Dans le contexte de changement climatique, la transition de l’économie et des usages vers une trajectoire bas-carbone constituent un immense défi. Si les pouvoirs publics multiplient les scénarios, dans le sillage de l’Union Européenne, leur mise en œuvre bute sur des obstacles opérationnels.

Pour y voir plus clair, deux ateliers ont été organisés (8 avril et 7 octobre 2022) par la Chaire Énergie et Prospérité de l’Institut Louis Bachelier et ses partenaires (ADEME, Caisse des Dépôts, ENGIE, Renault), en collaboration avec la Chaire Développement Durable (École polytechnique-EDF). Ces échanges ont conduit à la publication d’un rapport, en avril dernier, débouchant sur un certain nombre de recommandations.

Jean-Pierre Ponssard, le coordinateur du rapport, en résume ici le contenu.

Pouvez-vous revenir sur le contexte et les motivations liés à la publication de ce rapport sur la planification écologique ?

Il existe de nombreuses études prospectives top down (de haut en bas) qui proposent des trajectoires de décarbonation à l’horizon 2050, réalisées tant au niveau international (GIEC, AIE…) qu’à l’échelle nationale par les organismes publics (France Stratégie, CGEDD, ADEME, RTE…), les think-tanks (négaWatt, the Shift Project…) ou les acteurs privés. Mais les résultats sont décevants en dépit de nombreuses avancées sur le terrain (bottom up, c’est-à-dire de bas en haut). Il est temps de passer à l’action !

Constatant le décalage entre les objectifs ambitieux de décarbonation et les résultats, les partenaires de la Chaire Énergie et Prospérité ont souhaité :

  • identifier et analyser les obstacles rencontrés ;
  • développer des pistes pour les contourner ;
  • proposer une démarche permettant de donner plus de crédibilité aux exercices de prospective à partir d’une meilleure articulation avec les avancées bottom up pour déboucher sur une planification digne de ce nom.

 Concrètement, quelles sont les analyses qui ont été menées ?

Au cours de nos deux ateliers et des échanges qui ont suivis, nous avons analysé en détails plusieurs études de terrain. Dans ce cadre, nous avons étudié la décarbonisation des territoires à travers la mobilité dans la périphérie des grandes métropoles. Le déploiement de la mobilité électrique pour les transports du quotidien est exemplaire des difficultés à articuler les approches top down et bottom up et à les traduire en transformation concrète des systèmes économiques. L’approche globale se traduit par des dispositifs normatifs et légaux contraignants pour les véhicules thermiques et des aides importantes face aux prix plus élevés des véhicules électriques. Cependant, la transition vers le véhicule électrique, à l’échelle des territoires, reste insuffisante pour deux raisons principales :

  • le caractère systémique de la transition du parc automobile (modification des dispositifs de transport et d’aménagement du territoire, modification de l’offre des constructeurs automobiles,  modification du comportement des automobilistes dans le cadre d’un budget limité…) ;
  • une temporalité beaucoup plus longue qu’anticipée pour mettre en œuvre les changements correspondants.

Notre rapport présente notamment une analyse de projet d’innovation conduit par la Métropole de Rouen (MRN) « Mobilités Intelligentes pour tous », un projet qui porte sur l’organisation de la mobilité de son territoire pour répondre aux enjeux climatiques, de cohésion sociale, d’attractivité et de soutenabilité économique[1].

En outre, nous avons également étudié la décarbonation des secteurs industriels, dit fortement carbonés (hard to abate). Dans ces derniers, la transition énergétique doit s’appuyer sur des innovations non matures. Il est alors nécessaire de les développer grandeur nature dans des unités pilotes, mais une telle démarche a plusieurs caractéristiques :

  • elle requiert des capitaux importants ;
  • il s’agit de mettre en œuvre une innovation radicale ;
  • aux incertitudes techniques se rajoutent des incertitudes de marché et aussi relatives aux changements éventuels de régulation (par exemple aux règles afférentes sur le marché de permis carbone en Europe),
  • sa mise en œuvre nécessite un soutien public.

L’étude a porté spécifiquement sur l’industrie verrière, à partir d’un travail mené au sein d’ENGIE. Nous avons notamment mis à jour les problèmes posés par l’évaluation de ce type d’opérations, ce qui nuit considérablement à leur financement par les pouvoirs publics. La principale difficulté rencontrée a trait à la faible appropriation de la connaissance. De fait, bien souvent, les retombées sont non seulement techniques, mais organisationnelles et elles vont se diffuser sur l’ensemble du secteur sous la forme d’effets d’apprentissage et de débordement (spillovers) sans qu’il soit possible de les protéger par des brevets.

Enfin, d’autres études menées au sein de l’ADEME et de la Banque des Territoires ont été analysées : l’Extrême défi où comment collaborer pour une nouvelle offre de véhicules ; la Zero Emission Valley consistant à développer un écosystème hydrogène pour la mobilité dans la Région Auvergne-Rhône-Alpes ; Logivolt qui ambitionne de lever les freins pour l’installation des bornes de recharge dédiées à la mobilité électrique dans l’habitat collectif.

Quelles sont les principales recommandations de ce rapport ?

À partir des études de terrain mentionnées précédemment, le rapport dégage trois grandes recommandations.

  • Une coopération différente. À la maille des transformations à réaliser, les parties prenantes doivent se rapprocher, se comprendre et s’engager pour choisir une orientation afin de sortir des insoutenabilités et s’approprier le rôle de chacun dans les nouvelles transformations à mener. Cette recommandation n’est envisageable qu’au niveau du terrain pour faire face à un enjeu concret. De telles démarches sont très difficiles à organiser pour instrumenter les exercices de prospective menés au niveau national.
     
  • Expérimenter plus facilement afin de faire émerger concrètement des prototypes de ces transformations ; comprendre comment les adapter pour qu’elles soient adoptées ; projeter leurs performances de manière réaliste grâce à une modélisation pertinente ; et mettre en place des mécanismes de soutien public adaptés à un tel contexte. Outre une évaluation ex ante, prérequis du soutien public, il convient aussi de mettre en place les dispositifs d’évaluation ex post pour accélérer les retours d’expérience et leur réplication. Il serait, par exemple, intéressant de mener des études ex post sur les 250 projets et écosystèmes territoriaux répertoriés par France Hydrogène, ou sur les différents projets européens de décarbonation des zones portuaires…
     
  • S’appuyer sur de nouvelles méthodes pour concevoir et organiser des transformations systémiques et susceptibles de fédérer les parties prenantes. Par exemple, en recourant à une approche « système » de la complexité et « interactive » de la rationalité lors de la modélisation pour éviter de s’enliser dans des modèles opaques perdant toute valeur pour les parties prenantes. Un autre exemple consiste à bien prendre en compte les effets d’entraînement dans l’Analyse Coût Bénéfice des unités pilotes, ces effets pouvant justifier un lancement plus rapide de ces projets qu’une analyse traditionnelle.  

 

[1] L’étude a été animée par la Direction de la Recherche du Groupe Renault.

 

Pour aller plus loin 

  Télécharger le rapport 

 

« Mettre en œuvre la transition énergétique : les enjeux de la planification et de la politique industrielle » [1]

 

 

 

 

[1] Le rapport a été rédigé par Dominique Bureau, Yann Chazal, Elodie Le Cadre-Loret, Matthieu Petiteville (rapporteur), Jean-Pierre Ponssard, Jean-Michel Trochet et Murès Zarea. Il a également bénéficié de la collaboration de l’Association Nationale de Recherche Technologique (ANRT), représentée par Clarisse Angelier et Olivier Appert.