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Crédit © SOLIDEO - Illuminens / Dominique Perrault / Ingérop / Une Fabrique de la Ville / VITEC / Agence TER / UrbanEco / Jean-Paul Lamoureux
Quel sera l’héritage des aménagements liés aux Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 au cœur de la Plaine de France, et plus spécifiquement, quels seront leurs impacts sociaux, environnementaux et économiques ?
L’évaluation du projet « îlot D » du Village des athlètes à Saint-Ouen porté par le groupement Caisse des Dépôts, Icade et CDC Habitat, met en évidence des retombées socio-économiques très positives, réparties entre les bénéficiaires, la société, mais aussi les finances publiques.
Paris, ville hôte des Jeux de 2024, lance l’aménagement d’un nouveau quartier qui accueillera les athlètes participants[1] et leurs accompagnants, afin qu’ils puissent profiter des meilleures conditions possibles en termes de logements, de services et de sécurité. Le site choisi pour le futur Village des athlètes est celui de Pleyel-Bord de Seine, situé dans le département de Seine-Saint-Denis. Il est réparti sur 3 communes : Saint-Denis, Saint-Ouen et l’île-Saint-Denis, et a été choisi pour son accessibilité (future gare St Denis Pleyel du Grand Paris Express), sa proximité des sites sportifs (5 mn du Stade de France, 80 % des sites Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 à moins de 10 km) et sa taille.
En sa qualité d’aménageur, la Société de Livraison des ouvrages olympiques (Solideo) a sélectionné différents maîtres d’ouvrages pour le Village des athlètes et la SSCV Les Quinconces, constituée du groupement Caisse des Dépôts – Icade – CDC Habitat, a remporté l’aménagement de l’îlot D, l’une des parties du site.
La Caisse des Dépôts a confié au cabinet Citizing une évaluation des retombées extra-financières ex ante du projet. L’évaluation porte à la fois sur les retombées de la phase de chantier, de la phase de jeux et de la phase « Héritage », post-Jeux de Paris 2024. L’objectif est d’estimer quelles seront les retombées sociétales (en termes environnemental, social et économique) de ce nouveau quartier. Pour ce faire, il est nécessaire de recourir à un exercice intellectuel consistant à scénariser un contrefactuel, c’est-à-dire une situation alternative où ce projet n’aurait pas existé, ou aurait été conduit avec des modalités et/ou des exigences différentes. C’est en comparant le projet à son contrefactuel que l’on peut en estimer son impact. Ici, deux contrefactuels ont été définis, permettant d’analyser le projet selon deux angles différents : quels impacts de cet aménagement par rapport à l’évolution la plus vraisemblable du quartier en l’absence de village des athlètes (partie I) ? Et quels impacts par rapport à un projet standard, c’est-à-dire moins ambitieux (partie II) ? La méthode employée est celle des évaluations socio-économiques (partie III).
Afin de valoriser les impacts liés à l’aménagement complet d’un quartier, le premier contrefactuel utilisé dans cette évaluation présente l’évolution la plus probable du quartier en l’absence de construction d’un Village des athlètes[2]. Les entretiens menés auprès des collectivités locales du secteur ont laissé supposer que les activités économiques présentes sur le site auraient perduré et que la résidence étudiante sur place aurait aussi été maintenue. Ainsi, ce contrefactuel permet de poser la question de ce qu’il se serait passé dans le quartier en l’absence de projet alternatif au Village des athlètes et de mettre en avant les impacts de la conversion d’une zone industrielle en un village des athlètes pour les Jeux de Paris 2024, puis en un espace principalement résidentiel.
Les impacts de l’aménagement sont comptabilisés de la manière la plus exhaustive possible. Parmi les 35 impacts identifiés (11 identifiés en phase de construction, 4 pendant les Jeux de Paris 2024 et 20 en phase « Héritage »), 27 ont pu être quantifiés (ou « monétarisés »). La majorité de ces impacts interviennent durant la phase de chantier, où se concentrent les impacts négatifs dus aux externalités occasionnées par la construction (émissions de gaz à effet de serre, bruit…) et sur la phase « Héritage ».
Les résultats de l’évaluation montrent un impact globalement très positif sur le long terme :
Ainsi, le projet apparaît dans ce premier contrefactuel comme un démonstrateur de la capacité du Groupement à transformer favorablement un territoire, contribuant positivement à plusieurs Objectifs de développement durable (ODD) de l’ONU[3].
Un impact portant essentiellement sur la phase de reconversion en logements
D’abord, la décomposition des impacts par phase montre que l’impact principal du projet porterait sur la dernière, la phase « Héritage », avec une VAN de plus de 86 M€ (cf. graphique 2). Cette phase correspond au moment où le Village des athlètes sera reconverti en un quartier résidentiel, avec logements familiaux, résidences sociale et étudiante, commerces de proximité etc. Ce bilan nettement positif provient essentiellement des impacts sociaux et économiques et profite sans surprise pour l’essentiel aux futurs résidents de l’îlot D, à travers plusieurs effets : baisse des dépenses de loyers (création de nouveaux logements sociaux), baisse des dépenses d’énergie, gains de temps avec la proximité des transports, mais aussi meilleure santé et amélioration de l’espérance de vie liée au fait d’habiter dans des logements neufs et de qualité.
Ensuite, la phase Jeux est légèrement positive (+4 M€) : le montant est faible du fait de la durée limitée des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, mais il apparaît que le fait de construire un village des athlètes par rapport à une situation où aucun village ne serait construit, engendre un gain financier pour les athlètes (absence de dépenses d’hébergement pendant leur séjour) mais aussi pour le secteur du tourisme (dépenses touristiques supplémentaires dans la capitale). Il permet aussi une plus grande sécurité et un meilleur déroulement global des jeux, quoique ces derniers impacts n’aient pu être monétisés.
La phase construction, enfin, produit un impact global négatif (-11,6 M€), notamment d’un point de vue environnemental (-2,2 M€), par rapport à une situation sans chantier. Les émissions de particules fines (plus de 40 000 km parcourus par les camions de chantier pour 39 000 tCO2eq émis[4]) et les nuisances sonores représentent un coût monétaire estimé à 8,4 M€. Les retombées pour l’économie et l’emploi (207 000 heures travaillées en insertion entre 2021 et 2025 générant un gain de pouvoir d’achat pour les bénéficiaires et des recettes pour les finances publiques) sont en revanche positives de 6,5 M€.
Focus : le bâtiment Cycle, des bénéfices potentiels élevés
A travers la construction du bâtiment Cycle, l’îlot D a pour ambition d’être un démonstrateur de la ville durable. L’évaluation socio-économique a permis d’objectiver ses bénéfices extra-financiers.
Ce bâtiment est une innovation porteuse d’impacts. Ce bâtiment accueillera 28 ménages et sera un démonstrateur de l’économie circulaire dans l’immobilier. L’étude a ainsi valorisé deux impacts de son fonctionnement : le traitement optimisé du circuit d’eau (réduction de la consommation d’eau potable et recyclage de la moitié des eaux grises), ainsi qu’une valorisation des urines comme engrais.
En modélisant ces deux impacts, on estime que le bénéfice extra-financier du seul bâtiment s’élève à environ 94 000 €. Si tous les bâtiments de l’îlot D avaient été conçus comme le bâtiment Cycle, un bénéfice extra-financier supplémentaire de 2 M€ aurait pu être mesuré.
Le projet porté par la SCCV Les Quinconces pour l’îlot D a vocation à être un démonstrateur de la ville durable. Pour comprendre à quel point les engagements pris par le groupement Caisse des Dépôts sont cohérents avec les moyens mis en œuvre, le deuxième contrefactuel permet d’appréhender les retombées du projet par rapport à une alternative pour ce même îlot D, mais moins ambitieux d’un point de vue environnemental et social.
Le projet de l’îlot D est plus ambitieux et donc plus coûteux qu’une construction standard. D’une part en raison des délais de programmation très contraignants du fait des Jeux, interdisant tout retard. D’autre part, en raison des exigences environnementales et sociales beaucoup plus ambitieuses que dans le contrefactuel : par exemple, les rotations de camion y seront moins nombreuses et les déchets de chantier seront évacuées par voie fluviale. Le bilan carbone PCE sera en outre deux fois moins élevé et les matériaux pour la construction seront réemployés au maximum. Les exigences en termes d’inclusion sociale sont aussi plus fortes : l’emploi en insertion sur le chantier est deux fois plus élevé que sur d’autres projets (10 % contre 5 % en moyenne). Les bâtiments sont enfin très innovants pour l’adaptation au changement climatique (système de rafraîchissement par le sol ; bâtiment Cycle recyclant les eaux usées -voir encadré ci-dessous- etc.).
Malgré les coûts financiers engendrés par ces exigences, les retombées extra-financières rendent le projet nettement positif dans ce contrefactuel aussi : la VAN extra-financière est de +15,7 M€ (ROI de 1,44). En particulier, les gains environnementaux du chantier (+35,1 M€ - cf. graphique 5) suffisent à eux seuls à justifier le surcoût de l’opération. La VAN extra-financière est atténuée par les subventions nécessaires à l’équilibrage de l’opération. Mais, même en tenant compte de ce facteur, l’impact reste largement positif. L’effet pour les riverains va lui aussi dans le bon sens, grâce à une phase chantier exemplaire (réduction des nuisances sonores et de la pollution).
L’évaluation extra-financière de l’îlot D repose sur la méthode des évaluations socio-économiques ex ante. Cette approche est largement utilisée, en particulier pour les projets d’investissement public : à partir d’un certain seuil, elle est même obligatoire (investissements où la participation de l’Etat ou de ses établissements dépasse 20 M€. Au-delà de 100 M€, l’évaluation doit même être assortie d’une contre-expertise indépendante).
Le principe est de prendre en compte l’ensemble des coûts et bénéfices du projet, financiers comme extra-financiers, susceptibles de survenir pendant sa durée de vie. Ces coûts et bénéfices étant disparates, ils doivent être exprimés dans une unité commune. C’est pourquoi il a été décidé de produire un bilan exprimé en euros permettant de valoriser les impacts en termes de coûts et d’avantages « monétarisés » pour la collectivité. Le projet ainsi monétarisé est comparé à un contrefactuel : situation « au fil de l’eau » en l’absence de projet, ou projet alternatif. L’estimation de la monétarisation des coûts et bénéfices reposent sur plusieurs sources : littérature académique (méthodes des consentements à payer, méthode des coûts complets), impact économique direct (ex. masse salariale) ou valeurs tutélaires (voir encadré ci-dessous).
Focus : les valeurs tutélaires
Une valeur tutélaire correspond à la valeur officielle, définie par la puissance publique, donnée à un bien non marchand. Elle représente la valeur ou le coût pour la collectivité de ce bien, et doit être utilisée dans les calculs socioéconomiques, notamment pour les projets d’investissement en infrastructures publiques au-delà d’un certain seuil.
L’avantage qu’offre une valeur tutélaire est de permettre une certaine comparabilité entre les évaluations, ou en tous cas d’obtenir une cohérence méthodologique entre elles. Elle est rendue nécessaire par le fait que les investissements sont créateurs de valeur marchande et non-marchande. Une évaluation de projet qui ne se fonderait que sur les prix des marchés de biens et services ne reflèterait qu’imparfaitement les externalités pour la société.
Il existe une multitude de valeurs tutélaires pour les principaux paramètres entrant dans les calculs d’évaluations socio-économiques et pour lesquels il n’existe pas de valeur de marché : le temps, les années de vie humaine, le bruit, etc. Il peut aussi exister des valeurs tutélaires pour lesquelles la valeur de marché existe mais est trop éloignée de la valeur jugée comme optimale pour l’intérêt général, comme c’est le cas pour le carbone. La valeur tutélaire de ce dernier est certainement la plus emblématique. En France, elle a été déterminée officiellement par la Commission Quinet (« La valeur de l’action pour le climat », 2019). Elle reflète les efforts nécessaires à accomplir afin d’arriver à l’objectif de neutralité carbone (ou zéro émission nette de gaz à effet de serre) en 2050. Par exemple, la tonne d’équivalent CO2 à prendre en compte dans les évaluations socio-économiques était de 90 € en 2020. Elle s’accroît ensuite progressivement pour atteindre 775 € en 2050.
(Source : d’après France Stratégie)
Cette approche n’est toutefois pas exempte de limites. En effet, les impacts socio-économiques ne peuvent être valorisés de manière totalement exhaustive. Dans la présente évaluation, plusieurs impacts ont été identifiés formellement, mais leur valorisation était impossible car entourée d’une trop grande incertitude. Cela peut être lié à un trop grand manque de données ou d’information directe, à l’incertitude sur la nature exacte et l’ampleur des impacts, ou à la variabilité trop importante des impacts dans la littérature. Par exemple :
En revanche, ces impacts identifiés ex ante pourront éventuellement être suivis en cours de projet ou ex post si l’information est jugée pertinente (par ex. questionnaire auprès des employés le moment venu).
Notes
[1] Soit 23 000 athlètes : plus de 14 000 pour les Jeux olympiques et 9 000 pour les Jeux paralympiques.
[2] Evolution selon les plans locaux d’urbanisme -PLU- antérieurs à la décision du comité organisateur des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024.
[3] 1 (pas de pauvreté) – 8 (travail décent et croissance économique) – 10 (inégalités réduites) – 11 (villes et communautés durables) – 12 (consommation et production responsables) – 13 (lutte contre le changement climatique) et 15 (vie terrestre).
[4] Contributions directes du chantier et indirectes des produits de construction et équipements (PCE).
Cabinet Citizing
Julie Debrux, associée et directrice du pôle Évaluation, julie.debrux@citizing-consulting.com
Charles-Elie Laly, analyste, charles-elie.laly@citizing-consulting.com
Dorian Pinsault, dorian.pinsault@citizing-consulting.com
Equipe Stratégie durable et évaluation
Claire Visentini, responsable du pôle, claire.visentini@caissedesdepots.fr
Julien Garnier, chef de projet évaluation, julien.garnier@caissedesdepots.fr
Equipe direction régionale Ile-de-France
Camille Picard, directrice territoriale Val d’Oise et Seine-St-Denis, camille.picard@caissedesdepots.fr
Céline Lains, directrice de projet village des athlètes, celine.lains@caissedesdepots.fr