Temps de lecture
5 mn

Dans le secteur de la mobilité, la crise sanitaire que le monde entier traverse avec l’épidémie de COVID-19 s’est tout d’abord traduite, dans le cadre du confinement, par un exercice de « démobilité » imposé à l’ensemble de la population qui ne participait pas à des fonctions vitales pour le fonctionnement du pays.
D’une ampleur inédite à l’échelle de pays entiers, cet exercice avait pour but de réduire les interactions sociales, dans les bureaux, restaurants, commerces et lieux publics de tout type dont les transports en commun.

Des parts modales en évolution

A la faveur de la réduction du trafic automobile, le confinement a mené les habitants des villes et, dans une certaine mesure, des villages dans nos territoires à observer des pratiques de mobilité inédites où l’on pouvait voir vélos, trottinettes électriques et piétons, joggers compris, s’approprier largement la chaussée d’ordinaire principalement utilisée par automobiles et véhicules utilitaire.

Ce « dévoiement » de l’usage prévu par le code de la route de la chaussée a, toutes choses égales par ailleurs, constitué une solution pragmatique, gratuite et immédiate, pour permettre à tout un chacun de conserver des distances physiques suffisantes avec les piétons ou cyclistes qu’il pouvait croiser. Certaines préoccupations relatives à la distanciation physique des piétons et cyclistes ont toutefois commencé à poindre dans le cadre de modélisations réalisées par certains chercheurs sur la propagation d’aérosols chargés de virus ou bien tout simplement pour les piétons qui constataient une forte concentration de personnes pratiquant la course à pied dans les rues des villes.

Le déconfinement, qui a débuté mi-mai en France, a été marqué par un retour relativement rapide des flux de mobilité du quotidien, modulo le maintien de mesures de télétravail pour nombre de professions tertiaires ou la fin des années scolaires et universitaires. Toutefois, ce retour des flux de mobilité du quotidien ne s’effectue pas à parts modales constantes par rapport à la situation qui prévalait avant la crise sanitaire : 

 

  • la très grande majorité des métropoles et agglomérations constatent un redressement très lent de la fréquentation des transports en commun (de -85/80% par rapport à la situation pré-crise pendant le confinement à -50/40% environ courant juin), qui outre les mesures de télétravail peut s’expliquer également par une forme de phobie des actifs à l’encontre des transports en commun pour leurs trajets pendulaires quotidiens, par crainte d’une rupture des règles de distanciation sociale en cas d’affluence aux heures de pointe,
  • les mêmes territoires constatent une forte augmentation du trafic cycliste par rapport à l’an dernier (+35% 2 semaines après le confinement – données Vélos & Territoires),
  • le trafic piéton est également en redressement fort, même s’il reste pénalisé du fait de la moindre fréquentation des commerces et des centres-villes,
  • le trafic automobile a largement retrouvé son niveau d’avant crise COVID-19 : selon les statistiques publiées par Waze, il est même en croissance par rapport à l’an dernier de quelques pourcents à Paris ou dans des métropoles comme Bordeaux, marquant une forme de retour en force de l’autosolisme, avec son cortège de nuisances et son impact climatique.

 

Face à ces évolutions de parts modales, et afin d’éviter de décourager le recours au mobilité douces au profit de l’autosolisme, nombre d’agglomérations et métropoles ont d’ores et déjà décidé de procéder à des aménagements de voirie provisoires notamment pour augmenter la part de la chaussée dédiée aux pistes cyclables, créer des pistes cyclables là où elles n’existent pas ou encore réserver certaines rues aux vélos et piétons.

 

 

« Pistes cyclables, oui, mais quid des piétons ? »

De tels aménagements apparaissent effectivement souhaitables et méritent d’être pérennisés, et sans doute d’évoluer dans la durée, afin de maintenir un niveau suffisant, voire d’augmenter la part des déplacements réalisés dans des modes doux ou décarbonés (transports en commun motorisés à l’électricité, l’hydrogène ou au bio-GNV, scooters électriques, vélo, EDPM, marche …) et limiter le poids de l’automobile dans les mobilités du quotidien.

Pour autant, ils ne constituent probablement pas le seul type d’aménagement de voirie à réaliser afin de rendre les métropoles, les agglomérations et le centre des centres-bourgs ou villages compatible avec des règles de distanciation sociale susceptibles de s’imposer dans la durée face à une menace épidémique lancinante : une part très significative des trottoirs de nos villes et villages ne permettent pas de maintenir une distance de sécurité sanitaire de 1m ou 1m50 entre des piétons qui se croisent. De même, les pistes cyclables posent difficulté potentiellement pour des questions sanitaires si elles ne permettent pas les dépassements entre vélo, notamment face à un trafic vélo soutenu aux heures de pointe dans les grandes agglomérations.

Enfin, les arrêts de transports en commun en surface (arrêts de bus ou stations de tramway / BHNS) posent souvent difficulté, compte tenu de l’aménagement de leurs accès ou abris par exemple, au plan du respect des règles de distanciation sanitaire, et ce alors même que les usagers des transports collectifs sont déjà inquiets de la promiscuité potentielle à l’intérieur des véhicules.

 

 

« Vers une gestion agile de la voirie urbaine »

Pour l’ensemble de ces raisons, il parait souhaitable que les collectivités en charge de la voirie (communes ou EPCI, en fonction des transferts de compétences), adoptent une « approche agile » face à l’évolution de l’aménagement de leur voirie : la seule certitude qu’elles peuvent avoir est que l’aménagement de la voirie va devoir continuer d’évoluer de façon significative, pour répondre aux enjeux de distanciation physique mais par la même occasion renforcer la part de l’espace public réservé aux modes doux ou décarbonés de déplacement, au détriment de la place consacrée à la voiture individuelle ou aux deux-roues thermiques.

Une telle « approche agile » va reposer sur deux composantes principales :

 

  • à titre d’élément clé d’aide à la décision sur les évolutions nécessaires de l’aménagement de la voirie, une capacité de mesure des flux de mobilités de tous modes, grâce à des capteurs de type boucles de comptage, caméras vidéos ou traces numériques anonymisées des téléphones mobiles, … telles que celles proposées par des acteurs tels que Geo4cast ou Mytraffic ; de tels outils différents des méthodes traditionnelles (enquêteurs à domicile, sondages aux arrêts de bus, etc.) sont d’autant plus nécessaires que les personnes mobiles au quotidien vont traverser pendant une période a priori assez longue une phase de tâtonnement pour retrouver des modes de déplacements satisfaisant sur les plans de la durée de déplacement, du niveau de confort/charge mentale (ex. stationnement sécurisé des vélos), du coût, et de la perception de sécurité sanitaire,
  • une capacité de conception et de réalisation, dans la durée, de travaux d’aménagement de voirie dans un court délai avec une mobilisation la plus fluide possible, de l’ensemble des corps de métier nécessaires à la conception et l’exécution des travaux. Cela dans un planning resserré et optimisé, afin de limiter les nuisances liées aux travaux qui pourraient s’avérer contreproductives par rapport à l’objectif d’amélioration des conditions de déplacement au quotidien pour les piétons, modes doux et usagers des transports en commun. Ce besoin de mobilisation rapide et très coordonnée d’un ensemble de métiers techniques plaide pour le recours à des modes de réalisation reposant sur des contrats globaux (de type marché global de réalisation) voire mieux encore de délégation de maîtrise d’ouvrage (de type DSP ou marché de partenariat).

 

La Banque des Territoires peut jouer un rôle actif dans cette approche agile par une contribution, notamment pour les premières expérimentations en la matière, sous la forme d’un soutien en ingénierie amont (cofinancement des études ou prestations permettant de mettre en place la mesure des flux de mobilité tous modes dans un territoire urbain ou rural), mais également par la mobilisation de ses financements : Mobi Prêt pour les investissements réalisés en maîtrise d’ouvrage publique ou marché global, fonds propres et quasi fonds propres pour les investissements réalisés en délégation de maîtrise d’ouvrage, notamment dans le cadre d’un marché de partenariat.