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La répartition entre revenus du travail et du capital détermine les conditions d’une croissance économique satisfaisante, telle est notre conviction. Les conclusions de nos travaux montrent que la répartition optimale de la valeur ajoutée est de 2/3 pour les salaires et donc de 1/3 pour les profits. On est très loin de cette répartition dans les économies avancées car elle a profondément évolué en faveur du profit depuis plusieurs décennies, tandis que la croissance économique ne cessait de décliner, ce qui ne peut que susciter d’importantes réflexions.
Ce résultat repose sur une modélisation très robuste, d’inspiration Ricardienne, confirmée par les trajectoires macroéconomiques des 17 économies avancées étudiées. David Ricardo avait raison de considérer dès 1817 que la répartition du revenu est un problème majeur en économie. En réalité, Ricardo fut très marqué par Adam Smith qui, dès 1776, fait le constat que les Hollandais ont de meilleurs salaires que les Anglais et une économie plus dynamique, alors que les profits de leurs entreprises sont plus faibles. Déjà, les profits anglais ne ruisselaient pas sur l’économie !
La démonstration est basée sur une nouvelle vision de la croissance et de la répartition réconciliant les grandes idées structurantes de Schumpeter, celle de la destruction créatrice, de Keynes, celle du rôle de la demande effective, et de Ricardo, celle de l’importance du partage du revenu.
Trois enseignements majeurs sont mis en lumière. Sur le long terme, la croissance de l’emploi est maximale pour une répartition de 2/3 pour les salaires et de 1/3 pour les profits. En effet, pour les entrepreneurs, il existe une incitation à créer des emplois lorsque la part des profits est inférieure à 1/3, mais aussi une incitation à détruire des emplois dans le cas contraire.
On comprend alors que les Etats-Unis ont été une remarquable machine à créer des emplois, depuis 1875 et jusqu’aux années 2000, tout en connaissant une part des profits d’environ 1/3, relativement stable malgré les nombreuses crises et révolutions industrielles qui se sont succédé ! Dès les années 2000, les Etats-Unis rompent avec cette règle vieille de 175 ans et la croissance économique diminue nettement en tendance.
Deuxièmement, cette répartition optimale est susceptible de générer une croissance durable et résiliente face aux chocs économiques. Enfin, la hausse de la part du profit entrave la croissance de la production et de la productivité. En conclusion, la répartition de 2/3 pour les salaires est optimale pour une croissance soutenable, résiliente et riche en emplois sur le long terme.
Ces enseignements permettent d’éclairer d’autres trajectoires économiques comme celles du Japon et des pays européens. Par exemple, pour l’Europe et la zone euro, on est très loin de la répartition optimale depuis la crise de 2008, les profits ayant la part belle avec environ 37-38%, à l’image de l’Allemagne et ses 37% ; en parallèle la stagnation économique est au rendez-vous !
La France suit cette évolution générale avec une part du profit se hissant de 27% à 36% jusqu’à la crise financière de 2008, mais contrairement aux autres pays, la part du profit régresse ensuite pour revenir à une répartition en apparence idéale de 33%. En réalité, derrière cette moyenne, se cachent de grandes disparités entre grandes et petites entreprises, notamment celles du CAC40 où la part du profit est très élevée, atteignant 44% de la valeur ajoutée. Là aussi, on est loin de la répartition idéale !
Ce nouveau paradigme de la répartition doit être mis en œuvre pour surmonter les nombreux défis économiques des décennies à venir (changement climatique, vieillissement, inégalités) qui assaillent les économies avancées.
Nos trois leçons offrent une porte de sortie à cette stagnation préoccupante de nos économies afin de retrouver une meilleure croissance, plus durable et mieux partagée. De nouvelles politiques économiques sont proposées. Par exemple, l’investissement dans les nouvelles technologies en faveur d’une économie décarbonée doit se conjuguer avec une hausse des salaires, surtout des plus modestes, permettant aux salariés d’acquérir les « biens verts » indispensables à la transition. La création de nouveaux emplois indispensables pour accompagner les nouvelles transitions sera aussi favorisée par une répartition salaires-profits plus équilibrée.
En définitive, ce nouveau paradigme débouche sur une loi majeure, celle d’une répartition salaires-profits de deux tiers-un tiers qui permet de stabiliser une croissance durable et mieux partagée. Bien sûr, tout cela n’est pas facile à mettre en œuvre, des exceptions sont à envisager par exemple pour les startups, mais c’est en se rapprochant de cette « règle d’or » que l’on pourra affronter les multiples autres défis auquel le monde doit faire face.
L’Institut pour la Recherche de la Caisse des Dépôts est partenaire de la Chaire « Transitions Démographiques, Transitions Economiques », portée par la Fondation du Risque et dirigée par Jean-Hervé Lorenzi et Alain Villemeur.
Aller plus loin
Cet article est issu d’un ouvrage à paraître « Partage vertueux entre salaires et profits », tiré de la recherche sur la modélisation de la croissance réalisée par Jean-Hervé Lorenzi et Alain Villemeur. Ce livre exprime leur conviction que la répartition entre revenus du travail et du capital détermine les conditions d’une croissance économique satisfaisante. Il est la version française, quelque peu simplifiée, de leur ouvrage plus théorique « Global Theory of Growth and Distribution » paru en 2023 aux Editions Economica.