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Crédit ©M. Huriez
Chaque année, les chantiers de construction d’Île-de-France génèrent près de 20 millions de tonnes de terres excavées, un poids supérieur à celui des déchets ménagers. Aujourd’hui, moins de 1 % de cette terre est valorisée. Focus sur la solution proposée par Terre Utile, une start-up d’Urban Odyssey, le start-up studio d’Icade, pour utiliser cette ressource précieuse d’une manière plus durable.
Face à l'urgence climatique et à la raréfaction des ressources naturelles, le secteur de la construction doit impérativement repenser ses modèles de production et de gestion des déchets. L'urbanisation croissante, particulièrement en Île-de-France avec le Grand Paris Express et les projets liés aux Jeux Olympiques, engendre une problématique colossale : la gestion des terres excavées. Ces volumes considérables de terre, extraits lors des travaux de fondation et de terrassement, représentent un défi environnemental majeur à l'heure où les décharges atteignent leurs limites de capacité et où l'empreinte carbone du secteur du BTP est scrutée de près.
Dans un contexte où la France s'est engagée à atteindre la neutralité carbone d'ici 2050 et où le "zéro artificialisation nette" est devenu un objectif réglementaire, la valorisation des terres excavées n'est plus une option mais une nécessité. Les sols naturels, véritables puits de carbone et réservoirs de biodiversité, sont une ressource non renouvelable qu'il convient de préserver. Parallèlement, l'aménagement urbain durable exige des espaces verts de qualité, nécessitant des volumes importants de terre végétale. Ce paradoxe entre production massive de déchets terreux d'un côté et besoin croissant de substrats fertiles de l'autre appelle à des solutions innovantes s'inscrivant dans une logique d'économie circulaire.
Une majorité des terres excavées finissent encore aujourd’hui en ISDI (Installations de Stockage de Déchets Inertes) alors même qu’elles constituent une ressource précieuse pouvant être valorisée de manière plus durable. Face à l’ampleur des volumes de terres excavées, plusieurs solutions existent déjà pour limiter l’envoi en décharge : remblaiement de carrières, création de merlons acoustiques, voire l’intégration dans certaines constructions en terre crue.
Pourtant, ces alternatives restent insuffisantes, et une grande partie de ces terres demeure inexploitée. Transformer ces terres en terre végétale apparaît donc comme une solution innovante et pertinente, permettant de répondre aux besoins croissants des espaces verts urbains sans puiser dans les terres naturelles.
C’est dans ce contexte qu’est née Terre Utile, une entreprise pionnière dans l’économie circulaire de la terre végétale dite “recyclée” et des matériaux de construction. Nous venons ainsi récupérer les matériaux excavés inertes avant de les recycler pour pouvoir livrer cette terre végétale recyclée sur d’autres chantiers.
Nous avons vendu plus de 60.000 m3 de terre depuis trois ans. On a démontré la viabilité du modèle et la qualité de la terre végétale recyclée. Nous arrivons maintenant au moment du passage à l’échelle. »
Après avoir déjà évité près de 1000 tonnes d’émissions de CO2, Terre Utile entend poursuivre l’évangélisation de sa solution le plus largement possible.
Une prise de conscience collective émerge aujourd'hui au sein des pouvoirs publics, particulièrement des collectivités locales, quant aux bénéfices du recyclage des terres. Cette évolution s'inscrit non seulement dans la logique de l'objectif "zéro artificialisation nette", mais présente également des avantages concrets : réduction du trafic routier de poids lourds, préservation des terres naturelles et protection de la biodiversité. Tous ces arguments convergent vers une même conclusion : privilégier la terre recyclée s'impose comme une évidence. D'autant plus que cette démarche n'engendre aucun surcoût par rapport à la mise en décharge traditionnelle. Le principal frein reste l'inertie des acteurs du secteur, contraints de transformer des habitudes profondément ancrées dans leurs pratiques professionnelles.
Terre Utile est intervenue sur le parc Icade des Portes de Paris (Saint-Denis/Aubervilliers) dans le cadre de l’extension de la forêt urbaine. Environ 20 % de la terre nécessaire pour la seconde phase de cet espace vert a été fourni par Terre Utile. Aujourd’hui, la forêt urbaine couvre une emprise de 15 000 m² avec 1 500 arbres plantés. Débutée en 2020, elle a été achevée en 2024 avec une dernière parcelle végétalisée accueillant près de 300 arbres.
La généralisation de ce type de solution nécessite un changement de paradigme dans la façon dont les acteurs du BTP considèrent les "déchets". Ce qui était vu comme un rebut coûteux à éliminer doit désormais être perçu comme une ressource valorisable, un maillon essentiel dans une chaîne de valeur repensée. Cela implique une évolution des mentalités, mais aussi des pratiques professionnelles, des cahiers des charges et des réglementations.
À l'heure où les villes cherchent à renforcer leur résilience face au dérèglement climatique, où les citoyens réclament des espaces urbains plus verts et où la réglementation pousse à l'économie de ressources, Terre Utile trace la voie d'un avenir où les déchets d'aujourd'hui deviennent les ressources de demain, et démontre que des solutions concrètes, économiquement viables et immédiatement applicables existent déjà. Il appartient maintenant aux décideurs publics et privés de les adopter à grande échelle pour transformer durablement notre façon de construire la ville de demain.
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Depuis 2019, Urban Odyssey, le start-up studio d’Icade, accompagne l’émergence et la création de start-ups à impact, capables de faire bouger les lignes pour la filière. Sa particularité est d’associer incubation, accès au marché et investissement minoritaire au sein d’une même structure. En cinq ans, Urban Odyssey a accompagné la création et le déploiement de 18 start-ups, leur apportant un soutien technique et commercial, en leur ouvrant des marchés et en les rapprochant des leaders du secteur, tout en investissant à leur capital de façon minoritaire, à leur création. L’objectif : dérisquer leurs projets et favoriser leur adoption par la filière pour bâtir la ville de 2050.