cicéron
c'est poincarré
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Le secteur du bâtiment traverse actuellement deux grandes phases de transition très structurantes : la transition énergétique, bien sûr, mais aussi la transition numérique.
Beaucoup a été écrit sur la première, nous nous attarderons dans ce billet sur la seconde qui, dans une certaine mesure, contribue à la première.
On assiste aujourd’hui par ailleurs à un véritable changement de paradigme dans le domaine du bâtiment, puisque l’on passe d’une logique d’acquisition et d’exploitation d’un ouvrage, à une logique d’usage d’un ouvrage tout au long de son cycle de vie. Ceci plante le décor d’un secteur en pleine mutation.
L’industrie du bâtiment est un secteur où le numérique a encore une très forte marge de progression (même si cela est de moins en moins vrai), que ce soit pour son utilisation lors de la construction de bâtiments ou encore pour leur exploitation.
Cela est sans doute lié à une organisation historiquement très structurée et parfois difficile à faire évoluer. Il faut dire que cette organisation ne date pas d’hier ! Et qu’elle s’appuie sur des règles ancestrales de travail sur les chantiers, où quelques grandes entreprises et de très nombreux artisans ont l’habitude de se côtoyer et de collaborer aux mêmes projets.
Mais sur l’exemple d’autres secteurs (comme celui de l’aéronautique par exemple) qui ont mis en œuvre une numérisation des processus entre les acteurs d’une même chaîne de la valeur, ce qui a eu pour résultat une amélioration de la qualité, des délais, des coûts d’investissement et d’exploitation et de l’usage des produits, l’industrie du bâtiment s’est progressivement « mise au numérique ».
Il faut dire que les enjeux y sont considérables, en termes financiers et d’emplois, sur l’ensemble du territoire. En effet, le patrimoine bâti (hors foncier) représente en France 2.5 milliards de m² (dont 40% appartiennent à des acteurs publics), pour une valorisation de 5.000 Md€[1] en France et 124 Md€/an[2] de travaux, sans compter l’impact environnemental de l’habitat qui représente 44%[3] de l’énergie finale consommée en France.
Historiquement, le premier apport du numérique s’est fait dans le domaine de la conception. Depuis une trentaine d’année en effet, les logiciels de dessin et de conception assistés par ordinateur se sont développés avec une forte domination des éditeurs américains. Mais jusqu’alors, à part ces logiciels de DAO/CAO, les outils numériques n’avaient fait jusqu’alors qu’une faible incursion dans les autres domaines et processus.
Pourtant, de la conception à la maintenance, en passant par la réalisation, la fabrication des équipements et produits, la pose, la gestion et l’entretien, le potentiel du numérique pour améliorer de façon conséquente l’efficacité des acteurs et faire progresser la qualité des ouvrages, semble immense ! Plus largement, le rôle du numérique dans la relation entre toutes les parties prenantes du logement semble déterminant.
Enfin, on perçoit aisément que l’intégration du numérique dans le secteur du logement doit aussi permettre de modifier et de moderniser la relation aux locataires et aux propriétaires, et, pourquoi pas, de leur offrir de nouveaux services.
Forts de ces intuitions, un certain nombre d’acteurs se sont emparés du sujet ces dernières années. C’est le cas notamment des maîtres d’ouvrages, à travers la maquette numérique – on parle parfois aussi de maquette « BIM » - que ce soit dans la phase de conception/construction ou bien encore dans la phase de gestion.
Alors, la maquette numérique du bâtiment, qu’est-ce que c’est ? Il s’agit simplement d’une représentation géométrique d'un objet ou d’un ensemble d'objets du bâtiment, généralement en 3D, réalisée sur ordinateur de façon à pouvoir l'analyser, le contrôler et en simuler un certain nombre de comportements.
Cette maquette numérique du bâtiment est très utile. Elle peut en effet servir à concevoir et/ou à représenter (en image de synthèse fixe ou même en simulation dynamique) un projet ou un objet.
Ceci peut concerner un objet à construire ou bien un objet qui peut déjà être construit. La maquette numérique permet de gérer cet objet (maison domotisée, immeuble, usine, hôpital,...), mais elle peut aussi avoir une vocation prospective en présentant virtuellement à quoi pourraient ressembler différents projets d’architecture.
Concrètement, cette maquette numérique se matérialise par un fichier informatique.
Selon le logiciel utilisé, le format de ce fichier peut varier. Un format normalisé, l’IFC, sert de format commun. Il permet d’assurer la nécessaire interopérabilité entre les différents logiciels de maquette numérique, dans le but de maintenir l’intégrité des informations lors des échanges entre les différents intervenants. En effet, les acteurs de la chaîne de valeur dans le bâtiment ont besoin de pouvoir échanger les données en confiance de manière rapide, fiable et pérenne.
Quels que soient le « format » et le logiciel employé, on ne qualifiera une maquette numérique de « maquette BIM » que quand que ses objets sont porteurs d’une « intelligence » numérique.
Ce terme « BIM » vient de l'anglais Building Information Modeling qui pourrait se traduire en français par « Modélisation des Informations (ou données) du Bâtiment ». Le terme bâtiment ici est générique et englobe également les infrastructures.
Il est difficile de trouver une définition du BIM qui convienne à tous les acteurs. Ce qu’il faut avant tout retenir c’est que le BIM est :
La maquette numérique quant à elle est une représentation digitale des caractéristiques physiques et fonctionnelles de ce bâtiment ou de ces infrastructures.
De nombreuses initiatives sont en cours. Ces initiatives sont renforcées par le lancement du Carnet Numérique du Logement rendu obligatoire par la loi ELAN.
Nous l’avons vu, à la différence d’un « bête » modèle 3D comme le serait une maquette physique en plastique ou en bois (modèle qui ne représente qu’un enchevêtrement de volumes), la maquette BIM est riche de ses données. Mais quelles données précisément ? et à quelles fins ?
Elles peuvent être de différentes natures :
Dans le domaine de la construction, les échanges de données doivent permettre de réduire de manière très sensible les non-conformités qui représentent aujourd’hui un coût très élevé. Dans le domaine de l’exploitation, la gestion des données permet de mettre en œuvre une comptabilité analytique de l’exploitation des ouvrages. Une étude menée par la Banque des Territoires avec l’Union sociale pour l’habitat a ainsi montré que la numérisation des plans conduit à une baisse immédiate de l’ordre de 6% des coûts d’exploitation des logements. La disponibilité des maquettes numériques est également une condition préalable aux travaux d’amélioration de la performance énergétique et environnementale des bâtiments.
Nous avons parlé de maquette numérique et des données qui permettent de la créer et d’en faire toute sa valeur.
Un autre aspect – même si il est fortement lié au précédent - de la transition numérique du bâtiment est le logement connecté.
Il est à mi-chemin de la « technique » et du « social », au service de la performance du bâtiment d’une part, et du confort de vie de ses habitants d’autre part, facilitant de nouveaux usages du logement et une approche renouvelée pour le bailleur dans sa connaissance et l’entretien de son patrimoine.
Le bâtiment connecté permet en effet de relever de nombreuses données, en temps réels : suivi des températures, des consommations d’eau et d’électricité, détection des fumées, gestion de la qualité de l’air, contrôle des accès, des ventilations, du fonctionnement des ascenseurs, etc.
L’analyse croisée de toutes les données peut permettre par ailleurs de proposer de nouveaux services et usages. Il est par exemple possible de se servir de ces données pour faciliter le maintien à domicile des personnes en perte d’autonomie : possibilité de détecter un ralentissement anormal de l’activité (en détectant l’absence de consommation d’eau, ou des volets trop longtemps inutilisés par exemple), mise en place des actions de services si l’ascenseur tombe en panne ou si la température intérieure devient trop élevée…
Du côté des exploitants des bâtiments, les objets connectés ouvrent des perspectives très intéressantes en matière d’anticipation des besoins de maintenance et de connaissance du bâti.
Tout ceci est extrêmement prometteur, mais présenté de la sorte, ce logement connecté pourrait également alarmer par un côté un peu « big brother ». C’est la raison pour laquelle, il faut également veiller à mettre en place un certain nombre de garde-fous et à promouvoir des solutions qui garantissent une forme de confiance numérique.
Donnons quelques exemples de solutions concrètes de ce type d’outils pour bien visualiser leur intérêt.
La plateforme Vizcab permet aux acteurs du bâtiment, des travaux publics et de l’immobilier de consolider dès l’amont la performance énergie-carbone de leurs projets de construction. Grâce au « data mining », c’est à dire l'exploration de bases de données, elle permet de visualiser l'empreinte carbone d'un ouvrage neuf en fonction de chaque choix constructif réel ou hypothétique.
En effet, tous ces acteurs, mais aussi les collectivités territoriales n’avaient jusqu’à présent aucun moyen d’évaluer les conséquences sur les coûts de construction, des obligations qui sont introduites dans les nouveaux règlements d’urbanisme. Ils n’avaient également aucun moyen de vérifier que les propositions qui leur étaient faites par les promoteurs leur permettait d’atteindre effectivement les objectifs fixés. Vizcab, est un outil qui permet justement une prévision fiable des performances environnementales futures en relation avec les coûts.
Intent Technologies, de son côté, fournit une plateforme logicielle clé en main pour centraliser et partager les flux de données d’un patrimoine immobilier à l’ensemble de ses parties prenantes.
Ainsi, consommation d’énergie, température, demande d’intervention, ou encore pannes d’ascenseurs, sont collectées de manière standardisée et sécurisée, puis partagées selon les critères définis par chaque acteur.
Le projet Boost Construction a pour objet de permettre à la filière de la construction (immobilier et travaux publics) de rester maître de la structuration de son information et des protocoles d’échange et de requêtage. Le projet comprend deux composantes :
Ces trois projets sont soutenus par la Banque des Territoires.
Enfin, un autre exemple intéressant et original d’utilisation du BIM est la construction en quelques jours d’une maison en habitat locatif social, à partir d’une imprimante 3D industrielle, dans un quartier nantais, celui de la Bottière. Au départ, il y a une idée de procédé innovant et unique de portée mondiale, Batiprint3Dtm, imaginé par des chercheurs de l'Université de Nantes, expérimenté en grandeur réelle grâce à Nantes Métropole Habitat et Nantes Métropole, et accompagnés par la SATT Ouest Valorisation.
Pour ce projet de maison « YhnovaTM » soutenu par la Caisse des Dépôts, c’est Egis qui a été choisi pour assurer la mission de maîtrise d’œuvre sur le projet en partenariat avec l’atelier d’architecture TICA de Nantes. Ainsi a été construite pour la première fois en France une maison par un procédé de « synthèse additive », aussi appelé « impression 3D ».
Cette opération a vu le jour grâce au procédé Batiprint3Dtm.Un robot mobile, équipé d’un bras articulé, a édifié par passes deux banches en polyuréthane, puis coulé le béton entre ces deux banches, pour constituer à la fois le coffrage et l’isolation du mur. Ce procédé a mis à profit l’usage de la maquette numérique BIM, directement transférée au robot qui a calculé ses trajectoires automatiquement. Cette innovation et cette réalisation unique ont donné naissance à une start-up : Batiprint3D.
En résumé, ces outils se matérialisent sous la forme de plateformes logicielles adressant différents aspects du cycle de vie du bâtiment.
Des « dictionnaires » d’ « objets BIM » avec leurs propriétés conçus de manière coordonnée avec l’ensemble de la profession pourraient permettre d’accélérer les usages
Comme on le voit, les outils numériques dans la construction ou l’exploitation des bâtiments ont un vrai potentiel pour améliorer leur qualité, optimiser leurs coûts et leurs impacts énergétiques et environnementaux sur la totalité de leur cycle de vie, depuis la définition des règlements d’urbanisme jusqu’au recyclage des matériaux de déconstruction.
Alors, pour paraphraser le grand Charles Trenet, à l’instar du cœur qui fait boum :
[2] « Batiment-chiffres2015.pdf » – Fédération Française du Bâtiment
L'auteur :
Didier Célisse est ingénieur Télécoms (Telecom ParisTech). Il a intégré le Groupe en 2012 après une expérience de 15 ans en marketing, communication et stratégie dans l’industrie. Depuis 2015, il est responsable du service marketing & animation territoriale du département transition numérique de la direction de l’investissement de la Banque des Territoires