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Crédit © Ralph Hoppe - www.FooTToo.de
Depuis la crise immobilière de 2008, les organismes HLM habitués jusqu’alors à produire des logements sociaux neufs en maîtrise d’ouvrage directe, ont diversifié leurs modes de production. La part de Véfa (Vente en l’état de futur achèvement) qui en 2003 représentait à peine plus de 6 % des demandes de financement pour des logements sociaux neufs en IDF est passé à 56% en 2016.
Quel rôle de la Véfa dans la production du logement social ? L’article qui suit expose les principaux enseignements de ma thèse de doctorat « Une architecture de promoteur pour le logement social : la Véfa-Hlm ».
Depuis 2014, l’Union sociale pour l’habitat, la Caisse des Dépôts et l’Institut pour la recherche de la Caisse des Dépôts ont engagé ensemble une dynamique de coopération avec les milieux de la recherche. Dans ce cadre, le prix de thèse sur l’habitat social décerné par l’USH et la Caisse des Dépôts récompense tous les deux ans les meilleures thèses qui contribuent à éclairer les enjeux de ce secteur. Le prix spécial de l’édition 2021 a été décerné à Anne-Laure Hincker Jourdheuil pour « Une architecture de promoteur pour le logement social : la Véfa-Hlm » Thèse de doctorat en Aménagement et urbanisme dirigée par Yankel Fijalkow et Véronique Biau, soutenue le 2 juillet 2019 à l’Université Paris Nanterre.
Dans un contexte de besoin quantitatif affirmé de production de logements locatifs sociaux, la maîtrise d’ouvrage directe, pratique très encadrée, ne parvient pas à répondre à la multiplication des besoins. Les politiques de mixité sociale, développées depuis les années 1990, ont participé à une diversification des modes de production des HLM. La réalisation de logements sociaux en maîtrise d’ouvrage directe est une référence tant pour les bailleurs sociaux que pour les architectes. Le monde HLM a néanmoins jugé cette pratique comme trop contrainte par la loi MOP – procédures trop figées, difficultés pour accéder au foncier en concurrence avec les promoteurs privés, non-connaissance en amont des projets des futurs partenaires. Plusieurs modalités dérogatoires ont ainsi été développées : conception-réalisation et Véfa-HLM. Phénomènes émergents au cours des années 2000, ils occupent aujourd’hui une place de choix dans la production neuve de logements sociaux en France : 54 % des agréments neufs pour la Véfa-HLM (chiffres Sisal 2020) et 15% pour la conception-réalisation (chiffres Le Moniteur 2018).
La Véfa-HLM, en tant qu’outil mobilisé pour diversifier les modes de production, induit des modifications importantes dans le processus global des opérations ; elle constitue donc une mutation importante dans la production du logement social en France. Au regard de la part prise par la Véfa-HLM tant dans la production neuve de logements sociaux que dans la production totale des promoteurs immobiliers, des relations d’interdépendance entre promoteurs immobiliers et bailleurs sociaux semblent s’être développées.
La Véfa-HLM s’est développée très progressivement pendant les 15 premières années du dispositif, dans un contexte de montée en puissance des acteurs privés dans la fabrication de la ville. À la fin des années 2000, pour répondre à la conjoncture de crise immobilière, les bailleurs sociaux ont été appelés au secours de promoteurs immobiliers. Diverses évolutions réglementaires et législatives ont ensuite participé au développement rapide de ce mode de production. Malgré des craintes de certains acteurs du monde HLM, notamment ceux engagés dans le développement du parc, mais aussi de certains promoteurs immobiliers, des logiques d’hybridation dans les méthodologies se sont mises en place entre bailleurs et promoteurs. La Véfa-HLM participe ainsi à la création de nouvelles scènes de négociation entre élus, bailleurs sociaux et promoteurs immobiliers.
L’analyse du développement de la Véfa-HLM sur le territoire francilien permet de rendre compte des rapports de forces entre acteurs publics et privés : collectivités locales, bailleurs sociaux et promoteurs immobiliers. Les évolutions de ce mode de production révèlent ainsi l’hétérogénéité des capacités et volonté des différentes collectivités locales à réguler la production de logements sur leur territoire. Dans un contexte marqué par de multiples injonctions contradictoires - loger les plus précaires tout en assurant la mixité sociale, produire beaucoup dans un contexte de réduction des moyens économiques, transformer l’image du logement social tout en le banalisant et en le disséminant - la Véfa-HLM apparaît pour plusieurs bailleurs et collectivités comme un outil permettant de répondre, du moins partiellement à ces demandes. Sur le territoire francilien, la Véfa-HLM peut ainsi être décrite comme un moyen permettant de limiter les dynamiques ségrégatives induites par les marchés fonciers et immobiliers.
S’appuyant sur la capacité de mise en œuvre des acteurs privés que sont les promoteurs immobiliers, les élus locaux vont ainsi leur faire construire des logements sociaux. La régulation par délégation à l’œuvre participe paradoxalement d’un nécessaire renforcement du pouvoir de régulation exercé par les collectivités locales, notamment pour pouvoir faire construire aux promoteurs ce qu’elles souhaitent.
L’architecture, entendue en tant qu’ « art de commande », met en lumière l’existence d’un lien de causalité entre type de maître d’ouvrage et qualité de la production. La Véfa-HLM, à l’origine d’évolutions majeures du cadre d’intervention des architectes maîtres d’œuvre dans la production de logements sociaux a notamment participé à une transformation des modalités d’accès à la commande et à une remise en cause de la mission de base et des missions complètes comprenant la direction de l’exécution des travaux.
Plusieurs architectes mettent aujourd'hui en avant une baisse des qualités spatiales et d’usage des logements neufs, conséquence notable de la diminution de leurs surfaces. L’analyse d’opérations mixtes réalisées par des promoteurs immobiliers, comprenant à la fois des logements en accession et des logements sociaux, permet de mettre en évidence les éléments de distinction entre les différents acteurs impliqués dans cette production dans leur approche et définition de la qualité architecturale. La réflexion parallèle menée par les architectes concepteurs sur les différents types de logements – en accession et sociaux – peut être envisagée comme ouvrant le débat sur la qualité architecturale du logement contemporain au-delà de la commande publique.
Malgré des différences architecturales importantes à l’intérieur des logements, nombre des opérations analysées présentent une certaine unité dans le traitement des façades entre logements sociaux et logements en accession. L’unité des façades est mise en œuvre pour participer à un processus de banalisation du logement social visant à le « déstigmatiser ». La réalisation de logements sociaux en Véfa permet de placer ces derniers dans des espaces rares et recherchés. Inclus dans différents types de programmes privés, les logements sociaux ainsi construits bénéficient de localisation qualitative à l’échelle des quartiers. La déclinaison des politiques de mixité sociale et d’inclusion de logements sociaux dans des opérations mixtes permet ainsi de les implanter dans des localisations centrales, répondant à un besoin local exprimé.
Reposant sur le postulat d’un lien entre mixité des statuts d’occupation et mixité sociale, la Véfa-HLM soulève des questions quant à la gestion des multiples imbrications qu’elle engendre. Puisque ces opérations, réalisées avec un maître d’ouvrage unique, peuvent et sont régulièrement soumises au statut de la copropriété, en quoi diffèrent-elles des immeubles en copropriété dits « classiques » ? Les immeubles mixtes présentent-ils des spécificités ? La distinction est de trois ordres. La première est liée au statut des différents propriétaires : les organismes HLM sont des professionnels, la gestion de leurs immeubles repose sur un plan stratégique de patrimoine dans lequel est exposée leur stratégie pluriannuelle en matière de gestion et d’entretien. Leurs stratégies de gestion et d’entretien ne concordent pas forcément avec celles des autres copropriétaires individuels. La deuxième distinction est la volonté affichée dès l’origine de rendre le plus indépendantes et autonomes possible les différentes parties du projet, entre privé et social, et ce malgré l’harmonie d’ensemble souhaitée pour l’opération. Enfin, la troisième distinction importante est liée aux différences tant en ce qui concerne les finitions que les typologies de logements observables entre les parties sociales et privées des opérations. En effet, malgré une homogénéité apparente, les différences entre les lots architecturaux de second œuvre peuvent être notables suivant les destinations sociales ou privées. Bien que soulevant des questions quant à l’acceptabilité de la mixité sociale par les acquéreurs privés, il semble que la dissémination accrue des logements sociaux sur les territoires, au sein d’opérations réalisées par la promotion privée, a pour objectif de participer à une banalisation des logements HLM pour en faire des logements comme les autres.
Anne-Laure Jourdheuil est docteure en aménagement de l’espace et urbanisme de l’Université de Paris Nanterre et architecte diplômée de l’Ecole Spéciale d’Architecture. Elle est membre du Centre de Recherche sur l’Habitat (UMR Lavue CNRS 7218) et de la Chaire partenariale Le logement demain. Elle est enseignante à l’Ecole Spéciale d’Architecture et maître de conférences associée à l’ENSA de Paris-La Villette.