou du niveau qui devrait prévaloir au regard des déterminants historiques.
L’épargne des ménages est la part de leur revenu disponible (revenus du travail, du capital, prestations sociales reçues, le tout net des impôts versés) qui n’est pas utilisée en dépense de consommation. L’épargne est donc un flux, au même titre que la consommation, le taux d’épargne est relatif à ce flux. Les placements financiers, même ceux non rémunérés (liquidités, compte courant) et les remboursements de crédit sont des vecteurs de l’épargne (cf. bilan de l’année 2023 dans le billet : « Épargne des ménages, placements financiers : de nouveaux équilibres en 2023, avant de nouvelles tendances à moyen terme », février 2024). Le stock d’épargne est la somme de l’épargne passée : il constitue le patrimoine des ménages.
Graphique 1
Taux d’épargne des ménages
(en % du revenu disponible brut)
On note plusieurs tendances historiques relatives au taux d’épargne :
L’évolution du taux d’épargne découle directement de l’évolution de la consommation relativement à celle du pouvoir d’achat (revenu disponible brut déflaté des prix à la consommation, Graphique 2).
Graphique 2
Evolution de la consommation des ménages, du pouvoir d’achat et du taux d’épargne
La modélisation économétrique présentée est la mise en équation du comportement de consommation, corollairement au comportement d’épargne des ménages. L’économétrie permet de dégager les grandes relations historiques moyennes entre la consommation (donc l’épargne) et les déterminants d’influence identifiés par la théorie économique. Cette mise en équation a des limites : c’est la consommation « globale » qui est concernée (des ménages, pas celle de tous les ménages), elle ne retient par construction que les effets « moyens » qui sont « statistiquement significatifs » sur tout l’historique (faisant fi des évènements temporaires) et des déterminants chiffrables… bref, la modélisation devra toujours être complétée par plusieurs modèles d’une part (ex : autre vision théorique, statistique, historique, voire vision microéconomique…), et des éléments qualitatifs (dire d’expert) d’autre part. Le modèle donne une base de réflexion, un point de repère comme proposé ici : l’art de la modélisation n’est pas suffisant en soi pour analyser l’économie.
Nous modélisons la consommation des ménages dans une équation simple à correction d’erreur : cela permet de modéliser de manière conjointe la dynamique de long terme (en niveau) et de court terme (en différence première) d’une variable donnée : le coefficient de la partie de long terme correspond à la vitesse à laquelle la variable considérée, ici la consommation des ménages en volume, revient vers sa dynamique de long terme, après une éventuelle déviation liée à un choc de court terme. La littérature est vaste : il existe de nombreuses fonctions de consommation, nous en présentons une utilisée classiquement (elle explique plus de la moitié de l’évolution de la consommation) et donne une bonne base de première analyse.
À long terme, nous imposons une relation unitaire entre la consommation totale en volume et le revenu réel (revenu disponible brut des ménages déflaté par les prix à la consommation) : cela suppose qu’à long terme, une hausse de 1 % du RDB réel des ménages (pouvoir d’achat) se traduit par une augmentation de 1 % de leur consommation. Cette relation unitaire revient à modéliser le taux d’épargne et à chercher à comprendre ce qui serait susceptible d’engendrer des modifications durables dans sa dynamique.
Sur la période d’estimation (début 1982 à fin 2020, estimation réalisée sur données définitives), apparaissent apporter une information dite significative en moyenne sur la période :
- à long terme, 3 facteurs :
- à court terme :
Des indicatrices représentant la crise Covid sont ajoutées à l’équation afin de capter l’effet du choc temporaire de la crise sanitaire sur la consommation des ménages.
Graphique 3
Evolution de la consommation des ménages
Le graphique des contributions à l’évolution de la consommation des ménages (graphique 3) illustre ainsi :
Une partie de l’évolution de la consommation, et donc de l’épargne, reste inexpliquée par le modèle (contribution de la variable « résidu »). On atteint ainsi les limites de l’économétrie qui ne prétend pas tout expliquer et de notre modèle, qui ne capte pas toute la variance de la consommation. Parmi les effets non captés par l’économétrie se trouve notamment les effets de structure du revenu, où se trouvent sans doute les effets du vieillissement démographique, les comportements différenciés de consommation entre les catégories de ménages, ainsi qu’un effet richesse négatif dû à l’érosion du patrimoine réel (évoqués dans le prochain article relatif à l’épargne).
Il ressort de notre modélisation la même conclusion que celles de nos confrères économistes : le niveau du taux d’épargne des ménages est anormalement élevé au regard du lien historique épargne-consommation et fondamentaux usuels. La baisse du taux de chômage, le lien historique entre déficit budgétaire et épargne, le niveaux des taux d’intérêt, de l’inflation… auraient dû, mis ensemble, aboutir à un taux d’épargne plus faible (donc à une consommation plus élevée). Le taux d’épargne s’établissait à 15,1 % du revenu en 2019, il s’établirait, selon l’Insee (lien) à 17,9 % en 2024. Ces 2,8 points supplémentaires d’épargne représentent, pour 2024, 52 Md€ de « manque à consommer », soit 1,8 point de PIB. Même si une partie de ce 1,8 point aurait en partie fuité en cas de dépenses, à l’extérieur, il reste qu’il y a quand même un manque à gagner significatif pour l’économie française et pour les recettes fiscales assises sur la consommation (la fiscalité sur l’épargne est majoritairement sur les plus-values, pas sur le stock : 100 euros consommés rapportent de la TVA, 100 euros épargnés ne rapporteront, pour simplifier, que sur les rendements). Dans un prochain billet, nous complèterons l’analyse en faisant un focus sur les raisons possibles à la persistance de cette sur-épargne, plus de 4 ans après la crise du Covid.
Enfin, notons que le terme « sur-épargne » est un terme que nous utilisons en comparant le taux d’épargne actuel relativement à son niveau historique ou au niveau théorique issue de la modélisation auquel il devrait se situer, et non au regard des équilibres macro-financiers : dans sa globalité, c’est-à-dire en intégrant les entreprises et l’État, l’économie française a insuffisamment d’épargne domestique relativement à ses revenus et besoins de financements, au point qu’un financement externe est nécessaire (c’est ce que traduit une balance courante déficitaire en France).