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c'est poincarré
La France, comme la plupart des pays européens (à l’exception notable de l’Allemagne, dans une moindre mesure de l’Italie du Nord, et de manière tout de même moins marquée que le Royaume-Uni à partir des années 1980) s’inscrit dans une tendance lourde de désindustrialisation, initiée avec le premier choc pétrolier, poursuivie au cours des années 80 et le mouvement des grandes délocalisations, et fortement accélérée avec la grande récession de 2008 et la crise des dettes souveraines subséquente en 2010. La part des emplois dans le secteur industriel était de 29,2% en 1975, elle ne se situe plus actuellement qu’autour de 13%. En 25 ans, l’industrie française a ainsi perdu 1,4 millions d’emplois.
Sous l’angle des territoires (industriels ou post-industriels), ceci a entraîné des conséquences multiples, d’autant plus marquées que ces derniers en étaient dépendants et que la rapidité des restructurations n’a pas permis d’enclencher des processus de diversification voire de disruption (CGET, 2018)1 avec suffisamment de célérité. Dans ces espaces, le lien entre industrie et territoire était (et reste) très fort. Ce phénomène d’identification territoriale par l’industrie est certes moins marqué qu’en Allemagne mais les exemples français sont tout de même légion : la région montbéliarde et Peugeot ; Toulouse et Airbus; Clermont-Ferrand et Michelin; Saint-Nazaire et les chantiers navals STX ou même en milieu plus rural Batilly et Renault SOVAB. Face à la désindustrialisation, ce lien au territoire s’est fortement distendu et ne concourt plus à la cohésion des territoires. Dans ce grand chambardement, terme que Fernand Braudel2 avait utilisé pour qualifier les grandes mutations agricoles françaises des Trente Glorieuses, les politiques publiques d’accompagnement des acteurs locaux doivent aujourd’hui être doublement ré-interrogées.
D’abord pour accompagner les territoires de déprise industrielle, là où les industries traditionnelles ont été les plus durement impactées (bassins houillers du Nord et de l’Est, ferrifères et sidérurgiques du Grand Est, bassin pétrochimique du haut sillon rhodanien, zones portuaires de la Seine Aval, grande couronne de Paris…). Dans ces espaces, il s’agit avec les acteurs locaux, au premier rang desquels le couple territorial EPCI - Région reconnu par la loi sur la nouvelle organisation territoriale de la République (loi NOTRé du 7 août 2015), de trouver les ressorts du rebond et d’amener les territoires à mener des réflexions prospectives pour s’engager vers des transitions, voire de la résilience3.
Ensuite, accompagner et adapter les bassins néo-industriels ou ceux qui sont pleinement entrés dans la compétition internationale, où l’innovation et son corollaire la recherche sont devenues les fondements principaux de la réussite. Tous les territoires ne font en effet pas face au même déclin. Ainsi, comme le relève le CGET (2019), on assiste à une véritable recomposition du paysage industriel français. Les zones d’emplois qui connaissent la plus forte croissance de création d’entreprises dans l’industrie se situent désormais dans l’Ouest et le Sud du Pays (carte n° 1).
Carte n°1 - Taux de création d’entreprises dans l’industrie en 2016
La France, comme la plupart des pays européens (à l’exception notable de l’Allemagne, dans une moindre mesure de l’Italie du Nord, et de manière tout de même moins marquée que le Royaume-Uni à partir des années 1980) s’inscrit dans une tendance lourde de désindustrialisation, initiée avec le premier choc pétrolier, poursuivie au cours des années 80 et le mouvement des grandes délocalisations, et fortement accélérée avec la grande récession de 2008 et la crise des dettes souveraines subséquente en 2010. La part des emplois dans le secteur industriel était de 29,2% en 1975, elle ne se situe plus actuellement qu’autour de 13%. En 25 ans, l’industrie française a ainsi perdu 1,4 millions d’emplois.
Depuis 2008, il apparaît également que trois territoires ont même réussi à créer de l’emploi industriel : la Bretagne, la Bourgogne-Franche-Comté (le Jura en particulier) et l’Occitanie.
D’une manière générale, on constate par ailleurs un récent mais véritable renouveau de l’industrie dans les territoires. Pierre Veltz4 parle de l’émergence d’un monde “hyper-industriel” où industries et services convergent à la faveur du développement du numérique et du soutien des systèmes locaux dans une logique de coopération territoriale. Il montre que c’est dans une vision globale industrie-services-systèmes qu’il faut penser l’industrie de demain.
De même, avec les nouvelles aspirations de transition écologique, les territoires industriels en recomposition sont également devenus tout à la fois des espaces d’opportunités foncières et des écosystèmes de développement durable à l’instar de la désormais célèbre symbiose de Kalendborg au Danemark, où les usines et les territoires coopèrent intelligemment et écologiquement. On parle désormais d’écologie industrielle, selon l’exemple scandinave.
Les outils de la reconquête des territoires post-industriels
Dans les territoires désindustrialisés, les friches constituent indéniablement des marqueurs négatifs pour l’attractivité. En terme de visibilité, comme d’invisibilité (pollutions souterraines), elles cumulent les handicaps pour envisager de nouveaux usages et un changement d’image. Pourtant, réinvestir dans les friches industrielles devient désormais un objectif stratégique tant pour le renouvellement des sites d’activités que pour la lutte contre l’artificialisation des sols. Cette question de l’usage foncier post industriel, en particulier dans les espaces urbains denses (renouvellement urbain), est en effet cruciale alors que depuis les années 1980, la surface occupée par les activités secondaires et tertiaires a doublé, de même que pour les usages résidentiels.
Depuis le début des années 2000, les textes, circulaires et orientations des politiques publiques en faveur du recyclage foncier n’ont cessé de s’étoffer à la faveur d’une véritable effervescence législative. Les lois Solidarités et Renouvellement Urbains (loi SRU, 2002), Urbanisme et Habitat (2003), « Grenelle de l’environnement ».
(2010), Accès au Logement et Urbanisme Rénové (loi ALUR, 2014), ont amené les collectivités locales en charge de la planification spatiale, au premier rang desquelles les communes et leurs groupements, à devoir s’engager dans la limitation de l’artificialisation des sols. Des décennies entières d’urbanisme extensif ont ainsi été reconsidérées dans l’ensemble des documents d’utilisation des sols, des récents SRADDET sous la responsabilité des Régions, aux Plan Locaux d’Urbanisme qui deviennent très lentement intercommunaux en passant par les Schémas de Cohérence Territoriale (SCoT) qui peinent à trouver leur place dans la hiérarchie des normes urbanistiques. En réalité, sur cette question du recyclage foncier, il existe un véritable consensus entre les pouvoirs publics nationaux et locaux avec l’application de la séquence « Eviter, réduire et compenser » (principe ERC) (ADCF, 2019)5 inscrite dans le code de l’environnement dès 1976 mais qui traverse désormais tous les grands textes sectoriels environnementaux, sans être toujours bien précisée6.
Si le recyclage foncier industriel, dans une logique de maintien ou de transformation d’usage, fait véritablement consensus, dans les faits, beaucoup de difficultés financières, techniques, environnementales et juridiques perdurent et freinent son développement. La question des pollutions post-industrielles, notamment souterraines, se révèle toujours aussi compliquée. Les exemples abondent en effet où les coûts de dépollution ont obéré voire rendu impossible la transformation d’usage, en particulier si celui-ci est qualifié de sensible. Dans certains secteurs géographiques, notamment là où les industriels ont abandonné leurs usines à la faveur d’une époque d’une absence complète de législation, la transformation des friches a pu dépasser les 40 années entre la fermeture d’une usine et la construction d’une nouvelle habitation résidentielle7.
D’une manière générale, la législation nationale de gestion des sites et sols pollués a connu de nombreuses évolutions depuis une dizaine d’années, toutes renforçant les obligations à la fois du dernier exploitant et de l’aménageur portant la requalification attendue. A propos de la remise en état, une note du 19 avril 20178 en donne le contenu précis. Elle rappelle les fondements de la politique de gestion des sites et sols pollués en France et fait état de la révision de la dernière méthodologie élaborée en 2007 laquelle constituée déjà une référence reconnue par les acteurs. Elle avait notamment rendu obligatoire une Interprétation de l’état des milieux et un plan de gestion. Les principes sont toujours centrés autour de l’idée d’une réhabilitation des sites suivant leurs usages et les projets d’aménagement envisagés. C’est toujours le principe de spécificité qui prévaut et qui implique une gestion au cas par cas suivant l’usage des milieux.
La priorité est en réalité donnée à la suppression de la pollution à la source selon le principe de prévention et de correction des atteintes à l’environnement9. La méthodologie promeut désormais l’utilisation des meilleures technologies. Elle prend notamment en compte des outils de diagnostics opérationnels et des nouvelles méthodes issues de la recherche ou encore d’aide à la décision comme le bilan massique lequel intègre une analyse quantitative des masses de polluants dans le plan de gestion. Pour prolonger ces plans, une étape finale d’ingénierie de dépollution complète le processus de prise de décision. Elle est composée d’un plan de conception des travaux et prévoit leur suivi en cours de réalisation ainsi que la phase de réception. De même, la démonstration financière au regard des avantages environnementaux devient un élément prégnant du plan de gestion. Il est ainsi rappelé que les actions ne peuvent être engagées qu’au vu d’un bilan « coût – avantages » démontrant leur faisabilité à un coût économiquement acceptable. Des critères techniques, socio‐politiques, juridiques et réglementaires peuvent également entrer en ligne de compte.
La réalisation d’une opération de transformation d’un site industriel demeure complexe car en plus des procédures administratives classiques à mettre en œuvre pour permettre un changement d’usage, il convient non seulement de dépolluer mais également, très souvent, de réaliser les procédures de cessation d’activité en matière d’installations classées (ICPE) alors même que le précédent exploitant a cessé son activité depuis très longtemps voire a disparu.
Face à ces difficultés assez classiques, le législateur a introduit, par l’article 173 de la loi du 24 mars 2014 pour l’Accès au Logement et Urbanisme Rénové, dans le Code de l’Environnement (article L 512-21) le dispositif du tiers demandeur. Celui-ci vise à faciliter la réhabilitation des friches industrielles en permettant la substitution du dernier exploitant par un tiers intéressé (aménageur, collectivité publique, …) dans son obligation de remise en état.
Des territoires industriels néanmoins en plein renouveau
Cependant, depuis 2017, la production industrielle se place au deuxième rang des fonctions créatrices nettes d’emplois, juste après les services. Cette dynamique peut être reliée à un phénomène nouveau et rassurant : après avoir détruit tant d’usines, la France en recrée enfin. En 2017, 125 ouvertures de sites industriels ont été recensées pour 100 fermetures (soit un solde positif de 25 usines). Toutefois, l’approche territoire-industrie concourant à la cohésion des territoires est fondamentalement différente selon que l’on se situe dans une zone de croissance économique et résidentielle ou non. C’est pourquoi des dispositifs d’action publique ont dû être déployés de manière différenciée sur l’ensemble du territoire à partir de 2018.
La démarche “Territoires d’industrie” : mobilisation pour un renouveau industriel
De manière coordonnée et conjointe avec les acteurs économiques et les Régions dans le double cadre des Schémas régionaux de développement économique, d’innovation et d’internationalisation (SRDEII) et des Schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) – deux documents de planification régionale prévus par la loi NOTRé de 2015 –, les intercommunalités sont attendues pour jouer un rôle majeur dans le cadre du plan “Territoire d’Industrie” annoncé par le Premier Ministre, Edouard Philippe, à l’occasion de son discours du 22 novembre 2018 : « pour soutenir ces territoires, nous avons voulu construire une approche nouvelle. Une approche qui épouse de manière beaucoup plus fidèle la géographie industrielle de notre pays. Qui épouse aussi sa réalité institutionnelle, celle de la montée en puissance dans le domaine économique, des conseils régionaux et des intercommunalités ».
Ce programme, prévu sur 3 ans (2019-2022) entre en effet dans une logique très différente de celle des pôles de compétitivité puisque cette nouvelle approche repose sur trois principes : le ciblage (146 territoires labellisés au 31 décembre 2019), la gestion décentralisée (les projets devront d’abord être gérés et animés par les acteurs locaux : industriels, maires, présidents d’EPCI) et la concentration des moyens, à la fois financiers, avec plus d’un milliard d’euros de financements orientés en priorité vers ces territoires.
Cette initiative partenariale innovante Etat/collectivités territoriales – démarche à la fois top down dans son impulsion nationale et bottum up dans sa mise en œuvre locale – propose aujourd’hui d’associer, dans une logique caractéristique de la gouvernance territoriale décentralisée, l’ensemble des « parties prenantes » au développement industriel local, à la fois publics (Etat et opérateurs de l’Etat, Caisse des Dépôts / Banque des Territoires, collectivités territoriales), parapublics (Sociétés d’économie mixte, agences de développement local), privés et associatifs. Au vu de ses compétences économiques (renforcées récemment par la loi NOTRé), la Région a une place primordiale dans la gouvernance du dispositif.
Sur le plan local, certaines régions sont très concernées par l’enjeu de la redynamisation industrielle territoriale. Ainsi, peut-on évoquer très fortement le Grand Est qui, après avoir subi des crises importantes dans certains secteurs industriels et zones géographiques comme la Lorraine avec une crise de grande ampleur pendant les décennies 1970 à 1990. Les mines de fer et de charbons, ainsi que les industries sidérurgiques se sont désagrégées les unes après les autres. La grande majorité des installations a été démolie, laissant place à d’immenses friches industrielles. La part de l’emploi industriel sur la population active y représente ainsi 16%, ce qui la positionne comme la deuxième région après la Bourgogne Franche Comté (présence historique de Peugeot) en termes d’emplois. En outre elle se positionne également en 2ème position dans la part d’exportation de la France et en termes de nombre d’établissement industriels.
Sur les 148 Territoires d’industrie que compte la France, le Grand Est en dispose plus de 10% soit au total 15 territoires d’industrie. Cette situation reflète l’intensité industrielle de la région, deuxième région industrielle (hors Ile-de-France) en volume d’emplois et en valeur ajoutée. Le programme Territoires d’Industrie répond ainsi particulièrement bien à une région historiquement industrielle et de nouveau en phase d’essor.