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Crédit ©Monkey Business - Adobe stock
Alors que le numérique devient incontournable dans nos quotidiens, un quart de la population française – y compris chez les enfants – souffre encore d’illectronisme [1] et se trouve fortement pénalisé dans l’accès à de nombreux services. En parallèle, la pandémie de Covid-19 a laissé en souffrance près de 900.000 élèves en 2020 qui ont décroché des cours pendant les trois mois de confinement, démontrant nettement l’inégal accès des élèves à une éducation de qualité.
L’appel à projets « Numérique Inclusif, Numérique Éducatif » a été lancé par la Banque des Territoires il y a près d’un an, en juin 2021, pour soutenir des projets de lutte contre ces deux fractures : numérique et éducative. Après deux vagues de sélection, l’une ayant eu lieu courant de l’automne 2021 et la seconde au printemps 2022, les 80 projets sélectionnés maillent aujourd’hui l’ensemble du territoire avec un seul objectif : réduire les inégalités scolaires et éducatives en soutenant l’accès et la formation au numérique.
Aujourd’hui, le diagnostic est clairement établi : la fracture numérique croissante entre certains élèves vient renforcer des inégalités d’accès à l’éducation déjà existantes auparavant. Ce qu’il reste à faire, c’est avant tout de cultiver les multiples réponses qui fleurissent partout sur le territoire.
Lorsque nous avons lancé ce dispositif, nous étions donc animés par plusieurs convictions. La première, et la plus importante peut être, est que les solutions existent déjà et surtout, qu’elles sont issues des territoires. La France se démarque par l’hétérogénéité de son territoire, et donc la pluralité de ses enjeux. Calquer une solution sur un territoire est souvent inutile, voire contreproductif. Le succès de l’essaimage d’une action réside dans la capacité d’une solution à être agile, à s’adapter aux enjeux et au territoire sur lequel elle va agir, et non l’inverse. Cette distinction, les acteurs territoriaux l’ont depuis longtemps comprise : avec cet appel à projets, il nous fallait donc les aider à passer à l’échelle tout en conservant la singularité et la souplesse de leur projet.
Une autre conviction, démontrée aisément dès la phase de sélection, c’est que les acteurs de l’écosystème œuvrent déjà ensemble. On observe une tendance de fond depuis quelques années où la « forêt de bonsaïs » qui se matérialisait par une multitude de solutions éparses se transforme aujourd’hui en écosystème solide. Les acteurs ont l’envie de mutualiser et de créer des synergies, d’avoir une meilleure visibilité sur l’existant pour ne pas réinventer mais plutôt agir en complémentarité. L’appel à projets avait aussi pour but de faire se rencontrer les acteurs, et de les faire discuter entre eux – que ce soit pour porter ensemble des projets, ou bien de partager leurs bonnes pratiques.
Enfin, nous sommes convaincus que sans travailler aux enjeux de l’inclusion, il n’est pas possible de construire des solutions éducatives efficaces et pérennes. Le contexte socio-économique complexe, qui menace les institutions mais aussi et surtout les plus fragiles, doit nous appeler à plus de responsabilité et de solidarité. Pour ne pas construire une société à deux vitesses, il est essentiel de garantir une éducation en faveur de l’égalité des chances, de l’émancipation et de la capacité à agir. On le sait, le numérique peut être un outil au service du développement des savoirs, mais aussi, lorsqu’il est intelligemment utilisé, un outil favorisant l’inclusion des plus en difficultés. L’inclusion doit être au cœur de nos ambitions, l’éducation au centre de nos actions.
Les projets sélectionnés sont avant tout des projets d’inclusion, souvent implantés dans l’écosystème du numérique éducatif et inclusif, et plus largement, de celui de l’Economie Sociale et Solidaire (ESS) : ils sont portés aux deux tiers par des associations et à un quart par des entreprises EdTech et des collectivités territoriales ; par ailleurs, quand les structures de l’ESS ne sont pas elles même porteuses de ces projets, elles en sont la plupart du temps partenaires. Les valeurs de l’ESS s’y retrouvent ainsi pleinement : ils s’adressent principalement aux jeunes les plus en difficultés, par leur situation socio-économique, scolaires ou cognitive tout en favorisant la co-éducation.
L’idée, derrière l’appel à projets, était aussi de favoriser des alliances vertueuses entre les acteurs. L’important, aujourd’hui, est de faire éclore des solutions qui existent déjà : la création de partenariats procède de cette démarche, car elle permet de garantir la solidité et la qualité des actions, avec des acteurs en pointe sur leur sujet. La coopération est un moyen important de créer de la valeur, et c’est particulièrement vrai dans nos secteurs.
Ces alliances au service d’un triptyque vertueux d’acteurs institutionnels, privés et publics, sont garantes de la solidité et de la qualité des actions. Au-delà de la nature des structures agissantes et de leur travail en partenariat, ces projets sont également représentatifs par leurs impacts positifs : les projets répondent aux enjeux liés à la lutte contre les fragilités sociales, numériques et éducatives ainsi qu’aux enjeux de co-éducation. 40% des publics ciblés sont des élèves, dont 20% de jeunes en situation défavorisée. Les parents et les professionnels de l’éducation représentent respectivement 19% et 16% des publics visés.
Le projet porté par le département du Val d’Oise s’inscrit dans une démarche portée par la collectivité depuis 2018 : développer la robotique éducative dès le collège. Au-delà des apprentissages aux usages, le département a œuvré avec l’Éducation nationale pour équiper informatiquement des collèges, et former les professionnels de l’éducation à l’utilisation de ce matériel. Tout particulièrement, ces formations se sont attardées sur l’usage de la robotique avec des classes ULIS [2]. Le projet lauréat, « Ulis Bot en V.O » est donc une continuité naturelle des actions du territoire. Ce projet permettra de mettre en place des salles de regroupement spécialisées avec des dispositifs ULIS favorable à l’apprentissage de la robotique pour permettre à ces élèves de s’inscrire dans les actions de robotique éducative déjà conduites par le département. Les élèves de ces classes pourront ainsi participer à des défis autour de la robotique, et présenter leurs projets comme les autres classes à l’évènement éducatif autour de la robotique organisé par le département.
Parfaite illustration de partenariats créateurs de valeurs, Colori, une EdTech elle aussi née en 2018, propose des activités qui permettent de manipuler concrètement les concepts clés de l’informatique, de façon ludique et sans écran. Dans le cadre de notre appel à projet, la EdTech s’est associée à la ville de Rennes, qui depuis longtemps fait de l’éducation au et par le numérique une de ses priorités. Ensemble, ces deux structures ont construit un projet conjoint, qui dans son sillage associe les écoles et centre de loisirs de la ville : les agents de l’Éducation nationale, mais aussi les éducateurs et médiateurs des structures associatives seront formés à la méthode Colori, pour garantir la pérennité des actions sur le territoire. Concrètement, c’est le travail partenarial de ces acteurs privés et publics qui garantit l’efficacité de ces actions, sur tous les temps éducatifs : scolaire, péri et extrascolaire.
Dernier exemple, l’institut « Break Poverty » a lancé en 2020 son programme « Réussite connectée ». Ce programme vise à lutter contre la fracture numérique et le décrochage scolaire des jeunes défavorisés. Le programme vise en effet à équiper 200 jeunes défavorisés de l’Aide Sociale à l’Enfance en situation d’exclusion numérique et/ou de décrochage scolaire. Ils seront équipés d’un ordinateur et d’une connexion internet et bénéficieront d’un accompagnement dans l’appropriation de ces outils et dans la réussite de leur parcours scolaire ou d’insertion professionnelle. Ce projet éducatif agit ainsi pour inclure socialement des jeunes très fragilisés. Lorsqu’on sait que près d’un jeune placé sur deux se retrouve sans domicile fixe arrivé à l’âge adulte, il est urgent d’agir pour améliorer les actions et politiques publiques en matière de protection de l’enfance. Ce projet éducatif, qui utilise l’inclusion numérique comme levier pour l’insertion de ces jeunes, est une réponse innovante à ces enjeux.
Ce qui est important dans ces exemples, c’est que l’on ne se focalise pas sur un seul sujet : on passe aussi bien de l’accès à l’équipement à la formation à l’outil numérique, en passant par l’apprentissage du code ou encore l’inclusion d’élèves en situation de handicap grâce aux écrans. Le numérique est une solution protéiforme, et c’est en passant, comme dit plus haut, par la multiplicité des solutions que nous parviendrons à lutter contre toutes les exclusions.
Les observations tirées de ces focales sur quelques projets du dispositif « Numérique Inclusif, Numérique Éducatif » pourraient s’étendre à l’ensemble des lauréats, dont la liste complète est disponible ici :
Les premiers résultats sont très encourageants, et cela présage de belles réussites en perspective.
Au-delà du soutien financier à ces projets, la Banque des Territoires met également en place un dispositif d’accompagnement resserré auprès des lauréats, qui vise à accompagner les projets dans leur passage à l’échelle, mais aussi et surtout, de transformer avec eux nos convictions en démonstrateurs territoriaux. Pour cela, nous produirons à destination de tous les porteurs de projets des outils et des ressources qui permettront à la fois de visualiser l’écosystème d’acteurs de l’éducation et de l’inclusion numérique ainsi que leurs actions, et d’essaimer les bonnes pratiques qui ont permis à ces projets de transformer l’essai.
Notes
[1] Contraction d’« illettrisme » et d’« électronique », ce terme désigne les personnes en difficulté avec les usages du numérique. Il touche environ 17% de la population selon l'INSEE.
[2] ULIS : Unité Localisées d’Inclusion Scolaires, les classes ULIS sont des classes dédiées au soutien des élèves en situation de handicap.