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Crédit ©stokkete/ Adobe stock
À l'heure où le secteur du tourisme fait face aux défis majeurs de la transition écologique, la question des mobilités touristiques s'impose comme un enjeu stratégique incontournable. Représentant près de 70% des émissions de gaz à effet de serre du tourisme en France, les déplacements liés aux activités touristiques constituent à la fois un défi environnemental considérable et une opportunité de transformation des pratiques. Entre nécessité de décarbonation et volonté d'enrichir l'expérience voyageur, les mobilités touristiques dépassent aujourd'hui la simple notion de transport pour devenir un élément central de l'offre touristique.
Longtemps considérées comme un segment particulier du transport de voyageurs, les mobilités touristiques présentent pourtant des spécificités qui appellent à repenser leur conception et leur mise en œuvre. Qu'il s'agisse du trajet vers la destination, des déplacements sur place ou des mobilités expérientielles, chaque dimension implique des attentes distinctes et des enjeux propres.
Les mobilités touristiques désignent les déplacements effectués par les voyageurs dans le cadre de leurs activités touristiques. Il s’agit d’une mobilité d’agrément qui recoupe trois dimensions :
Si ces mobilités constituent un objet d’étude bien défini sur le plan théorique, elles sont encore peu ou mal prises en compte dans la conception et la mise en œuvre des politiques de transports, et au mieux, intégrées indirectement dans la notion de transport de voyageurs. Pour autant, les mobilités touristiques représentent un sujet à part entière et se confrontent à plusieurs freins :
Dans un cas subi - un besoin quotidien -, dans l’autre choisi - une envie -, le motif du déplacement impacte la perception du voyage et donc les attentes à son égard : praticité, simplicité, liberté d’utilisation, mais surtout prix attractif et expérience vécue.
Les mobilités touristiques sont à l’origine de 68 MtCO2e d’émissions de gaz à effet de serre en 2022, soit 69 % du bilan des émissions de GES du tourisme en France[1]. Parmi ces émissions, le transport origine-destination constitue la majeure partie, avec 60 MtCO2e, soit 59 % des émissions totales. Les déplacements sur place ne représentent que 7% des émissions, mais jouent un rôle majeur dans la sélection du mode de transport pour arriver à destination. La voiture représente la moitié des émissions de la mobilité touristique. La décarbonation demande donc de réduire l’utilisation de la voiture et d’assurer des mobilités plus durables : promotion du train, mise en tourisme de l’offre de transports collectifs, mobilités actives sécurisées, traitement des derniers kilomètres, etc.
La Région Occitanie a misé sur la mise en tourisme de son offre TER par une carte interactive et marketée (lignes thématisées), une tarification dédiée (10€/jour en illimité dans la Région) et des offres packagées de séjour 100% train.
De son côté, le Réseau National des Grands Sites a lancé un concept d’« escapade nature sans voiture » pour amener à explorer sans voiture les paysages emblématiques. Du côté de l’Aude, un itinéraire en boucle est proposé entre les 3 Grands Sites (Cité de Carcassonne, canal du Midi-Béziers et Cité de Minerve).
En plus de réduire les émissions de GES du tourisme, agir pour des mobilités touristiques plus durables est un levier essentiel de développement territorial. L’accessibilité renforcée de sites naturels, la connectivité des lieux d’hébergement et des sites de visite, la création de boucles de visite, sont autant de solutions pour mieux répartir les flux touristiques et par conséquent les retombées à l’échelle d’un territoire.
La gestion des mobilités peut également contribuer à éviter les situations de surfréquentation, en offrant des alternatives de transport ou en orientant vers des sites de visite moins saturés. En structurant un réseau d’itinéraires (vélo, VTT, randonnée, etc.) accompagné de services adaptés, les territoires contribuent au rééquilibrage territorial de la fréquentation touristique tout en ouvrant des perspectives de désaisonnalisation de l’offre.
La France dispose d’un maillage de véloroutes conséquent de 15 000 km d’itinéraires aménagés, et de nouveaux parcours fleurissent chaque année. Le dernier en date : la véloroute Cœur de France à vélo (n°46), connectant la Touraine, le Berry et le Bourbonnais, considéré par les acteurs locaux comme un réel « levier économique » pour des territoires ruraux.
Dans le but de préserver la vallée de la Clarée (site naturel classé), un système de navette est mis en place chaque année pendant la période estivale depuis un parking gratuit, en parallèle de la fermeture à la circulation de la route de la haute Clarée aux véhicules de tourisme pendant la journée.
La décarbonation des mobilités touristiques peut aussi contribuer à la transition écologique des mobilités du quotidien. En favorisant les modes de transport collectifs et actifs dans le cadre du tourisme, les comportements des usagers influencés dans leur séjour peuvent ainsi l’être durablement dans leur quotidien. Ces pratiques acquises en vacances peuvent amener à un progressif report modal et une réduction de l’autosolisme. En intégrant ces approches, les territoires offrent ainsi des alternatives de transport écologiques et pérennes pour leurs habitants, tout en réduisant l'empreinte carbone des déplacements touristiques.
Le service de transport en commun de Besançon Métropole (Ginko) a développé une application de visite guidée numérique gratuite à bord du tramway et de la ligne Ginko Citadelle, ligne régulière qui relie les principaux sites patrimoniaux bisontins (dont la Citadelle inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO).
La Normandie a mis en place en 2024 un tarif bas-carbone qui vise à récompenser un voyageur utilisant des moyens de transport durables (train, car ou vélo) en lui permettant de bénéficier d’une réduction de 10% dans +de 90 lieux de visite et de loisirs normands.
La mobilité touristique est à un tournant qui ne peut se prendre sans une approche intégrée et coordonnée impliquant à la fois les acteurs du tourisme et du transport, pour continuer à sensibiliser les touristes et inciter au changement comportemental, à renforcer les infrastructures de transport durable (notamment ferroviaire et itinérance) et à soutenir des innovations technologiques clés pour le passage à l’échelle.
[1] SCET et Carbone4 pour l’ADEME (2024), Bilan carbone du tourisme en France