Dans un rapport dédié à la planification écologique de l’État, première partie d’un programme d’études développé au sein de l’École urbaine de Sciences Po avec l’appui de l’Institut pour la recherche de la Caisse des Dépôts, Nicolas Portier, chargé d'enseignement à l'École urbaine (Sciences Po) s’intéresse à la nouvelle démarche de planification écologique et ses efforts de territorialisation, ainsi qu’aux besoins de financement public et privé des politiques de décarbonation et de transition écologique. Il questionne également les véritables capacités planificatrices de la France en matière d’écologie et les défis à relever pour y parvenir. Interview.

Quels sont les enjeux de cette recherche dédiée à la planification écologique de l’État ?

Cette recherche s’inscrit dans un programme d’études que nous avons voulu consacrer à la nouvelle planification écologique, et plus précisément à son effort de projection territoriale. C’est cette territorialisation qui nous semble offrir une consistance accrue et inédite à la notion de planification, en lui faisant perdre son aspect un peu hors-sol. Les deux premières générations de documents nationaux de planification tels que la stratégie nationale bas carbone (SNBC), la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) ou le plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC) sont demeurés des objets mal identifiés par les acteurs locaux, assez abstraits et descendants, à faible effet catalyseur. Notre programme d’études cherche à observer les impacts du changement de méthode proposé par l’Etat, dans le cadre du Pacte vert européen, pour assurer un meilleur alignement des stratégies portées aux différents niveaux d’action publique.

C’est cette « descente d’échelle » de la planification que nous avons voulu analyser, à travers la construction des référentiels et objectifs proposés par le secrétariat général à la planification écologique (SGPE) et leur mise en débat au sein des conférences des parties prenantes (COP) régionales qui ont été installées il y a un peu plus d’un an. Notre programme d’études comprend un axe spécifiquement dédié à ces COP et à leurs effets concrets, avec un premier rapport qui a été rendu et mis en ligne à la fin 2024 et qui sera suivi par un second volet prévu pour l’été 2025. Le second axe du programme est consacré à l’équation financière des transitions écologiques et énergétiques. Cette étude est en cours de rédaction. Elle porte sur les différents leviers budgétaires et extra-budgétaires qui sont activés par la puissance publique, à travers ses différentes composantes, pour accélérer les transitions, que ce soit les subventions, les crédits d’impôts, les fiscalités incitatives et redevances, les certificats d’économie d’énergie, la commande publique…

Quel est l’état d’avancement de cette planification ?

Les aléas de la vie politique nationale ont perturbé la démarche, et provoqué depuis un an un peu de retard. Ils ont éclipsé les chantiers des transitions et leur ont porté quelques coups de canif budgétaires. Pour autant, les projets de SNBC et de PPE ont été présentés officiellement en novembre dernier par le gouvernement Barnier, et soumis à la consultation du public jusqu’à Noël. Le projet de plan national d’adaptation au changement climatique l’a également été quelques semaines plus tôt. Dans les territoires, les COP régionales ont poursuivi leurs travaux, et plusieurs régions ont déjà adopté leurs « feuilles de route », à l’image de la région Grand Est, de la Normandie, de l’Occitanie… Les choses se mettent en place progressivement, malgré les incertitudes politiques et les restrictions budgétaires du moment. Tout a été décalé d’environ 6 mois mais le chantier continue d’avancer. C’est heureux car il s’inscrit dans la droite ligne de nos engagements européens et porte une ambition très forte.

J’évoque également dans le premier rapport deux chantiers conduits en parallèle des COP mais qui leur sont intimement liés, à savoir la définition des zones d’accélération des énergies renouvelables (ZAEnR) à l’initiative des communes et intercommunalités, ainsi que la répartition des efforts de sobriété foncière entre territoires au titre de l’objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN). Sur le premier sujet, plusieurs centaines de milliers de projets de ZAEnR ont déjà été soumis aux comités régionaux de l’énergie (CRE) qui ont rendu leurs premiers avis. Ces avis liés à la première levée, font état des retards de nombreuses petites communes mais aussi la « non-suffisance » des premiers projets de zones d’accélération. On pouvait s’y attendre. Les zones sont très nombreuses mais surtout centrées sur des installations photovoltaïques diffuses (toitures, ombrières…) qui ne pourront apporter tout le productible attendu des énergies renouvelables. Les comités régionaux ont adressé leurs recommandations et attendent une deuxième levée de propositions en 2025. C’est un processus itératif entre acteurs locaux et régionaux, sous forme d’un dialogue inter-niveaux. Il doit aboutir à une régionalisation des objectifs de la prochaine programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). Cela présuppose de s’entendre sur des « mix » régionalisés de production d’énergies renouvelables, en tenant compte des différences de potentiels régionaux selon les énergies (éolien, solaire, biomasse, géothermie, hydraulique…) mais aussi des déploiements déjà accomplis ou en cours. La transition juste suppose une bonne répartition des efforts contributifs des territoires.

Pour ce qui est de la déclinaison du ZAN, les régions avaient jusqu’au mois de novembre 2024 pour définir et moduler entre territoires les objectifs de réduction des consommations foncières. Elles ont tenu leur calendrier après de nombreux mois de concertation. Ces objectifs chiffrés et territorialisés vont être inscrits dans les documents régionaux de planification (SRADDET), opposables aux documents locaux d’aménagement et d’urbanisme. Les modulations des objectifs entre territoires se révèlent d’une amplitude assez inégale entre régions, de même que les critères retenus. La plupart tiennent compte des consommations foncières passées, des trajectoires démographiques et économiques des territoires, des enjeux de revitalisation industrielle... La mutualisation des projets d’envergure nationale et européenne (PENE), permise par la loi de juillet 2023, a certainement facilité l’exercice. La garantie communale, qui assure un droit à consommer d’un hectare à toutes les communes, l’a en revanche rigidifié, notamment dans les régions dont l’émiettement communal est très élevé. Le simple jeu de ces garanties a réduit les marges de manœuvre.

Quels sont les principaux résultats intermédiaires ?

Le premier rapport a été rédigé au début de l’automne, en s’appuyant sur une campagne d’entretiens conduits au premier semestre 2024 auprès d’un peu plus de 80 personnes : élus locaux, préfets, parlementaires, responsables d’agences nationales ou opérateurs, fédérations professionnelles, associations de collectivités, experts… Ce travail est centré sur la mise en place des COP et porte sur la mobilisation des acteurs ainsi que leur appropriation des leviers d’action proposés par le SGPE. Le rapport propose également une synthèse des défis à relever secteur par secteur. Il synthétise de nombreux travaux d’évaluation et analyses portant sur les différents chantiers engagés en matière de déploiement des énergies renouvelables, de décarbonation des activités économiques (industrie, logement, mobilités…), d’actions de séquestration, tout en interrogeant les effets socio-économiques des transitions.

Plusieurs enseignements se sont dégagés de ce premier travail. 

En premier lieu, il apparaît que la démarche de régionalisation de la planification et les outils de modélisation proposés par le secrétariat général à la planification écologique ont été globalement bien reçus.  Le lancement des COP s’est révélé assez prometteur au départ.  Le climat s’est en revanche dégradé à partir des manifestations agricoles d’il y a un an puis des restrictions budgétaires annoncées en février 2024. Les vents ont alors changé de direction et cela a affecté la mobilisation des acteurs qui s’est resserrée autour d’un format très technique. L’instabilité réglementaire et budgétaire qui caractérise l’action de l’Etat interroge sa capacité à renouer avec la planification. Il ne peut pleinement jouer le rôle de « réducteur d’incertitudes » qui est attendu de lui. De même il est assez évident que cette planification écologique appelle une réflexion en termes d’aménagement du territoire, adossée à des exercices prospectifs. Cela fait aujourd’hui défaut.

Au-delà de ces réserves, nous mettons l’accent sur les progrès de notre organisation territoriale par rapport à il y a une dizaine d’années. Nous pouvons mesurer l’essor des savoirs et des expertises mobilisables sur le terrain pour parvenir à cette gouvernance « multi-niveaux » de la planification. Il semble désormais possible de proposer des stratégies différenciées dans les territoires, en sortant du simple « clonage » des documents nationaux qui se pratiquait il y a quelques années.  La planification « perroquet », qui reproduit à l’identique les objectifs de l’échelle supérieure, n’a guère de sens dès que l’on entre dans la complexité des politiques publiques et l’hétérogénéité des territoires.  Cela conduit à plaider pour des ac

compagnements « sur mesure » des collectivités, à travers des politiques contractuelles, plutôt que par des appels à projets ou des outils standardisés. En ce sens, la nouvelle méthode de concertation, avec ses allers-retours inter-scalaires, peut susciter des dynamiques intéressantes, responsabilisant chacun dans ses capacités à agir.

Deux autres enseignements du rapport me semblent devoir être soulignés.

L’un tient aux difficultés croissantes que soulèvent des objectifs de réduction d’émissions fixés à partir du seul périmètre de ce que l’on appelle l’ « inventaire territorial ». C’est celui qui est retenu par le protocole de Kyoto mais aussi le Pacte vert européen. Or à se focaliser sur nos seules émissions domestiques, on pourrait se féliciter de voir se poursuivre les délocalisations industrielles. Cela peut conduire à des aberrations. Il faut de fait, au plus vite, adopter une double comptabilité, en intégrant les émissions causées par nos importations à travers un raisonnement complet en cycle de vie des produits et en empreinte carbone. La prise en compte du scope 3 (approvisionnements) dans les bilans de gaz à effet de serre des organisations va imposer un changement de regard.

L’autre enseignement découle du premier. Il est celui du lien étroit qui s’établit entre planification écologique, notamment énergie-climat, et efforts impératifs de réindustrialisation. En appuyant sur l’accélérateur pour décarboner, nous creusons à une vitesse fulgurante nos déficits commerciaux. Dans les mobilités bas carbone, les pompes à chaleur, la production d’énergies renouvelables électriques… nos déficits commerciaux sont passés d’environ 5 Mds€ en 2919 à 18Mds€ en 2023 selon une étude de l’ADEME. Les aides publiques subventionnent massivement nos importations. Il me semble très urgent d’inverser la tendance et faire des transitions un puissant levier de la revitalisation productive des territoires.

Pour aller plus loin :

Télécharger le rapport intermédiaire « La planification écologique au défi de la territorialisation  »

Novembre 2024