A l’instar de l’internaute « humain » qui doit prouver qu’il n’est pas un « robot » sur un site Internet, le robot de cette petite BD dystopique doit prouver qu’il n’est pas un humain… Cette « intelligence artificielle » répond qu’il n’y a plus d’humains dans un grand éclat de rire… Heureusement, nous n’en sommes pas encore là ! Quoi que… S’il y a bien un sujet qui a le vent en poupe, alimente régulièrement les gazettes , et excite autant les politiques que  les organisateurs de conférences, c’est bien celui de l’IA. C’est un sujet qui fascine autant qu’il inquiète. Qui est caricaturé autant qu’il est complexe à définir. Qui semble offrir autant de promesses qu’il n’effraie par sa supposée puissance destructrice. Et l’Intelligence Artificielle s’immisce également même dans le sujet COVID-19 : modélisation du virus, prédictions de l’avancée de la pandémie, recherches de molécules pour contrecarrer le développement du coronavirus…
Alors, l’IA est-elle, comme le dit Woody Allen, « le contraire de la bêtise naturelle » ?

Il existe aujourd’hui beaucoup d’articles, de documents et de rapports sur l’IA,  mais curieusement le sujet a encore peu été abordé sous l’angle des collectivités territoriales.

Or c’est un sujet :

  • qui concerne de près les collectivités, leur fonctionnement, et leur « offre de services » demain
  • de transition numérique fortement associé à celui des données, notamment territoriales
  • où l’enjeu d’indépendance technologique, notamment vis-à-vis de grands acteurs nord-américains ou asiatiques, est fort
  • de souveraineté numérique pour la France

Aussi les collectivités territoriales doivent-elles être en mesure de saisir les opportunités de l’IA en en comprenant clairement les enjeux. A cet effet, la Banque des Territoires, mobilisée depuis de nombreuses années sur la question de la transformation numérique des territoires, a réalisé un Guide Intelligence Artificielle et Collectivités paru en décembre 2019. Son ambition ? démystifier ce qu'est l’IA aujourd'hui et répondre précisément aux questions que se posent les collectivités concernant cette rupture technologique majeures.

 

Tout d’abord de quoi parle-t-on ?

Il est important de ne pas utiliser des mots « valises » parfois vidés de leur sens et de bien commencer par définir de quoi l’on parle.

L’IA est l’ensemble des méthodes qui visent à faire effectuer par des machines des tâches nécessitant normalement une « intelligence humaine ». Une fois ceci posé, il reste encore à définir ce qu’est une intelligence humaine !

L’Intelligence Artificielle fait appel à un vaste corpus scientifique, mathématique, informatique et biologique.

Derrière ce sujet, on trouve aujourd’hui essentiellement ce qu’on appelle le « Deep Learning ». Le Deep Learning est un ensemble de méthodes d'apprentissage automatique tentant de modéliser avec un haut niveau d’abstraction des données, grâce à des architectures particulières (réseaux de neurones avancés).

On peut segmenter l’Intelligence Artificielle selon 3 natures d’usages différents

    • L’IA qui qualifie (compréhension du contexte) : traduire / décrire /synthétiser
    • L’IA qui apprécie (évaluation des alternatives) : détecter /prédire / reconnaître
    • L’IA qui agit (prise de décision) : automatiser / prescrire / générer
IA2

De quoi a-t-on besoin pour « faire » de l’IA ?

Après avoir défini, même succinctement, l’IA, se pose la question de ce qui est nécessaire pour que puissent émerger des projets l’utilisant.

Trois éléments sont indispensables pour pouvoir mettre en œuvre des technologies d’IA de façon large et développée :

  • Une grande puissance de calcul à des prix abordables
  • Une très bonne disponibilité de la donnée (à la fois en grand nombre et en qualité)
  • Une « alimentation » exponentielle du modèle mathématique pour avoir un effet auto-apprenant pertinent (les fameuses cases qui contiennent des chats ou des feux tricolores sur lesquelles vous devez parfois cliquer pour accéder à un site Internet)

Le « momentum » actuel autour de l’IA (et l’emballement autour de ses perspectives) s’explique par une levée des barrières progressive sur les trois points mentionnés ci-dessus.

Mais à ce stade, le potentiel reste encore largement bridé pour les mêmes raisons que celles qui expliquent son décollage, et cela s’applique particulièrement pour les collectivités territoriales :

  • La complexité des modèles reste encore importante et est un frein au développement des applications
  • La qualité de la donnée n’est pas encore au rendez-vous, et leur hétérogénéité rend leur exploitation souvent difficile
  • Les compétences restent rares
  • Les capacités techniques sont parfois encore insuffisantes

A ceci s’ajoute la question de la régulation, qui doit maintenant encadrer les « risques » et « dangers » potentiels de ces technologies, que ce soit sur les plans éthique ou juridique.

 

IA et collectivités territoriales : où en est-on ?

Il convient tout d’abord de noter que le contexte est plutôt favorable à l’arrivée de l’IA dans les collectivités territoriales

  • L’ouverture des données (consécutive à la loi pour une République Numérique) est de nature à favoriser la disponibilité de données territoriales, et comme on l’a vu ci-dessus, cela est une condition absolue
  • La maturité croissante des technologies et les investissements massifs des industriels amène « naturellement » des solutions sur le marché
  • Les politiques s’intéressent fortement au sujet et sont curieux de tester des solutions
  • L’IA pourrait amener des réponses concrètes à certaines problématiques : recherche d’efficacité et d’optimisation dans les processus métier, outils d’aide à la décision, prévention des risques, suivi d’activités sur la voie publique, relation citoyenne, etc.

A ceci s’ajoutent une vraie dynamique européenne (notamment grâce aux projets européens « AI4EU ») et une montée des appels à projets nationaux (depuis le rapport Villani)

 

Quatre grands constats ressortent à ce jour sur le développement de l’Intelligence Artificielle pour les collectivités :

  • Les initiatives restent timides à ce stade
  • Les utilisations actuelles de l’IA par les collectivités sont très similaires à celles du secteur privé et des entreprises et il n’y a pas de spécificité du secteur public
  • Les utilisations actuelles de l’IA sont très centrées sur la recherche d’efficacité opérationnelle et d’optimisation et non, pour le moment, sur l’émergence de nouveaux services révolutionnaires
  • Les projets concernent un champs très large de sujets et de compétences (mobilité, transport, relation citoyen, etc…)

 

Les principaux domaines spontanément mentionnés par les collectivités interrogées sont les suivants :

  • Prévention des risques, sécurité
  • Transports, mobilité, stationnement
  • Environnement

Viennent ensuite :

  • Relation citoyen et efficacité administrative
  • Aménagement du territoire
  • Urbanisme
  • Agriculture

 

Il est intéressant de mentionner quelques premiers projets illustratifs intéressants.

Le premier est un projet de reconnaissance d’occupation irrégulière des sols par la direction départementale des territoires et de la mer de l’Hérault. Ce projet vise à optimiser la lutte contre les bâtis, hangars, décharges sauvages, déboisement et constructions illégales dans les milieux sensibles. Il utilise une interface d’annotation des images satellites et aériennes permettant d’enrichir la base de données utilisée et des algorithmes IA de détection d’objets. Ainsi le nombre de contrôles terrain pertinents augmente.

Un autre projet concerne l’automatisation du suivi par vidéosurveillance par les ville de Nice et de Marseille. Il s’agit d’utiliser de la reconnaissance automatique de silhouettes, un envoi automatique de flux vidéo et une orientation des caméras via la reconnaissance de bruits. Ce projet n’est pas sans poser un certain nombre de questions sur la protection des données personnelles, mais il illustre bien le potentiel de ces technologies.

Enfin, un exemple classique d’utilisation de l’IA concerne les véhicules autonomes, comme ceux expérimentés par la Métropole de Rouen. L’IA est ici utilisée pour le traitement d’évènements aléatoires et la reconnaissance d’images.

 

Au-delà de ces quelques projets illustratifs, on notera que certaines régions françaises ont lancé des appels à projets autour de l’IA.

C’est par exemple le cas de la Région Ile de France et de PACA (programmes dédiés IA) mais aussi de l’Occitanie, de la Bretagne et du Grand Est (appels à projets plus larges mais avec une composante IA)

On le voit, il y a de nombreuses pistes d’application de l’IA pour les collectivités territoriales.

 

Quid des freins dans l’appropriation de l’IA par les collectivités ?

L’IA rencontre cependant pour le moment des freins dans son appropriation par les collectivités. Il s’agit de freins :

    • de nature technique
      • Il y a souvent un manque de disponibilité et de maturité de la donnée disponible. C’est le grand enjeu de demain pour les collectivités territoriales.
      • La transformation numérique interne de la collectivité n’est parfois pas complètement réalisée et cela se traduit par un retard dans leur informatisation et dans le recours aux applicatifs dans le cloud (mode SaaS)
    • liés aux compétences disponibles et aux craintes parfois légitimes sur un sujet éminemment complexe
    • liés à l’investissement
      • La tendance à investir en priorité dans des projets où la preuve de valeur est faite n’aide pas forcément l’émergence de projets plus prospectifs comme ceux-ci
      • Le code des marchés publics peut également parfois être non facilitateur pour des projets innovants, même si de nouveaux types de marchés viennent récemment changer la donne
    • liés à des questions fondamentales comme celles de l’équité sociale des algorithmes, du respect des libertés fondamentales, et de l’impact sur l’emploi

 

Comme on peut l’observer, le sujet de l’IA est un condensé de paradoxes. Face à lui, il ne faut ni être techno-béat, ni tomber dans l’excès inverse des peurs irraisonnées.

Le conseil, en toute humilité, peut tenir en quelques mots : ne pas chercher à renverser la table, ne pas faire de la technologie pour faire de la technologie, mais bien réfléchir aux besoins à satisfaire et aux problématiques à régler.

Ensuite, il s’agira de mobiliser les données, la puissance de calcul… et bien sûr, l’intelligence humaine dont on n’est pas prêt de se passer. C’est plutôt rassurant, non ?