Le numérique est aujourd’hui omniprésent dans la société française, avec 90% des Français internautes et une utilisation quotidienne massive d’Internet (82% des 12 ans et plus). Selon une étude ADEME-Arcep, ce secteur représente 2,5% de l’empreinte carbone nationale en 2020, une contribution qui pourrait augmenter significativement dans les prochaines décennies au regard de la hausse des pratiques numériques, de la multiplication des équipements et de leur renouvellement de plus en plus fréquent. Cet essor du numérique dans un contexte de crise climatique soulève la question de son impact environnemental et de la limitation de celui-ci.

Les travaux du cahier de recherche « Empreinte des équipements numériques des ménages » de l'Institut pour la Recherche, réalisé en partenariat avec le Centre de Recherche pour l’Étude et l’Observation des Conditions de Vie (CREDOC), ont porté sur les typologies de population concernées ainsi que sur la diffusion et l’intégration des connaissances sur les gestes prioritaires à adopter pour réduire l’empreinte environnementale du numérique. Eclairage avec Charlotte Millot, Directrice d’études au sein du pôle Société du CRÉDOC.

Pouvez-vous nous présenter le cadre et les objectifs de cette étude sur l’empreinte numérique ?

L’étude s’inscrit dans le cadre de travaux menés depuis plus de 20 ans par le CREDOC, qui réalise le Baromètre du numérique pour le compte de l’ARCEP, du CGE, de l’ARCOM et de l’ANCT. Ce baromètre de référence permet d’évaluer la progression des équipements et l’évolution des usages au sein de la population. En complément, les données de la base NegaOctet, qui mesure les impacts environnementaux des équipements numériques, ont également été mobilisées

Au-delà de la compréhension fine des habitudes d’équipement et d’usage au sein de la population, nos travaux ont cherché à mesurer comment certains facteurs socio-démographiques (âge, niveau de revenu) influencent l’empreinte numérique des ménages, à partir des principaux déterminants de cette empreinte : types d’équipements détenus, durée de détention, usages privilégiés, etc.

La finalité est d’établir des recommandations et des pistes d’action prioritaires ciblées qui s’inscrivent dans une démarche de sensibilisation visant à encourager des comportements numériques responsables pour réduire l’empreinte carbone du numérique.

Quels sont les résultats les plus marquants de l'enquête ?

Face à la crise climatique, l’impact du numérique sur l’environnement est une problématique parfois sous-estimée. Alors que 78 % de l'empreinte carbone du numérique provient de la fabrication des équipements et seulement 21 % de leur utilisation, l’étude a exploré les effets de la multiplication et de la diversification des appareils au sein des ménages. Ces évolutions, combinées à une individualisation croissante des équipements, alimentent l’augmentation de l’empreinte du numérique.

Les 18-24 ans affichent l’empreinte la plus élevée. Ils combinent des équipements nombreux et diversifiés (smartphones, consoles, objets connectés) et un renouvellement fréquent de leurs appareils.

En outre, les jeunes générations, adeptes du streaming et de la téléphonie par Internet, accentuent leur impact par des pratiques énergivores. Deux heures de visioconférence quotidiennes en 4K et en 4G peuvent générer jusqu’à 109 kg CO2e par an, rivalisant avec l’empreinte carbone de la fabrication d’un smartphone.

Les ménages aux revenus élevés se distinguent également par une empreinte plus forte, bien que la fréquence de renouvellement de leurs équipements soit similaire à celle des autres catégories. Le cumul et la diversité des équipements qu’ils possèdent – ordinateurs portables, smartphones connectés à la 5G – expliquent cette tendance.

Parmi les équipements, les téléviseurs sont les plus impactant avec une empreinte moyenne de 475 kg CO2e sur leur cycle de vie, bien au-delà des smartphones (85,6 kg CO2e) ou des tablettes (62,7 kg CO2e). Un point intéressant est à relever : la mutualisation de ces équipements au sein des foyers (comme les téléviseurs, qui sont rarement individualisés) contribue à réduire l’empreinte environnementale des individus. Ce phénomène limite notamment l’empreinte numérique des 18-24 ans, qui ont accès à de nombreux appareils, mais vivent souvent dans des foyers nombreux où les téléviseurs sont partagés entre tous les membres.

Voyez-vous d’autres éléments significatifs ?

On observe un décalage entre la prise de conscience des impacts du numérique et la diffusion des gestes permettant de limiter son empreinte. S’agissant de la perception du numérique par les Français, 62% le considèrent comme une menace pour l'environnement, contre seulement 38% qui y voient une opportunité, ce qui dénote une prise de conscience des impacts du secteur. En parallèle, seuls 28 % privilégient les terminaux reconditionnés, et moins de la moitié limitent leur consommation de données mobiles ou adoptent le réseau fixe, pourtant moins énergivore.

L'émergence de l'intelligence artificielle générative, dont nous voyons s’intensifier les usages, est un nouveau facteur d'impact environnemental à prendre en compte : les centres de données et data centers pour entrainer et faire fonctionner les modèles d’IA sont très énergivores, et ont aussi un impact sur les ressources (matériaux semi-conducteurs et terres rares utilisés pour les infrastructures).

Quelles recommandations ou perspectives cette étude ouvre-t-elle ?

Parmi les recommandations que nous formulons dans ce cahier de recherche, je retiendrais la nécessité de sensibiliser aux 3 pistes d’actions prioritaires formulées par l’ADEME et de l’ARCEP : l’allongement de la durée de vie des équipements par la réparation et un entretien régulier ; la réduction du nombre d’équipements, notamment en promouvant des pratiques comme le reconditionnement et la mutualisation ; l’adoption d’équipements moins gourmands en ressources, en préférant un vidéoprojecteur à un grand écran de téléviseur par exemple.

Il est urgent aussi de renforcer la sensibilisation sur les gestes ayant un réel impact, tels que le choix d’une résolution vidéo adaptée, le direct plutôt que du streaming et la connexion en Wi-Fi plutôt que via les données mobiles. Nos travaux montrent que ces recommandations sont peu connues du grand public, y compris parmi les plus adeptes des usages numériques.

Des études complémentaires pourraient permettre de connaître le poids relatif du numérique dans l’empreinte carbone globale des ménages. De nouveaux axes pourraient inclure l’évaluation des usages émergents, comme l’intelligence artificielle, et les leviers de changement comportemental pour favoriser une transition numérique durable.

En conclusion, bien que l’empreinte numérique reste encore modeste par rapport à d’autres secteurs, sa croissance rapide et sa complexité appellent à des mesures préventives ambitieuses et à une mobilisation collective.

Pour approfondir : 

Télécharger le cahier de recherche "Empreinte  des équipements numériques des ménages"