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Crédit ©Blue Planet Studio / Adobe stock
Alors que le secteur industriel est aujourd’hui confronté à une hausse importante des coûts de l’énergie consécutive du conflit en Ukraine et des sanctions imposées à la Russie, de nombreux industriels sont contraints de restreindre voire d’interrompre la production dans les usines. En réponse à cette situation d’urgence, l’Etat a mis en avant le concept de sobriété énergétique et incite désormais les entreprises à baisser leur consommation d’énergie sans pour autant contraindre le niveau de production. Equation difficile à résoudre dans l’immédiat, cette nouvelle crise accélère un peu plus le processus de décarbonation des procédés de production entamé au milieu des années 2010 dans l’industrie et accompagné par le plan France Relance (plusieurs enveloppes consacraient l’accompagnement des industriels vers l’efficacité énergétique, l’utilisation de chaleur biomasse ou la mise en place de réseau de chaleur…).
Annoncé depuis le début des années 2000 concomitamment les transformations apportées par l’avènement d’internet, le concept « d’usine du futur » fait appel à un horizon lointain voire futuriste d’autant plus qu’il apparait dans un contexte paradoxal dans une France qui s’imaginait « fabless » [1], sans usine. La crise financière de 2008 puis la crise sanitaire ont souligné les limites de ce système, les dépendances de l’économie française envers des chaînes d’approvisionnements lointaines, entrainant une dynamique nouvelle pour le concept d’usine du futur.
Pour autant, l’usine du futur est un terme qui fait débat. De sa théorisation en Allemagne ou chez les industriels anglo-saxons jusqu’à son déploiement dans le langage commun, il n’est pas rare d’entendre parler « d’usine 4.0 » et même « 5.0 », d’« integrated industry », « industrie du futur », de « lean » ou encore d’ « hyper manufacturing ». Le concept d’usine du futur appelle donc à une définition, d’autant plus qu’elle est fortement mise en avant par des acteurs comme l’Alliance Industrie du Futur qui labellisent des vitrines de l’usine du futur [2] qui sont autant de projets (de Forvia sur sa stratégie d’écosystème à l’échelle d’un territoire à Air Liquide sur la robotisation de son process) qui montrent que le sujet ne peut être réduit à la modernisation des processus de production grâce aux apports du numérique.
Depuis le début des années 2000 et la diffusion d’internet et ses usages, l’industrie a connu de profondes transformations. Pour certains auteurs, cette nouvelle étape représente pour les industriels un moyen d’accroitre leur compétitivité grâce à des innovations de ruptures dans les domaines du pilotage de l’usine et la façon de produire (à l’aide d’applications numériques notamment). Dès lors, l’usine du futur s’inscrit dans une tendance longue de transformation de l’industrie mondiale qui entre à partir de cette période dans une nouvelle phase. Comme le souligne Nathalie Julien et Eric Martin, l’usine du futur telle qu’elle est mentionnée aujourd’hui apparait lors de la 4ème révolution industrielle.
Figure 1
De fait, la 4ème révolution industrielle marque une nouvelle étape dans le développement de l’industrie avec pour technologie principale internet et le numérique. Cette révolution marque également de profondes transformations dans l’usine avec de nouvelles façons de produire. Sans être exhaustif, citons par exemple la robotisation (qui fait plutôt partie de la précédente révolution mais dont le numérique accentue la place), de l’intégration d’objets connectés (Internet of Things ou IOT), et l’automatisation des process industriels avec, pour les entreprises les plus avancées la coordination automatique des machines (machine to machine). Cela implique également la digitalisation des process, la collecte et la gestion des données de production ainsi que l’explosion des flux de données au sein des entreprises qui permettent de diagnostiquer les pannes, voire de les anticiper. Dans cette définition, on parlera alors d’usine 4.0 : plus résiliente, plus efficace et plus autonome. Dès les années 2010 et la prise en compte de cette tendance par les pouvoirs publics ; plusieurs tendances émergent. Il existe ainsi une conception anglo-saxonne avec un fort accent mis sur le numérique et les données tandis que la conception allemande, construite avec les grands conglomérats industriels, ajoute la dimension écosystémique et territoriale.
Si le concept d’usine 4.0 a d’abord été abordé par les pouvoirs publics au travers du prisme de l’intégration de technologies du 4.0, la définition que nous retenons est beaucoup plus large et englobe l’ensemble des transformations que rencontre le secteur industriel (sociale, territoriale…), c’est aussi pour cela que l’on rencontre aujourd’hui la dénomination d’usine 5.0 pour lequel nous préférons le terme d’usine du futur au sens large.
Ces transformations sont aujourd’hui accélérées par les impératifs que représente les crises successives. Après une reprise des implantations d’usines dans les années 2010, la crise sanitaire a révélé les dépendances de la France et des différents secteurs de l’industrie tout en activant un désir de consommer plus local chez les consommateurs français. Cette situation s’est renforcée dans la situation d’après-crise sanitaire avec les difficultés d’approvisionnement qui ont marqué un peu plus les limites des chaînes d’approvisionnement mondiales. Cette description, si elle est loin de décrire l’ensemble des transformations qui ont trait à l’industrie témoigne d’une bascule des attentes qui se répercute sur la définition de l’usine du futur. Ainsi, l’Association Française de Normalisation ou AFNOR décrit l’usine du futur comme :
C’est cette définition qui est reprise par le cabinet Trendeo qui observe les mouvements de l’industrie en France et dans le monde. Dès 2015, avec l’aide de partenaires comme Fives, Electricité De France (EDF) et l’Institut de la réindustrialisation, six critères de l’Usine du Futur ont été mis en avant et décrivent plusieurs dimensions de la modernisation industrielle – cf. encart "Les 6 critères de l'usine du futur".
Pour obtenir un premier état des lieux de l’usine du futur en France, avant de commencer un suivi permanent, Trendeo a passé en revue un millier d’investissements industriels annoncés en France depuis juin 2020 (dont plus de 700 ayant bénéficié d’un soutien dans le cadre du plan France Relance). Sur cet échantillon, 472 projets sur 1023 avec au moins un des six critères de l’Usine du Futur. Cela correspond à un taux de 46% de projets notés, un peu plus élevé que les 37% de projets notés constaté pour les 24 000 projets inclus dans notre base mondiale.
Figure 2
Le score moyen attribué au millier de projets français est de 0,88/12, très comparable au score moyen constaté pour l’ensemble des projets notés dans notre base mondiale (0,91/12). Le score maximum est de 6/12, obtenu seulement par 5 projets, soit 0,5% des projets notés. Ce score peut paraître bas, mais deux points doivent être pris en compte :
Ces critères et notation sont désormais consolidés par Trendéo et communiqués quotidiennement à la Banque des Territoires au sein de la Dataviz Territoires d’industrie (version premium) afin d’avoir une cartographie exhaustive de l’usine du futur et de ses caractéristiques dans le temps et par secteur d’activité.
Ceci permet dans un premier temps de comprendre comment les industriels s’emparent de ce sujet et d’apprécier quels territoires basculent vers l’usine du futur (et ceux ne suivant pas cette route). Cela permet aussi de moduler l’accompagnement qui est, en raison du caractère pluriel de l’usine du futur, varié : accompagnement sur de l’ingénierie de process et aide à l’automatisation ou à la transformation pour un industriel, anticipation des mutations des compétences sur un bassin d’emploi et/ou des besoins de formation ou encore investissements dans des solutions de décarbonation (en lien avec Bpifrance). Ce mouvement s’enrichit par ailleurs d’un focus sur les start-ups industrielles qui contribuent elles aussi à accélérer la bascule vers l’usine du futur, grâce à des innovations fondamentales et leur application dans l’industrie.
Du reste, il n’est pas rare que l’évocation de l’usine du futur suscite le débat voire des craintes : la modernisation du système productif et l’intégration des robots conduira-t-elle à la destruction massive des emplois industriels ? L’accès aux données par de grands groupes industriels menace-t-il les consommateurs ? De même, peut-on résumer la transition de l’usine à la seule brique numérique ?
A suivre, la semaine prochaine sur le blog, mon second billet qui portera sur la question de l’impact de l’usine 4.0 sur l'évolution des compétences et des métiers.
Pour en savoir plus sur les guichets France Relance : https://www.economie.gouv.fr/plan-de-relance/mesures/decarbonation-industrie-aap
[2] Pour consulter les projets labelisés : https://vitrinesindustriedufutur.org/
[3] https://normalisation.afnor.org/thematiques/usine-du-futur/
L’usine du futur ira de pair avec la formation vers de nouvelles compétences
Télécharger le guide de la Banque des Territoires sur l'Usine du Futur