Si la notion de mobilité low-tech touche dans les faits le report de l’usage de la voiture individuelle vers des modes plus sobres de déplacement, elle replace aussi cette transition dans une réflexion plus large autour de pourquoi et comment nous nous déplaçons – personnes et marchandises - en ville. Sans prôner l’immobilisme, il s’agit de se déplacer moins pour se déplacer mieux, en combinant une diversité de solutions pour tendre vers des mobilités moins subies, plus actives, moins dépendantes de la technologie, notamment des véhicules motorisés, plus partagées, et inclusives.

Cet article est le troisième d’une série restituant les grands enseignements de l'étude parue en février 2022 « Pour des métropoles low-tech et solidaires » menée par le think tank Le Labo de l’ESS avec 6 territoires (Bordeaux, Lille, Lyon, Paris, Poitiers et Strasbourg) avec le soutien de l’Institut pour la recherche de la Caisse des Dépôts, montrant que l’économie sociale et solidaire (ESS) est particulièrement ressource pour la mise en œuvre d’une telle démarche.

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Démobilité et modes actifs : (se) déplacer moins et mieux

  1. Démobilité : réduire globalement les flux de déplacement sans tendre vers l’immobilisme

Conformément aux principes de la low-tech, la réponse aux enjeux de mobilité doit partir du questionnement du besoin même de (se) déplacer. Appliquer la démarche low-tech à la mobilité appelle donc dans un premier lieu à réduire nos déplacements et donc à envisager une certaine forme de démobilité.

Ce concept, popularisé au début des années 2010, renvoie à la perspective de « diminuer les mobilités subies et augmenter les mobilités choisies »[1]. La démobilité n’est donc pas l’immobilisme : il ne s’agit bien sûr pas de tendre vers un comportement essentiellement casanier, mais plutôt de réduire nos déplacements lorsque cela est possible et souhaitable. L’intérêt est à la fois écologique (nos déplacements, encore très largement dépendants de l’automobile, comptent pour 30% des émissions nationales de gaz à effet de serre[2]) et relatif au bien-être individuel (temps gagné, stress évité, etc.).

Pour favoriser cette démobilité des personnes, tout en s’assurant l’accès aux biens et services dont nous avons besoin, il faut avant tout garantir la présence dans un rayon géographique assez restreint des lieux qui offrent des réponses à nos besoins. Cet objectif de proximité – spatiale et donc temporelle[3] – ne peut en effet être atteint que grâce à une planification urbaine favorisant la mixité des usages des espaces (et grâce à leur densification, comme exprimé dans le précédent article de cette série) et un polycentrisme territorial. Concernant les trajets domicile-travail, qui ne pourront pas être totalement ramenés à cette échelle de l’immédiate proximité, le développement du télétravail peut également accompagner la démobilité. Toutefois, tous les emplois ne sont pas concernés par cette solution et la généralisation du travail à distance risque d’accroître la dépendance de nos activités à la technologie, de fragiliser le lien social et la cohésion au sein des organisations et de précariser les conditions de travail des personnes ne pouvant télétravailler dans de bonnes circonstances.

La démobilité concerne également les flux de biens et de matériaux qui composent le métabolisme urbain. Là encore, il ne s’agit pas de stopper l’approvisionnement des villes et de leurs habitant·e·s mais de réduire les déplacements logistiques superflus, en diminuant notre consommation globale et, plus particulièrement, le recours à la livraison express et à domicile, au profit du développement d’une production locale, notamment artisanale[4].

 

  1. Mobilités actives : s’affranchir des moteurs pour des déplacements plus sobres et conviviaux

La réduction et relocalisation des déplacements urbains est par ailleurs favorable au développement des mobilités actives, c’est-à-dire mobilisant essentiellement la force motrice humaine : marche, vélo, trottinette, rollers, entre autres.

Ces modes actifs se trouvent au cœur d’une démarche de mobilité low-tech car, comparés aux modes motorisés, ils nécessitent relativement peu de technologie et de ressources pour leur fabrication et leur usage, et ils sont plus simples et plus facilement accessibles et appropriables : le fonctionnement du vélo, en plus de sa faible empreinte technologique, est plus aisément compréhensible que celui de la voiture, l’apprentissage de son usage moins complexe et coûteux (en temps et en argent), il est plus facilement réparable, etc.

Afin de développer les mobilités actives, les acteur·rice·s de la fabrique urbaine peuvent, en plus de concevoir une ville de la proximité, multiplier et agrandir les espaces (trottoirs, pistes, bandes cyclables etc.) et aménagements (stationnement sécurisé, aires de réparation etc.) dédiés à ces différents modes de déplacement, au regard de ceux dédiés aux véhicules motorisés[5].

Par ailleurs, le développement des modes actifs suppose un effort de sensibilisation, d’information et de formation, tant pour lever les freins pratiques (connaissance du code de la route et compétences) que psychologiques (confiance en soi et appréhensions liées à la sécurité), ainsi que la multiplication, dans la proximité, d’aides et de services pour acquérir et entretenir/réparer son matériel. Concernant ces deux derniers points, les initiatives de l’ESS sont aujourd’hui très mobilisées s’inscrivant dans des démarches solidaires et promouvant l’autonomie des usager·ère·s. À l’instar, par exemple, des Jantes du Nord, un atelier lillois de réparation vélo favorisant l’autoréparation accompagnée et le réemploi de pièces ainsi que l’achat de vélo d’occasion, ou de CADR 67, une association strasbourgeoise proposant des cours individuels et collectifs pour apprendre à utiliser un vélo au quotidien et animant un challenge intitulé « Au Boulot à Vélo ».

De même que la démobilité, l’enjeu du développement des mobilités actives concerne non seulement les déplacements des citadin·e·s, mais également la logistique urbaine. De nombreuses initiatives sociales et solidaires de cyclo-logistique émergent dans les agglomérations françaises, en réponse à différents types de besoins, comme la livraison (par exemple la coopérative Kooglof! à Strasbourg) ou le déménagement (par exemple l’association L’Atelier Remuménage à Bordeaux qui emploie des salariés en insertion). Au-delà de la logistique, le passage au vélo peut concerner également certaines activités entrepreneuriales itinérantes (dans les domaines de la restauration, du jardinage, de la coiffure, de l’art, etc.). L’association Les Boîtes à Vélo et ses sept antennes locales appuient le développement de cet « entrepreneuriat à vélo » en fédérant les entrepreneur·e·s et en animant un programme d’accompagnement nommé « Ma Cycloentreprise »[6]. À Lille, une partie des membres de cette association ont investi de façon temporaire un espace de 450 m² nommé « le Hangar » pour mutualiser des lieux d’activité et de stockage, développer les solidarités entre eux et gagner en visibilité.

Favoriser un usage plus sobre des transports motorisés en ville

Bien sûr, la mobilité low-tech ne rime pas avec l’abandon total des véhicules motorisés dont elle n’exclue pas systématiquement l’utilité. Questionnant nos usages des modes de déplacement, elle a avant tout pour objectif de s’éloigner au maximum des modèles de la voiture individuelle et de l’autosolisme, historiquement et encore actuellement largement structurants dans l’organisation de nos mobilités. Aussi, au sujet des transports motorisés, la mobilité low-tech encourage notamment :

  • le développement des transports collectifs (métro, tram, bus, etc.) et le report vers ces modes de déplacement ;
  • le développement de l’autopartage et du covoiturage, qui permettent de densifier l’usage des véhicules existants, comme le font respectivement les coopératives Citiz et Mobicoop[7] ;
  • la conception et l’usage de véhicules plus simples, plus sobres et moins technologiques (en réduisant la taille et le poids du véhicule, en limitant au nécessaire les équipements intégrés, en bridant la vitesse et la puissance des moteurs et en privilégiant les moteurs électriques, en concevant le véhicule afin de le rendre plus simple à réparer). Le développement de véhicules autonomes constitue à ce titre un contre-modèle ;
  • l’autoréparation accompagnée des véhicules et le réemploi des pièces.

Combiner les solutions et s’appuyer sur l’ESS pour une mobilité plus inclusive

Si elle favorise les modes actifs, la mise en œuvre d’une démarche low-tech de mobilité à l’échelle d’une agglomération urbaine suppose de combiner, sans nécessairement les opposer, les différentes solutions évoquées précédemment. Il s’agit notamment de travailler l’intermodalité afin de garantir une réponse aux différents besoins de déplacements dont la nature et les contraintes diffèrent en fonction des situations (géographiques, économiques, sociales, physiques, etc.).

La démarche low-tech doit avant tout veiller à ne pas renforcer les inégalités liées à la mobilité, en favorisant plutôt une mobilité inclusive. L’ESS se montre à ce titre ressource, mettant à profit ses savoir-faire dans la mise en œuvre de réponses adaptées aux problématiques de mobilité des personnes en situation de précarité, comme le fait par exemple l’association strasbourgeoise Mobilex.

Cet accompagnement individuel, partant des besoins et freins rencontrés par chacun·e, suppose une coopération entre divers acteur·rice·s porteur·euse·s de solutions et de services de mobilité. Pour favoriser ces coopérations, les autorités organisatrices de mobilité (AOM) – c’est-à-dire les intercommunalités et régions – peuvent soutenir l’émergence et le fonctionnement de plateformes de mobilité, dispositifs à statut généralement associatif ou coopératif, qui animent et structurent la réponse collective aux besoins en mobilité de publics fragilisés.

C’est donc par la coopération et la solidarité que la mobilité low-tech permettra de favoriser des déplacements à la fois plus durables et moins contraints, pour toutes et tous.

 

[1] DAMON, J. (2013). La démobilité : travailler, vivre autrement. Étude pour la Fondation pour l’innovation politique. p.8. URL : https://www.fondapol.org/app/uploads/2020/05/DAMON-DEMOB-2013-05-28-web-1.pdf

[2] Commissariat général au développement durable. (2019). Chiffres clés du transport. Édition 2019. URL : http://temis.documentation.developpement-durable.gouv.fr/docs/Temis/0066/Temis-0066304/17636_2019.pdf

[3] Voir les réflexions autour de la notion de « ville du quart d’heure », développée par Carlos Moreno

[4] Ces points rejoignent les enseignements de l’étude concernant la réponse aux besoins d’« accéder à des biens et des services de consommation courante » et de « produire et travailler » qui seront les sujets des deux derniers articles de la présente série.

[5] À titre d’exemple, l’espace public est environ pour moitié dédié aux véhicules motorisés à Paris. Source : BRETEAU, P. (2016). A Paris, la moitié de l’espace public est réservée à l’automobile. Le Monde. URL : https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/11/30/a-paris-la-moitie-de-l-espace-public-est-reservee-a-l-automobile_5040857_4355770.html

[6] Pour en savoir plus sur ce programme : https://lesboitesavelo.org/ma-cycloentreprise/

[7] L’autopartage désigne l’utilisation par différents usagers d’une même flotte de véhicule (dont la propriété n’est donc souvent pas individuelle), tandis que le covoiturage désigne l’utilisation conjointe par plusieurs personnes d’un véhicule pour réaliser un même trajet.