Le début d’été 2024, humide et frais, était presque parvenu à nous faire oublier l’urgence d’adapter les territoires urbains au changement climatique. Pourtant, avec ses trois épisodes de canicule, l’été 2022 avait provoqué une prise de conscience généralisée : la résilience des territoires urbains passera, entre autres, par le végétal et le déploiement des solutions fondées sur la nature, dans le prolongement des confinements de 2020 qui avaient déjà placé les espaces verts au premier plan.

Cette conscientisation s’est accompagnée de nombreux engagements de plantation d’arbres pris par les élus communaux : 1 par nouvelle naissance, 1 par habitant, 3 pour 1 arbre abattu, des centaines des milliers voire un million de plants sur une mandature…

Cependant, ces engagements suffisent-ils à rendre nos villes plus vivables en cas de fortes chaleurs, de pics de pollution, d’épisodes de pluie intense ? Permettent-ils de renouer une relation harmonieuse avec la biodiversité en ville ? Comme souvent, le sujet est à prendre avec nuance et technicité. Voici quelques pistes pour éviter certains écueils.

Connaître son patrimoine arboré, les bienfaits qu’il procure et sa vulnérabilité

Les collectivités locales connaissent pour la plupart très bien leur patrimoine arboré, a minima les caractéristiques principales des arbres (diamètre, hauteur, maturité, caractère remarquable, etc.) et leur état phytosanitaire.

Certaines vont au-delà et évaluent les « services » rendus par ce patrimoine existant : évaluation du stock carbone sur pied et à venir, contribution au rafraîchissement urbain, contribution à la biodiversité, à la gestion des eaux pluviales, à l’absorption des polluants atmosphériques, à la réduction des nuisances sonores, etc. Cette évaluation peut même se concrétiser par la détermination d’une valeur économique associée à l’arbre, par exemple grâce à des outils comme le Barème de l’Arbre de Plante & Cité. En outre, certaines collectivités travaillent à diagnostiquer leurs arbres au regard de leur capacité d’adaptation aux différents scenarii climatiques qui devraient affecter le territoire.

Ce travail préalable semble fondamental aujourd’hui pour conduire toute politique de gestion et d’accroissement du couvert arboré sur un territoire urbain. Il permet de cibler les efforts de préservation en faveur des arbres les plus pourvoyeurs d’aménités ou ayant le plus fort potentiel. Ne perdons jamais de vue que les arbres existants rendent d’ores et déjà des services  quand tous ceux que nous plantons ne le feront réellement que dans plusieurs dizaines d’années.

En revanche, les autres propriétaires fonciers en ville (bailleurs sociaux, foncières, entreprises…) n’ont pas nécessairement une bonne connaissance de leur patrimoine arboré qui rend pourtant des services essentiels sur un même territoire. De nombreuses collectivités ont de ce fait entamé un dialogue partenarial pour encourager cet effort de connaissance sur ces patrimoines privés.

Planter des arbres adaptés à l’environnement du site choisi et aux enjeux du territoire

Les projets d’accroissement du couvert arboré en milieu urbain s’accompagnent bien souvent d’un aménagement végétal plus complet, intégrant une strate arborée mais pas seulement : toutes les strates (arbustives, herbacés, plantes grimpantes) doivent être considérées et associées lorsque cela est possible pour optimiser les services rendus.

Concentrons-nous ici sur les arbres et les arbustes : comment définir une palette d’essences pertinente ? Plusieurs paramètres sont à considérer :

  1. L’adaptation des essences aux conditions du sol, de disponibilité en eau et d’exposition. En effet, les jeunes arbres doivent d’abord bénéficier des meilleures conditions pour se développer, sans quoi aucune des aménités souhaitées ne pourra s’exercer de manière pleine et durable.
  2. Le potentiel d’adaptation des essences aux effets du changement climatique, exacerbé en milieu urbain, et aux nouvelles pathologies associées.
  3. L’adaptation des espèces à l’espace disponible, aérien et souterrain. L’enjeu est d’optimiser l’ombrage (canopée) sans créer de nuisances pour les riverains ou les infrastructures et éviter ainsi des élagages fréquents.
  4. L’insertion paysagère et écologique des arbres au regard de l’identité des paysages existants et des enjeux de continuités écologiques existantes ou potentielles.

Un paramètre optionnel est également à considérer : la disponibilité des plants auprès des pépinières locales. En effet, la recrudescence des nouvelles plantations en sus du remplacement des arbres déjà implantés, fragilisés par les épisodes de sècheresse ou envahis de pathogènes engendrent des tensions sur l’approvisionnement en plants voire des pénuries, particulièrement sur les arbres âgés de plus de 5 ans. Une réflexion de moyen terme sur les palettes d’essences applicables aux projets du territoire et les volumes associés peut permettre à une collectivité de sécuriser (par contrat d’approvisionnement) la fourniture des plants auprès de pépinières locales en leur donnant de la visibilité.

Poser dès la conception d’un projet les bases d’une gestion écologique sur le long terme

La gestion d’un projet arboré et de végétalisation par la collectivité doit faire l’objet d’une réflexion sur le long terme et donc d’un plan de gestion écrit, même de façon simple, afin de s’assurer que les arbres évolueront comme prévu.

L’application d’une gestion écologique, favorable à la biodiversité tout en respectant le cadre de vie des riverains, apparaît aujourd’hui comme une nécessité.

Sans nécessairement aller jusqu’à l’adhésion à des labels de gestion écologique, la collectivité peut se doter d’une stratégie de gestion écologique globale pour son patrimoine arboré et la décliner de façon différenciée et adaptée pour chaque site.

Si les mentalités et les pratiques évoluent depuis déjà plusieurs années, il apparaît qu’un travail de formation et de sensibilisation des jardiniers et techniciens des collectivités locales ou d’acculturation des prestataires, notamment via la rédaction de nouveaux cahiers des charges est nécessaire.

Parmi les bonnes pratiques, nous pouvons prendre l’exemple de la Ville de Marseille qui a conçu un appel d’offre de gestion d’un espace vert en partant de sa vision pour le site à 25 ans, en le dessinant et le décrivant tel qu’il devrait ressembler si la gestion souhaitée était appliquée puis en décrivant des points d’étapes antérieurs pour arriver jusqu’à l’année de démarrage du marché.

S’appuyer sur les dispositifs de financement existants

Planter en ville peut coûter excessivement cher (notamment si l’on rapporte les coûts de l’arbre en ville à celui planté en forêt : quelques dizaines de centimes contre quelques centaines voire milliers d’euros), spécifiquement en cas de désimperméabilisation associée ou d’import de sol végétal. Souvent, des aides existent pour supporter une partie du coût d’investissement : Fonds Vert, subventions des Agences de l’Eau, aides régionales, intercommunales, etc. Selon les territoires et les typologies de projets, ces aides peuvent couvrir effectivement jusqu’à 80% des coûts d’investissement d’un projet.

Mais de nouvelles voies s’ouvrent aujourd’hui pour apporter un cofinancement d’origine privé à ces projets, en complément des aides publiques voire en substitution à celles-ci. Mentionnons ici :

  • Le mécénat, qui peut être direct ou intermédié par un fonds de dotation et qui permet à des entreprises de s’engager sur leur territoire en contrepartie d’un avantage fiscal.
  • Le financement de services environnementaux rendus par les projets : cette fois-ci, le financeur contribue en faveur d’un projet à haute valeur environnementale sur son territoire, sans contrepartie fiscale. Cela lui permet de pouvoir communiquer sur sa contribution spécifique à un projet et à ses impacts et de se voir attribuer des « crédits carbone ». C’est par exemple le cas dans le cadre de la méthode Ville arborée du Label bas-carbone, portée par la Société Forestière. Ce type de financement est d’autant plus intéressant qu’il peut être mis au regard des coûts de gestion du projet et donc du budget de fonctionnement de la collectivité, en complémentarité avec les aides existantes.

 

Simples éléments du mobilier urbain dont il fallait avant tout limiter le risque et les désagréments pour les habitants il y a encore quelques années, les arbres sont devenus des protagonistes de premier plan de l’effort d’adaptation des villes au changement climatique. Cet engouement, doit s’appuyer sur les techniciens de la collectivité et des experts externes lorsque nécessaire, pour s’assurer de la pérennité de l’ensemble du patrimoine arboré et des projets de plantation.