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Crédit ©Monchisa/Adobe stock
L’atteinte des objectifs environnementaux ambitieux de l’Union Européenne (UE) nécessite le développement massif de technologies bas-carbone (réseaux électriques, éoliennes, panneaux solaires, véhicules électriques…). Mais pour y parvenir les besoins en métaux critiques (cuivre, nickel, lithium, cobalt, terres rares…) sont très importants. De fait, d’après l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la production d’une voiture électrique requiert six fois plus de métaux critiques que celle d’un véhicule thermique, celle d’un parc d’éoliennes neuf fois plus qu’une centrale électrique au gaz. Par ailleurs, l’AIE estime que la demande mondiale en métaux critiques devrait être multipliée par six, afin d’atteindre l’ambition net-zero d’ici à 2050.
C’est dans ce contexte que la demande pour ces métaux est attendue en forte hausse dans les prochaines années. Cependant, tout comme pour les énergies fossiles, l’UE reste dépendante en métaux critiques, ce qui peut entraîner des risques importants. Surtout dans un monde davantage fragmenté dans lequel les tensions géopolitiques peuvent s’exacerber rapidement. Par exemple, les restrictions aux exports sur les métaux ont été multipliées par cinq depuis 2009, selon l’OCDE. Autrement dit, la situation n’est pas des plus favorables.Et pour y voir plus clair, Capucine Nobletz, chercheuse postdoctorale à l’Institut Louis Bachelier (ILB),qui travaille sur les métaux critiques dans le cadre de l’équipement d’excellence PLADIFES (Plate-Forme De Calcul Numérique, Intelligence Artificielle et Base Internationale de Données Environnementales, Financières et Sociétales à Fréquence Elevée), a répondu à des questions sur ce sujet ô combien stratégique. Interview.
Aujourd’hui, l’UE est dépendante de son approvisionnement en métaux critiques, elle n’est pas complètement autonome dans ce domaine pour ses besoins et sa consommation. Elle dépend ainsi de grandes puissances minières à la fois pour l’extraction et le raffinage des métaux. Concernant l’extraction, la Chine extrait 70 % des terres rares mondiales qui servent notamment à produire les turbines des éoliennes; l’Australie plus de la moitié du lithium mondial qui est utilisé dans les batteries des véhicules électriques; la République Démocratique du Congo plus de 60 % du cobalt mondial (également nécessaire pour les batteries des véhicules électriques); le Chili extrait environ 30 % du cuivre et 25 % du lithium dans le monde, alors que le cuivre est utilisé dans la majorité des secteurs des technologies bas carbone; l’Afrique du Sud domine pour l’extraction de platinoïdes. L’UE est très loin derrière, malgré des activités minières dans plusieurs pays comme l’Espagne, la Grèce ou dans les pays nordiques : sa part totale de métaux extraits atteint seulement 0.5 % de la production mondiale !
En revanche, en termes de raffinage, elle est mieux positionnée que sur l’extraction, même si cela reste insuffisant pour répondre entièrement à sa consommation domestique. La situation est donc contrastée. Par exemple, les besoins internes de l’UE en cobalt raffiné sont comblés à 91 % par la Belgique et la Finlande, mais pour les terres rares, elle dépend à 67 % de la Chine et même à 100 % pour certaines terres rares dites lourdes notamment le dysprosium. Quant au lithium raffiné, il est importé à 80 % du Chili. Ainsi, l’UE doit réduire sa dépendance en métaux si elle souhaite maintenir une autonomie énergétique face à sa transition.
La prise de conscience des enjeux cruciaux des métaux critiques s’est matérialisée avec le Critical Raw Material Act de mars 2023 qui élabore une stratégie visant à augmenter la capacité domestique de l’UE en métaux critiques. Pour ce faire, des critères de référence (benchmarks) ont été mis en place et à l’horizon 2030 à savoir : (i) 10 % de ses besoins annuels pour chaque matière première critique doivent provenir de l’extraction de son sous-sol ; (ii) 40 % de ses besoins annuels pour chaque matière première critique raffinée doivent provenir de ses industries ; (iii) 15 % de ses besoins annuels en métaux critiques doivent être récupérés grâce au recyclage en accompagnant le développement d’une filière dédiée (qui n’est pas ou peu rentable actuellement) ; et (iv) l’UE ne devra pas se fournir à plus de 65 % de chaque métal critique auprès d'un seul pays tiers. L’échéance est courte et d’autres moyens, en support à ces objectifs, sont envisagés comme la diversification des approvisionnements, l’accélération des autorisations et permis miniers (en moyenne, l’ouverture d’une mine est de 18 ans dans le monde, d’après une étude de S&P Global), la mise en place de normes environnementales pour les activités extractives et de raffinage, ou encore le soutien à la recherche. Enfin, d’autres propositions ont été émises, notamment dans le rapport Draghi sur la compétitivité européenne, comme la création d’une plateforme européenne sur les métaux critiques, des instruments de financements, un marché unique du recyclage ou encore la constitution de stocks stratégiques.
Cela peut paraître contre-intuitif, car les rapports internationaux sont unanimes concernant l’augmentation à venir des besoins en métaux critiques, les risques de pénuries et donc la hausse des prix. Mais il y a des raisons objectives à ce mouvement baissier. La pandémie a bloqué la demande et déstabilisé les chaines de valeur. Ensuite, il y a eu un boom de l’activité qui a entrainé un effet rebond sur les métaux critiques et ainsi une forte montée des prix. A cela, s’est ajouté la guerre entre la Russie et l’Ukraine, venant accroître la volatilité des prix de ces derniers. Actuellement, la baisse s’explique par des facteurs conjoncturels comme la faiblesse de la croissance mondiale, la hausse des taux d’intérêts opéré entre mi-2022 et ce début d’année, ainsi que la demande globale en berne. Cette baisse de demande se ressent notamment sur les ventes de véhicules électriques, particulièrement en Chine. Entre 2022 et 2023, le prix du lithium a baissé de moitié. Ces éléments sont visibles dans l’indice de prix, que nous avons coconstruit avec l’économiste et chercheur Jean-Baptiste Hasse. Celui-ci regroupe 29 métaux nécessaires à la transition énergétique et il est destiné à suivre la dynamique des prix de ce panier de métaux. Nous avons développé plusieurs méthodologies. Une première qui équipondère chacun des métaux et une deuxième qui pondère chaque métal en fonction de son volume d’échange sans qu’un seul métal ne dépasse pas 20 % de l’indice (afin de garantir sa stabilité). Cet outil, ouvert aux chercheurs et praticiens, capte ainsi les grands évènements mondiaux, ainsi que la dynamique dans le secteur minier et les technologies bas-carbone (par exemple, la guerre en Ukraine ou la crise du nickel). D’ailleurs, un article dédié sera publié d’ici à la fin de l’année (Hasse, J., and Nobletz, C. Critical Raw Materials Index – CRMI. Working Paper).
Le financement de la transition énergétique constitue bien entendu le nerf de la guerre et conditionnera sa réussite. Pour tenir les engagements environnementaux européens, les investissements dans les énergies renouvelables et les technologies bas-carbone doivent augmenter, ce qui entrainera une hausse de la demande en métaux critiques et pourrait provoquer des pressions importantes sur les prix. Une étude de Boer et al, publiée en 2021, indique que les prix des métaux critiques peuvent être colossaux et connaitre des hausses à deux ou trois chiffres par rapport aux niveaux de 2020 dans un scénario de neutralité carbone. Dans cette hypothèse, le coût de la transition augmentera sensiblement, ce qui pose plusieurs questions : comment l’UE va-telle porter ces coûts supplémentaires ? Les efforts pour la transition seront-ils réduits ? Ces problématiques sont cruciales surtout que l’offre de métaux critiques n’est pas extensible et concentrée dans certains pays. Sans oublier les tensions géopolitiques qui peuvent mener à la mise en place de quotas et/ou d’embargo. Si les prix des métaux montent, les technologies bas-carbone seront plus chères et il sera d’autant plus difficile de les diffuser à la population. Cela pourrait poser des questions d’accessibilité et d’équite en matière de transition écologique.
Comme évoqué précédemment, notre indice de prix sera mis très prochainement à disposition sur le site internet de l’équipement d’excellence PLADIFES pour inciter et encourager les travaux de recherche sur les métaux critiques. Cela permettrait notamment de mieux cerner la dépendance de l’UE. De notre côté, nous allons travailler avec notre indice pour observer, par exemple, comment un choc haussier sur les prix des métaux peut affecter les coûts des technologie bas-carbone et de la transition écologique.