La Fondation Innovation et Transitions organise chaque année à Lyon les Journées de l’économie (JECO) dont l'Institut pour la Recherche est partenaire. Lors de la 17ème édition qui s'est tenue en novembre dernier, les JECO 2024, marquées par une grande diversité thématique, ont permis d’explorer les transformations profondes qui redéfinissent nos économies et les stratégies pour y répondre. Pascal Le Merrer, directeur général des Journées de l'économie, revient sur les temps forts de cette édition, où chercheurs, décideurs politiques, acteurs sociaux et économiques ont confronté leurs analyses pour décrypter les enjeux majeurs et proposer des clés pour mieux comprendre le monde qui nous entoure.
Quel est l’esprit des Journées de l’économie de Lyon et quel était le thème 2024 ?
Quand les JECO sont nées, en 2008, on se demandait comment relever le défi de la crise financière. 17 ans plus tard les menaces se sont multipliées avec des tensions géopolitiques qui nous entraînent vers un monde de plus en plus fragmenté, une crise environnementale qui s’intensifie à un rythme qui nous dépasse, une lutte pour le contrôle des nouvelles technologies avec une Europe qui peine à trouver sa place et une montée des populismes qui se nourrit de la défiance envers les institutions. Plus que jamais nous avons besoin d’analyses qui aident à comprendre le monde dans lequel nous évoluons et qui suggèrent des pistes pour surmonter les crises qui se dessinent.
Nous aider à décrypter le monde dans lequel nous évoluons est l’objectif central des Journées de l’économie. Pour cela il est essentiel de croiser les regards des chercheurs avec ceux des acteurs politiques, sociaux et économiques. Comment s’interroger sur la réindustrialisation de la France, l’impact sur l’emploi de l’IA, les enjeux de l’industrie pharmaceutique sans avoir l’approche stratégique des entreprises. Comment aborder la gestion locale des catastrophes naturelles, le bien-être sur les territoires, l’amélioration des transports locaux sans mobiliser la contribution des collectivités locales avec des comparaisons d’expériences comme nous l’avons fait en 2024 avec la maire de Manchester.
La richesse des échanges sur tous les sujets abordés repose aussi sur la contribution des journalistes économiques car ils aident à identifier les questions qui interpellent le public, ils contribuent à ce que chaque spécialiste présente une analyse claire et intelligible pour un public très diversifié et ils offrent une réflexion stimulante sur leur travail (voir par exemple la table ronde : L’économie est-elle maltraitée par les médias ? »)
Quels sont les principaux sujets qui ont été abordés durant l’édition 2024 ?
Comprendre le vécu des citoyens est particulièrement délicat quand le ressenti s’éloigne des données collectées (voir la conférence « Nos perceptions nous trompent-elles ? »). S’ajoute à ce grand écart la médiatisation de sujets comme ceux des territoires abandonnés de la république, des générations sacrifiées, des services publics en déshérence, de la smicardisation du pays… L’impression d’un pays abîmé est un point commun de tous ces regards portés sur notre société. Un défi est à relever, identifier ce qu’il faut réparer en priorité afin de restaurer notre capacité à partager une vision de l’avenir. Cela suppose que sur des questions essentielles comme la transition environnementale, la juste répartition des richesses, la réorganisation des relations internationales, nous soyons capable de nous extraire des cadres de pensée traditionnels pour imaginer une adaptation de nos modes de production, d’échange et de consommation. A l’évidence de telles mutations nécessitent une capacité à rassembler autour d’un narratif qui recueil l’adhésion du plus grand nombre. Les Jéco 2024 ont été l’occasion d’échanger sur les solutions pour réparer, imaginer et rassembler en portant notre regard du local jusqu’au global. Avec, par exemple, les réflexions des chercheurs sur l’amélioration de la qualité du travail, les débats autour de la thèse de la stagnation séculaire avec Robert Gordon et Philippe Aghion. Les questions environnementales comme celle de la justice climatique ou celle de la gestion de l’eau , les sujets de société comme celui des travailleurs pauvres, celui du logement des jeunes, les solutions tant discutées comme celle du revenu universel ou de la réduction des inégalités via la taxation des riches.
Pour aborder les sujets que nous venons d’évoquer il fallait commencer par se demander: « L’économie peut-elle réparer le monde ? ». Ce fût le thème de la conférence d’ouverture des Jéco. Chacun pourra se faire un avis en écoutant Hélène Rey, Esther Duflo, Olivier Blanchard, Béatrice Weder di Mauro, Charles Weymuller
Quels enseignements de cette édition et quels thèmes cette édition a suggéré d’approfondir ?
Quand on analyse les sujets traités en 2024, on observe trois tendances qui devraient se renforcer cette année.
Premièrement, on constate que les économistes sont de plus en plus présents sur de sujets qui semblent ne pas relever spécifiquement de leur discipline. Des tables rondes comme : « Laïcité : aide ou frein à l’intégration ? », « Comment élire nos représentants locaux ? » en sont une illustration. Cette ouverture, très favorable aux échanges entre les différentes sciences sociales est facilité par l’accès à une quantité croissante de données dans les domaines les plus divers et par les progrès réalisés dans le traitement de ces données. Nous prolongerons cette exploration en examinant, par exemple, l’apport des modèles d’appariement qui conduisent à se demander si on s’oriente vers une société du matching.
Deuxièmement, les sujets en lien direct avec la vie quotidienne des citoyens occupent une place croissante dans le programme. On voit des thèmes comme ceux de la mobilité, de la santé (par exemple le sujet de l’antibiorésistance), du bien-être sur le territoire conduire à un regard qui part de situations locales pour ouvrir sur une analyse plus large. On pourra prolonger ces réflexions avec des sujets sur la qualité de l’alimentation ou sur les stratégies pour éviter les déserts médicaux.
Enfin, l’actualité conduit à approfondir les réflexions sur des sujets incontournables comme les enjeux de l’intelligence artificielle, les crypto-monnaies, les stratégies de réindustrialisation, les interrogations sur l’avenir l’intégration européenne, la gestion de la transition environnementale. Les tensions géopolitiques incitent à s’interroger sur le glissement vers une économie de guerre. Ajoutons que la situation de la France interpelle sur de nombreux points comme la dégradation du niveau scolaire, le déficit des finances publiques, la stagnation de la productivité.
Pour finir, il faut remarquer que les tensions financières croissantes risquent de nous ramener dans un climat qui pourrait nous rappeler la situation de 2008 mais avec des différences profondes que nous allons devoir cerner correctement si on veut éviter une nouvelle crise.