cicéron
c'est poincarré
Il y a un an, nous dressions les perspectives de taux d’intérêt pour 2021 (partie 1, partie 2). Dans ce billet, nous portons un regard sur le bilan de l’année écoulée et dessinons les perspectives et points à surveiller, au meilleur de l’information disponible à date, sur l’environnement monétaire et financier de l’année 2022, rappelant que celui-ci peut évoluer rapidement compte tenu du contexte incertain et inédit à de nombreux titres : ces perspectives sont donc à appréhender comme un point de départ de réflexions évolutives. La Fed, via ses taux directeurs et la gestion de son bilan, donnera le « la » dans une année probablement davantage volatile que 2021, la réduction de son bilan étant l’évènement le plus à surveiller.
En 2021, la plupart des taux directeurs sont restés, comme attendu, à leurs planchers historiques : la Réserve fédérale américaine a maintenu les fed funds dans la fourchette [0,00 %-0,25 %], la BCE a conservé son principal taux de refinancement des banques à 0,0 % et son taux de dépôt des liquidités des banques à -0,5 % et la Banque du Japon a maintenu inchangé son taux directeur à -0,1 %. La surprise est venue d’outre-Manche : la Banque d’Angleterre a procédé à un léger relèvement de ses taux directeurs mi-décembre (+15 points de base (pb) à 0,25 %), du fait de pressions inflationnistes sensibles (prix à la consommation : +5,1 % sur un an en novembre), généralisées à nombre de secteurs et surtout persistantes (à la différence, par exemple, de la zone euro), puisqu’un niveau de 6 % est anticipé par l’Institution monétaire encore en avril 2022. Le Royaume-Uni fait face aux désordres issus de la sortie de crise, communs à toutes les zones économiques, mais subit en sus de sensibles perturbations liées au Brexit.
L’impact sur l’activité économique de la crise covid-19 s’estompe peu à peu, grâce aux stimulii monétaires et budgétaires mis en place depuis 2020 et à l’accommodation croissante des économies aux variants. Les perspectives sont les suivantes en zone euro et aux Etats-Unis :
Notons que le décalage de politique monétaire entre les deux zones, qui reflète l’avance du cycle américain en termes de rééquilibrage de la croissance (la fermeture de l’output gap n’est pas encore achevé en zone euro) et d’inflation (les pressions inflationnistes dont davantage prégnantes aux Etats-Unis), s’est traduit par un creusement des rendements monétaires en faveur du dollar donc au détriment de l’euro, provoquant une dépréciation de l’euro de 1,22 à 1,14 dollar en 2021.
Début 2021, nous tablions sur une hausse des taux longs, du fait de la hausse de la prime d’inflation et d’un meilleur appétit envers les actifs risqués (au détriment des actifs obligataires non risqués, provoquant une baisse des prix donc une hausse de taux), mais amenant les taux à un niveau qui resterait faible du fait des achats persistants des banques centrales d’obligations par création monétaire (soutien des prix donc maîtrise des taux d’intérêt), sans véritable changement de régime. C’est effectivement ce qu’il s’est passé, le taux OAT 10 ans augmentant de -0,3 % à 0,2 % et celui américain passant de 0,9 % à 1,5 %.
L’obligataire souverain a été marqué par deux faits saillants : 1) une demi-surprise, puisque la hausse attendue des primes d’inflation s’est accélérée pour se concrétiser en une quasi-normalisation, et 2) la baisse des taux réels (ex : pour l’OATi 2029, -51 pb à 1,83 %). Cette baisse des taux réels n’est pas une anticipation intuitive dans une configuration d’une activité économique plus allante, mais puisque les taux longs nominaux sont en partie « plafonnés » (achat des banques centrales ou demande privée qui se manifeste dès que les taux atteignent des niveaux attrayants, notamment aux Etats-Unis), tout excès de demande en faveur des obligations indexées sur l’inflation qui augmente la prime d’inflation a pour conséquence de faire baisser mécaniquement les taux réels.
L’environnement économique et financier devant poursuive son amélioration, il apparaît alors, que :
Quid des élections, en France ?
Historiquement, l’incertitude liée aux élections a pu se traduire par une hausse de la prime de risque de la France vis-à-vis de l’Allemagne, en particulier en 2016-2017. À ce stade, le sentiment de marché ne traduit pas de préoccupation particulière.
En 2021, les primes de risque ont baissé : pour la gamme A et BBB des entreprises non financières, les primes (au-dessus du taux swap) finissent à 23 et 49 pb, soit en baisse de 9 et 16 pb sur l’année. Les taux des obligations privées ont augmenté, mais moins que les taux souverains. Trois facteurs compriment taux et primes de risque :
Difficile, comme l’an dernier, d’anticiper un retournement sensible des primes de risque. Du point de vue fondamental, il sera intéressant de voir la résistance des entreprises aux mauvaises nouvelles cycliques (moindre soutien des politiques économiques, ralentissement en Chine, hausse des coûts de production), même si les comptes de résultat (marchés actions) semblent davantage exposés que les bilans à ces aléas (les rehaussements de notation devraient rester supérieurs aux abaissements). L’ampleur de la hausse des taux d’intérêt souverains est un élément-clé à surveiller : faible, elle serait insuffisante pour détourner la demande d’actifs au détriment de l’obligataire privé en faveur des marchés monétaires et obligataires souverains, faisant garder au marché de la dette privée son attrait ; mais davantage élevée, elle serait un vrai contrariant.
En 2021, nous n’attendions pas de changement de régime et les facteurs haussiers à surveiller identifiés ex ante (reconstitution des marges bancaires, hausse de la prime de risque des ménages liée à une dégradation attendue du marché du travail, effet de composition de la qualité des crédits dû à l’octroi de crédit plus permissif) ne se sont pas manifestés. Les taux de crédit à l’habitat ont finalement poursuivi leur reflux, alors même que la durée moyenne des crédits a augmenté et que les taux de financement sur le marché ont augmenté (taux OAT 20 ans sur le graphique).
A ce stade, ni les fondamentaux (risque de crédit du ménage), ni la hausse des taux d’intérêt de marché attendue (a priori modeste) ne présagent d’un changement de régime du taux du crédit à l’habitat. En 2021, la hausse des taux souverains n’a pas eu d’emprise marquée sur les taux du crédit à l’habitat, mais la poursuite de la hausse attendue des taux longs de marché, même d’ampleur a priori mesurée, est toutefois un facteur haussier à surveiller en 2022. L’effet « composition » mentionné par les professionnels du secteur pourrait être inverse à celui de 2021 : les dossiers de qualité seraient davantage retenus, ce qui freinerait la hausse de la prime de risque « ménage » donc le taux apparent des crédits. L’argument d’une éventuelle volonté des banques de reconstituer davantage de marge apparait, lui, moins prégnant dans un contexte global de taux d’intérêt plus élevés sur les marchés financiers qui améliorent la rentabilité des modèles bancaires.