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Pour mieux appréhender ce phénomène et ses enjeux, notamment en matière de retraites, de perte d’autonomie et de dépendance, plus de 170 chercheurs de renommée internationale et des décideurs publics étaient rassemblés lors du Colloque scientifique organisé les 7 et 8 novembre 2019 par la direction des retraites et de la solidarité de la Caisse des Dépôts en partenariat avec l’Institut des politiques publiques, l’Université de Paris 1, et avec le soutien de l’Institut pour la recherche de la Caisse des Dépôts.
Le colloque a été ouvert par Éric Lombard, directeur général du Groupe Caisse des Dépôts, Marie-Anne Montchamp, présidente de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, et Camille Chaserant, responsable du projet ESoPS et maître de conférences à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Deux sessions plénières et des tables rondes ont associé chercheurs et décideurs publics : Patrick Aubert, Didier Blanchet, Antoine Bozio, Pierre-Louis Bras, Courtney Coile, Roméo Fontaine, Nicolas Glière, Agnès Gramain, Albert Lautman, Florence Leduc, Dominique Libault, Virginie Magnant, Ronan Mahieu, George Stoye. Des sessions parallèles à caractère scientifique se sont succédé, au cours desquelles 25 articles de recherche ont été présentés.
Cet article reprend en synthèse les principaux enseignements de ce colloque international.
Dans la plupart des pays développé, les taux d’activité et d’emploi des seniors sont repartis à la hausse après des décennies de baisse quasi continue. 25 ans de collaboration internationale de recherche dans le cadre d’un projet coordonné par le National Bureau of Econmic Research (NBER) ont permis d’analyser en profondeur le lien entre les incitations financières, les contraintes induites par les règles des systèmes de retraite et les comportements d’activité des seniors.
Les résultats les plus récents montrent ainsi que les réformes des retraites expliqueraient une part significative de la hausse du taux d’emploi des seniors constatée au cours des 20 dernières années après des décennies de baisse : environ 1/3 de la hausse de celui des 66-69 ans entre 1992 et 2014 aux Etats-Unis, entre 70 % et 85 % de la hausse de celui des 55-65 ans entre 1985 et 2015 en Allemagne.
Les normes sociales conservent néanmoins un rôle majeur à côté des incitations financières dans la détermination des comportements d’activité : question tout à fait cruciale dans le contexte du projet de mise en place en France d’un système universel de retraite articulé notamment autour d’un âge d’équilibre identique pour toutes les personnes appartenant à une même génération.
Les débats se sont aussi attachés à initier une réflexion globale sur les questions relatives à la perte d’autonomie et aux retraites, souvent traitées de manière cloisonnée. Les personnes dépendantes sont très largement des retraités ; or la baisse programmée du taux de remplacement à 20 ou 30 ans fait qu’il deviendra plus difficile de payer une heure d’aide à domicile avec une pension de retraite.
Les intervenants du colloque s’accordent toutefois pour considérer qu’augmenter les retraites pour préserver la capacité des personnes à financer leur dépendante n’est pas la solution : toutes les personnes retraitées ne deviennent pas dépendantes et les personnes qui deviennent dépendantes le sont seulement en fin de vie, et pas sur toute la durée de retraite.
En revanche la baisse du poids des retraites dans le PIB permettra de dégager des marges de manœuvre budgétaires utiles pour financer la prise en charge publique de la dépendance. La difficulté peut toutefois venir de ce qu’il n’y a pas que la dépendance à financer sur les marges de manœuvre financières dégagées. Il y a aussi la transition écologique.
En outre, une indexation des pensions sur les salaires, corrigée de l’évolution du ratio retraités sur actifs permettrait le partage de la charge induite par le choc démographique entre actifs et retraités ainsi qu’un meilleur partage de la croissance entre actifs et retraités.
Si 79 % des coûts monétaires de la dépendance sont pris en charge par les finances publiques (soit un chiffre similaire à ce que l’on observe sur la maladie, avant intervention des organismes complémentaires), ce chiffre passe sous silence le poids très lourd de l’aide informelle. En intégrant une valorisation de cette aide informelle, on aboutit à un taux de mutualisation des dépenses liées à la dépendance plus proche de seulement 60 %.
Le coût des dépenses de santé est également plus important pour les retraités et grève de plus en plus nettement leur pouvoir d’achat via les cotisations aux assurances complémentaires : les remboursements santé par les mutuelles sont en moyenne de 900 euros par an pour les 80 ans et plus, soit trois fois plus que pour un actif de 30 à 40 ans. La mise en place d’une couverture de la perte d’autonomie par un mécanisme de mutualisation est largement évoquée. Elle peut s’inspirer de l’assurance santé.
Si les 10 milliards d’euros nécessaires pour le financement de la dépendance ne peuvent pas trouver de solution avec le recours à la solidarité nationale, un système d’assurance généralisé adossé au contrat responsable santé permettait à l’ensemble de la population de se couvrir en cotisant quelques euros par mois pour financer une majoration de prestation de l’ordre de 500 euros par mois en cas de dépendance.
Un état des lieux des travaux de recherche sur les différents aspects de la dépendance en France a été dressé lors du colloque. Premièrement, il convient de réfléchir à l’aide informelle qu’apporte l’entourage, notamment les femmes, dans un contexte où de nombreuses transformations démographiques et sociales vont se produire dans les 20 ans à venir. Ainsi, moins de 20 % des personnes dépendantes sont aidées uniquement par des professionnels.
Cette aide informelle représente 17 millions d’heures par semaine, soit l’équivalent de 11 Mds€ en SMIC horaire pour l’ensemble des aides apportées par l’entourage contre moins de 5 Mds€ pour les heures d’aide professionnelle. L’aide à un parent dépendant a des conséquences sur l’offre de travail mais aussi sur la santé des aidants.
Deuxièmement, le sujet du financement public de la dépendance doit être revu en profondeur afin de réduire les coûts que supportent les personnes âgées et leur famille et d’obtenir une plus grande justice sociale dans la prise en charge. L’augmentation de la capacité dans les établissements régulés semble la piste la plus sérieuse pour faire face à la hausse de la demande, même si elle est coûteuse.
Une meilleure coordination des parcours d’aide et de soins, notamment grâce à des logements innovants, pourrait être une source importante d’économies, mais cela suppose de sortir de la dichotomie structurante entre le domicile et les établissements médicalisés. Aujourd’hui, le système français repose sur le libre choix par les personnes dépendantes et le subventionnement de certaines consommations. L’établissement d’une 5e branche de sécurité sociale couvrant l’ensemble des dépenses induites par l’occurrence de la dépendance, y compris le surcoût en hébergement, pourrait améliorer les choses.
Une proposition alternative consisterait à mettre en place un revenu forfaitaire attribué à chaque personne, revenu indépendant du mode de prise en charge choisi, et uniquement fonction d’une prise en charge de référence prescrite par une équipe d’évaluateurs.
Pour comparer, le Royaume-Uni, un pays de taille comparable à la France, fait lui aussi face à un vieillissement important de sa population. Le système de prise en charge de la dépendance n’y fournit qu’une protection limitée : en moyenne, cumulé sur l’ensemble de la période de perte d’autonomie, le reste à charge est de 25 000 livres pour les hommes et de 44 000 livres pour les femmes. Une majeure partie des aides est informelle, pour une valorisation annuelle estimée à 100Mds£.
Les conséquences démographiques engendreront une hausse des dépenses au cours des 50 prochaines années d’un point de PIB supplémentaire pour la dépendance, 7 points pour la santé et 2 points pour les retraites. La question du financement de la protection sociale est donc également un sujet crucial en Grande-Bretagne.
Il existe des disparités territoriales concernant la proportion des bénéficiaires de l’APA (Allocation personnalisée d’autonomie), la prévalence de la dépendance, les taux de demande de l’APA, les taux d’accord ou les montants moyens des plans d’aide.
Ces disparités sont à la fois dues à des facteurs socio-démographiques mais aussi organisationnels. La relation entre le taux de dépendance et la politique menée n’est pas facile à établir : une même action peut avoir des effets qui jouent dans des sens opposés. Les facteurs socio-démographiques expliquaient 60 % des disparités constatées en termes de taux de bénéficiaires d’APA.
Les outils d’information sur l’accès aux droits des personnes sont importants pour réduire ces disparités. La Mayenne est, par exemple, un département à dominante rurale, concentrant des métiers pénibles avec des niveaux de revenu plutôt faibles et entraînant des taux de dépendance élevés. Le travail réalisé dans ce département se situe au niveau des intercommunalités et s’appuie sur les interconnexions entre professionnels de santé sur le terrain, favorisant l’adaptation des parcours aux besoins du patient. Pour favoriser une palette de solutions proposées et le libre parcours de la personne, les acteurs doivent ainsi mieux se connaître.
La politique en faveur des personnes dépendantes n’est que partiellement décentralisée : une bonne partie du financement de l’APA est mutualisée au niveau national, même si les versements peuvent être décidés localement. Sur les 23 Mds€ de dépenses publiques dédiées au grand âge, 12 Mds€ relèvent de l’Assurance maladie. Malheureusement, cela se traduit par une coupure entre le sanitaire et le social au sein des territoires. Les Ehpad sont ainsi financés par l’Assurance maladie pour les soins et par le département pour la dépendance.
Une offre adaptée aux disparités territoriales et aux spécificités de la prise en charge passera nécessairement par un décloisonnement entre le sanitaire et le social, le maintien à domicile étant très fortement souhaité. Une stratégie reposant sur une nouvelle offre intermédiaire permettra de ne pas offrir l’unique choix entre l’isolement chez soi et l’isolement en Ehpad. Et les nouvelles formes d’accompagnement doivent être co-construites entre les Agences régionales de santé (ARS) et les départements. Pour cette dernière, l’articulation entre le soin et le social doit se faire en promouvant de nouvelles formes de contractualisation, du type de celles conçues entre la CNSA et certains départements. Les ARS et les conseils départementaux ont commencé à concevoir des stratégies autour des professionnels du vieillissement.
De plus, les départements ne sont pas libres d’augmenter leur contribution pour faire face à la hausse de la demande ou pour accroître l’attractivité des métiers par une hausse salariale. L’offre est ainsi contrainte par le manque de personnels. Les métiers du grand âge souffrent d’un problème d’image et de valorisation. Il est essentiel de travailler à l’élaboration d’un tronc commun de métiers pour favoriser l’attractivité, en rapprochant les métiers de l’aide à domicile et le métier d’aide-soignant. Outre la rémunération, le temps complet est également un élément à prendre en compte.
Vous pouvez retrouver le compte rendu détaillé des moments forts des deux journées du Colloque retraite et vieillissement des 7 et 8 novembre 2019 sur le site internet de la Direction des retraites et de la solidarité de la Caisse des Dépôts, ainsi qu’une vidéo de synthèse sur la page d’accueil et des vidéos en 180 secondes des intervenants présentant leurs travaux.
Pour plus de détail sur l’ensemble des intervenants, voir le programme détaillé du colloque en français ou en anglais.