Peu connues du grand public, les scieries jouent néanmoins un rôle–clé dans la structuration de la filière forêt-bois en France. Elles sont ancrées dans des territoires ruraux, et contribuent à y conserver des emplois industriels en restant proches des lieux de production du bois. Les scieurs font le lien entre les propriétaires forestiers en amont et les transformateurs en aval. Ils participent à une sylviculture favorisant le bois d’œuvre, et savent générer le maximum de valeur des bois et des produits connexes.  Ils constituent un maillon central de la filière, mais doivent investir pour s’adapter à une ressource de plus en plus hétérogène, et à des marchés qui demandent de plus en plus de personnalisation. Il est indispensable de les soutenir dans leurs efforts d’adaptation et de modernisation, pour transformer le bois disponible sur le territoire et contribuer au développement de l’économie forestière française.

Les scieries en France

Le secteur des scieries est assez segmenté et a beaucoup évolué en quelques décennies. Alors que 10.000 scieries maillaient le territoire français dans les années 1960, on en compte à peine 1.200 aujourd’hui. Le phénomène de concentration que l’on a notamment observé depuis près d’une vingtaine d’année s’est traduit par  une hausse de la productivité avec une production moyenne annuelle par entreprise de 4600 m3 à 7000 m3[1]. Les scieries industrielles (5%) et semi-industrielles (35%) produisent des produits très standardisés pour le négoce et l’international. Ces deux premières catégories transforment 80% des volumes sciés en produits sur mesure. Plus modestes, les scieries artisanales (moins de 2.000 m3 de sciage à l’année) représentent 60% des établissements et proposent du sciage à façon en s’adressant à une clientèle locale. Toutes participent au maintien et au développement de l’emploi industriel dans des zones rurales. La plupart d’entre elles se sont transmises au sein d’une même famille, sur plusieurs générations. On compte ainsi une part importante d’établissements familiaux centenaires où prévaut une culture de transmission des savoirs et de développement à long terme. Certaines d’entre elles sont devenues des leaders nationaux. Le profil des entrepreneurs évolue avec le temps : il se féminise et les repreneurs se sont souvent formés dans d’autres secteurs d’activité et ont acquis une expérience qui renouvelle la vision des affaires. Malgré tout, les compétences s’acquièrent avec l’expérience de terrain, au contact des machines et de la matière.

Le scieur, acteur central de la transformation du bois

Au sein de la filière forêt-bois, le scieur joue un rôle central dans l’organisation de cette dernière en faisant le lien entre les acteurs de l’amont forestier (propriétaires, gestionnaires forestiers, exploitants forestiers) et ceux de l’aval de la filière. Le scieur s’approvisionne en bois de qualité auprès des forestiers qui gèrent et exploitent la forêt. Grâce à son savoir-faire, il valorise la bille de bois depuis la planche de bois jusqu’aux produits connexes, et distribue l’ensemble de sa production dans différents secteurs d’activité. En moyenne, 50% du bois arrivant à la scierie est transformé en sciage (palettes, caisses, parquet, lambris, menuiserie, contreplaqués, charpente, …). Les autres 50% constituent les connexes de sciage (sciures, plaquettes, délignage, …) et sont vendus aux industriels de la trituration ou de l’énergie pour produire des granulés, du papier, du carton ou encore des panneaux.

Sans les scieurs, les autres industriels de la filière auraient davantage de difficultés pour fabriquer leurs produits et les propriétaires forestiers ne pourraient pas valoriser leur bois d’œuvre. Celui-ci provient de peuplements forestiers à rotation longue qui favorise la séquestration de carbone. Par ce biais, le scieur participe à une sylviculture à rotation plus longue, favorable à la présence de gros arbres et à la biodiversité.

Les stratégies de développement des scieurs

Pour parvenir à la taille critique face aux acteurs industriels de stature internationale, les scieries françaises évoluent et mettent en œuvre différentes stratégies. Les scieries moyennes réalisent des opérations d’intégration horizontale pour générer des économies d’échelle. Ainsi, un scieur de bois à palettes complètera son activité de sciage par des ateliers de fabrication de palettes.  L’intégration verticale peut également passer par l’internalisation des opérations de traitement à travers des opérations de croissance externe. Ces acquisitions permettent d’élargir les marchés et de compléter un parc de machines. Les établissements les plus solides rachètent des scieries en difficulté ou sans repreneurs, ce qui montre la capacité de résilience de la profession. Les scieurs travaillent souvent en réseau : ils proposent des prestations comme le séchage ou le stockage à des confrères, optimisant l’usage des installations.

Mais une spécialisation trop poussée peut être facteur de fragilité face à un retournement de marché. Les scieurs sont amenés à faire évoluer leur modèle économique. Une scierie sur deux en France (et sept scieries sur dix dans le Massif des Landes) développe une activité d'exploitation forestière. Elles proposent des services et du conseil en gestion auprès des propriétaires forestiers qui ne sont pas tous des professionnels de la forêt. En se positionnant sur l’amont, les exploitants scieurs s’assurent une plus grande flexibilité et un approvisionnement en bois conforme à leurs besoins. Certains diversifient leurs revenus en investissant dans une chaudière biomasse, ou dans une plateforme de stockage. En aval, ils peuvent offrir une gamme de produits élargie aux accessoires (par exemple de l’outillage ou de la quincaillerie associée aux produits bois) par de la vente directe. Ils cherchent à se différencier pour fidéliser une clientèle locale, professionnelle comme grand public. Présents sur l’amont et sur l’aval, les scieurs se trouvent ainsi au centre de la filière.

Des investissements lourds et nécessaires

L’adaptation aux marchés, l’amélioration du rendement matière et le développement de l’activité vont de pair avec des investissements lourds, car la filière est fortement capitalistique. Rester compétitif exige une veille constante sur les meilleures technologies. Par exemple, s’engager dans l’exploitation forestière implique l’acquisition de machines (abatteuses, débusqueurs...), ce qui représente un investissement lourd (400 K€ par machine en moyenne) pour des petites structures. Mais, c’est une obligation dans la mesure où il y a de moins en moins de main d’œuvre qualifiée et disponible.

À cause des aléas climatiques, le scieur doit aussi s’adapter à une ressource toujours plus hétérogène, en qualité et en volume. Actuellement, les investissements concernent des lignes « gros bois » qui permettent de scier et de commercialiser des résineux de diamètres très importants ; mais ils portent aussi sur des dispositifs de mesure de la qualité et de tri qui permettent de valoriser l’hétérogénéité des propriétés des bois, résineux comme feuillus. Les parcs machines doivent pouvoir traiter ces bois qui s’écartent de plus en plus des normes habituelles : bois d’éclaircie du fait des tempêtes, bois incendiés ou scolytés. Certains scieurs s’engagent dans la R&D pour améliorer leurs procédés (sciage, séchage, rabotage, ou aboutage) et leurs produits (conception, durabilité). Dans ce secteur, le renouvellement d’un parc à grumes ou d’une scierie représente plusieurs dizaines de millions d’euros. C’est toujours un événement à l’échelle d’un territoire régional, dans un secteur d’activité où une scierie d’une vingtaine d’années est considérée comme moderne. Après son acquisition, le réglage d’une machine pour l’adapter aux bois locaux peut prendre des mois, parfois des années, les équipements étant majoritairement de conception étrangère et destinés à d’autres industries. Ces investissements exigent une réelle solidité financière. La modernisation des équipements se traduit aussi par la mise à jour technologique de l’ensemble des procédés : augmentation des capacités des machines, installation de capteurs, de cubeurs, de tri, de séchage. Face à une demande de plus en plus personnalisée, l’innovation numérique est indispensable pour flexibiliser la production et piloter l’offre pour maintenir un niveau compétitif. Les investissements nécessaires pour devenir une scierie 4.0 représentent entre 3 M€ et 5 M€.

La réindustrialisation de la filière forêt-bois, et en particulier le secteur de la transformation, est d’abord porté par ses entrepreneurs. Avec les autres acteurs de la première transformation, les scieries créent près de 50% de la valeur ajoutée de la filière, et 1,1% du PIB[2]. Il faudrait un volume d’investissement d’au moins 1 milliard d’euros – et un soutien en conséquence - pour qu’ils puissent transformer les volumes de bois disponibles dans les forêts françaises, pour atteindre la souveraineté nationale, et pour éviter que la forte demande de produits bois ne soit servie par la concurrence étrangère.

Notes

[1] AGRESTE, 2024

[2] 2022, source Veille Economique Mutualisée Filière Forêt Bois