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La candidature de Paris pour les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 est présentée par les autorités publiques comme un tournant : il s’agit de la première candidature devant appliquer l’Agenda 2020 adopté par le Comité International Olympique en 2013 et donc inscrire des objectifs de développement durable et de sobriété budgétaire dans son programme. La réponse parisienne est de présenter un projet urbain olympique avec très peu de nouvelles constructions (un village des athlètes, un village des médias, et un Centre Aquatique Olympique), utilisant au maximum l’existant, faisant appel au temporaire, et concentrant les épreuves au plus proche du village.
Par cette approche, les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 posent la question de l’évolution de la conception de l’héritage des Jeux, s’éloignant de l’idée d’utiliser les Jeux comme levier de développement urbain intense, pour s’acheminer vers un héritage plus immatériel que matériel, en ligne avec les débuts de l’olympisme au moment où le Comité International Olympique cherchait une voix de légitimation. Dans cette note, nous nous proposons de revenir sur la transformation des Jeux au cours 130 dernières années, avant d’analyser l’influence de l’évènement sur la région parisienne entre héritage des Jeux de 1900 et 1924, et des candidatures ratées de 2008 et 2012.
Les Jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) sont parfois qualifiés de méga-événement, ou de giga-évènement. Ce titre est justifié par l’ampleur des investissements, le nombre des visiteurs et des délégations, ainsi que la médiatisation hors-norme des Jeux à travers le monde. Pour autant, les Jeux ne sont pas le premier des méga-événements, et même nous pouvons dire que les Jeux sont nés dans le giron d’un autre méga-événement qui a marqué l’histoire de l’occident et de Paris en particulier : l’Exposition Universelle. Il est par ailleurs important de rappeler que Paris a été candidate simultanément pour accueillir les JOP 2024 et l’Expo 2025 (finalement attribuée à Osaka au Japon).
En 1894, les Jeux sont réinstaurés en Sorbonne à Paris, puis organisés une première fois à Athènes en 1896 et ensuite à Paris en 1900. À cette occasion, les Jeux sont organisés au sein même de l’Exposition Universelle pour gagner en légitimité. Cela sera aussi le cas des Jeux de Saint-Louis aux États-Unis d’Amérique en 1904 adossé à l’Exposition Coloniale dans un contexte empreint de racisme, puis à Londres en parallèle à l’Exposition Franco-Britannique. Les Jeux ne produisent alors pas d’héritage spécifique, avec la construction de sites sportifs relativement mineurs, et l’utilisation des équipements sportifs et d’espaces publics existants pour organiser les épreuves.
L’héritage au sens d’un leg (legacy en anglais) à la ville-hôte d’équipements olympiques construits pour l’occasion des Jeux Olympiques devient plus prégnant à partir de l’entre-deux-guerres. Si Anvers 1920 est concentré sur la reconstruction et la paix, les Jeux de Paris 1924 ouvrent une nouvelle ère pour l’évènement désormais découplé des Expositions. Plusieurs sites olympiques sont rénovés, agrandis ou érigés, depuis le stade olympique de Colombes (aujourd’hui Stade Yves du Manoir) jusqu’à la piscine des Tourelles[1] à la porte des Lilas (portant aujourd’hui les anneaux olympiques), en passant par les terrains de la Croix Catelan dans le bois de Boulogne et le village olympiques de baraques en bois (aujourd’hui disparues). Alors que les vestiges de Paris 1900 sont quasiment invisibles pour les Parisiens, les sites de 1924[2] forment un ensemble de traces, de sites (reconstruits pour la plupart), de bâtiments qui rappellent l’évènement.
L’héritage olympique s’étoffe à partir des années 1960 de l’héritage paralympique. Mais ce sont tout particulièrement les premiers Jeux asiatiques à Tokyo en 1964 (la ville avait été élue pour 1940 mais le gouvernement japonais avait abandonné l’organisation en 1938) qui signent le premier programme de très grande envergure : parc olympique regroupant de nouveaux stades et sites sportifs, autoroutes aériennes, métro, train à grande vitesse, déploiement de satellites de télécommunications, retransmission en couleur de l’évènement dans le monde entier, etc. Le Japon déploie en ce début des années 60 un immense éventail d’innovations technologiques dans tous les domaines. Les Jeux ne sont pas à l’origine de ces changements, mais le gouvernement utilise l’évènement comme une vitrine des progrès du pays depuis les destructions subies pendant la seconde guerre mondiale.
Avec le premier choc pétrolier et la raréfaction des ressources publiques, certaines candidatures deviennent problématiques sur le plan financier, et cela dès Montréal 1976 dont la dette a pesé longuement et lourdement sur les finances de la ville. La démesure des candidatures de Moscou en 1980, Séoul en 1988, dans des contextes autocratiques, laissent place à des projets de métropoles régionales intégrés dans des politiques de développement plus globales comme à Barcelone et Albertville en 1992, et Sydney en 2000. Athènes s’est placé dans la continuité de ces candidatures, mais la situation économique du pays n’a pas permis de produire un héritage réussi.
Avec ces premières critiques émergentes face aux coûts des Jeux et de leur héritage, la définition d’un héritage olympique bénéfique aux villes et pays hôtes devient un enjeu d’autant plus fort avec les critiques contre la démesure des projets urbains olympiques. À partir des années 2000, les candidatures offrent un paysage très disparate, avec d’un côté des candidatures promettant de nombreux équipements et infrastructures supplémentaires avec des budgets particulièrement élevés (ex : Osaka 2008 promet plus de 40 milliards de dollars d’investissements ; Beijing en 2008 et Sotchi en 2014 ont coûté plusieurs dizaines de milliards de dollars sans que l’on connaisse le coût final), et de l’autre des candidatures beaucoup plus modestes comme Madrid. L’héritage devient alors un enjeu narratif entre candidatures sobres et prônant des objectifs de développement durable, et candidatures dépensières prônant des objectifs de développement économique et urbain.
C’est dans ce contexte que le CIO adopte en 2013 l’Agenda 2020 qui entérine une vision plus sobre des héritages matériels, a contrario des Jeux des années 2000 et 2010. Paris sera la première ville à appliquer cette réforme en 2024.
Paris concentre de nombreux monuments rappelant chaque époque. Mais une époque a fourni plus que d’autres les grands symboles de la capitale, il s’agit de la modernité pendant laquelle ont été érigés des monuments relatifs à la gloire de l’Empire dont l’Arc de Triomphe est l’emblème, tandis que d’autres devaient montrer la grandeur de la France au monde lors des Expositions. Petit Palais, Grand Palais, Tour Eiffel, Trocadéro, etc. Au pied ou dans chacun de ces monuments ont été organisées des épreuves olympiques de Paris 1900 et 1924, tout comme seront organisées des épreuves de Paris 2024. Le paysage olympique parisien était et sera associé au paysage des Expos.
La banlieue parisienne ne concentre pas de la même manière les monuments, en revanche, elle accumule de nombreux héritages des équipements et infrastructures de services de Paris, que ce soit pour l’eau, l’assainissement, les déchets, les cimetières, etc. Dans ce cadre, nous pouvons aussi retrouver un certain nombre d’équipements sportifs et de loisirs, notamment dans les bois de Boulogne et de Vincennes, mais aussi en frange de Paris avec les stades du Parc des Princes, de Charlety, les gymnases, cours de tennis, terrains de football, etc. Les équipements sportifs, associés au loisir, à la villégiature, sont aussi encombrants. Leur implantation hier comme aujourd’hui pose de nombreux problèmes sur le plan urbanistique. Il n’est donc pas anodin que 60 ans après le débat sur l’implantation du stade olympique à Colombes, celui pour l’implantation du Stade de France aboutisse au choix de terrains en Seine-Saint-Denis, un des rares secteurs proches de Paris dans lesquels existent des friches suffisamment grandes et bien desservies pour installer un équipement de cette taille.
Pour l’installation du Stade de France en Seine-Saint-Denis, à Saint-Denis, le gouvernement met en récit sa volonté de précipiter le développement de nouvelles activités économiques dans ce département pauvre et convalescent après des décennies de désindustrialisation et de paupérisation. Le Stade serait l’incarnation du retour de l’État dans le giron duquel s’invitent des entreprises et institutions publiques, et des grands groupes privés souhaitant acquérir des bureaux à des prix nettement moins élevés que dans Paris et à La Défense.
Auréolés des succès de la France en finale de la Coupe du Monde de la FIFA et du relatif succès des programmes de rénovation, régénération et requalification urbaine dans ce secteur, les candidatures de Paris pour les Jeux Olympiques et Paralympiques de 2008 et 2012 proposent l’implantation d’une partie des équipements et infrastructures nécessaires ou associés à l’organisation de l’évènement en banlieue nord. Un projet de vélodrome au fort d’Aubervilliers, un autre pour la piscine olympique au bord du canal Saint-Denis à la sortie de Paris, puis au sud du Stade de France, la construction du village olympique sur ce qui est devenu aujourd’hui le Campus Condorcet, sont autant d’exemples de programmes d’investissements devant structurer la Plaine Saint-Denis en s’appuyant sur la dynamique olympique.
Malgré les échecs de Paris pour ces deux candidatures, il n’en reste pas moins que ces projets forment un véritable héritage olympique pour le nord de Paris et sa banlieue. Le Campus Condorcet n’aurait pas pu voir le jour sans le projet de village olympique de 2008 qui a permis l’achat de terrains et le déblocage de certains dossiers. Le constat est le même pour le village olympique de 2012 qui devait être construit sur la grande friche de la SNCF aux Batignolles et qui a donné lieu à la construction du quartier environnant le parc Martin Luther King.
Pour conclure sur cette fresque olympique et parisienne, il apparaît que Paris 2024 est un condensé des Jeux du début du siècle, s’appuyant sur les héritages des anciennes Expositions Universelles et de son patrimoine exceptionnel, et des candidatures ratées des années 2000 se tournant volontiers vers le nord de la capitale et les communes avoisinantes. Le village olympique de 2024 est ainsi construit à quelques encablures seulement du premier village olympique de Colombes de 1924. Dans ce contexte, non seulement la spatialisation des Jeux est caractérisée par une forte continuité entre les éditions de 1924 et de 2024, mais aussi par la recherche d’opportunités foncières aux portes de Paris. Paris n’a pas opté pour la création d’un parc olympique comme à Londres, Sydney ou Pékin, mais pour la constitution d’un pôle de l’évènementiel et du sport spectacle entre la porte de la Chapelle et le Stade de France, dont les équipements (particulièrement l’aréna et la piscine olympique) s’insèrent dans un tissu économique de plus en plus tourné vers l’audiovisuel et la recherche.