Le rapport “Vers un contrat social pour le XXIe siècle” fruit d’un an de travail réalisé par l’Iddri et l’institut Hot or Cool, sorti en juin 2024, examine et analyse en profondeur les phases et les ressorts historiques de nos contrats sociaux, en France et au Royaume-Uni. Explication.

 

Une Europe en tension

Depuis quelques années, un certain nombre de tensions sociales semblent nous alerter sur la fragilité de notre modèle social : Brexit, mouvement des gilets jaunes, crise des agriculteurs, résultats des élections européennes et montée des extrêmes, ces événements semblent témoigner d’un mal-être social chez un pan important de notre société. Notre hypothèse est que ces tensions sociales émanent de promesses non-tenues, héritées du passé : bien qu’implicites, ces promesses sociales expriment des normes de justice qui informent puissamment nos attentes, et dessinent les contours de notre vie collective.

 

Le “contrat social” : un concept-clef et une méthode pour engager la transition

 Le concept de contrat social nous semble décisif en ce qu’il permet de se figurer ces promesses. Il définit la société comme un ensemble de transactions et de pactes qui organisent significativement cette dernière, de manière interconnectée. Nourri d’idéologies diverses, de compromis sociaux présents et passés, de pactes collectifs, le contrat social est un cadre avec lequel toute politique doit composer, si elle veut susciter l’adhésion. Cette nécessité pèse d’autant plus sur la transition écologique, tant celle-ci bouscule les schémas établis (modes de vie, secteurs économiques et emplois, etc.) et tant il est difficile de la promouvoir dans une société sous tension. En particulier, les pactes Travail, Consommation, Démocratie et Sécurité nous semblent constituer les quatre pierres angulaires de notre contrat social :

© Fivos Avgerinos

Légende : ce schéma représente les 4 pactes les plus constitutifs de notre vie sociale actuelle. Au croisement de ces quatre dimensions se situe l’espace dans lequel l’individu cultive son autonomie, et la « vie bonne », qu’il aspire à mener. Si les pactes Sécurité et Démocratie sont traditionnels dans les représentations philosophiques du contrat social, la société moderne et productiviste a vu l’émergence du pacte Consommation, qui renvoie à une promesse de prospérité, et du pacte Travail, qui renvoie à une promesse de solidarité.

Notre travail a consisté à analyser l’histoire de nos compromis et de nos promesses collectives à travers ces quatre dimensions, depuis la fin du XVIIIe siècle, en France et au Royaume-Uni, de façon à mettre au centre de la réflexion les enjeux sociaux et politiques de la transition. Il nous enseigne que ces pactes se sont révélés variables à travers l’histoire, et qu’ils sont toujours susceptibles d’être renégociés : c’est l’intérêt démocratique des concepts de pacte et de contrat, qui expriment cette potentialité permanente de remise en jeu de nos équilibres sociaux, dès lors qu’une partie prenante ne remplirait plus son devoir.

Ce volet historique a été complété par une phase plus empirique d’entretiens individuels avec une vingtaine de citoyen(ne)s ainsi que des focus groupes : ils ont permis d’examiner, au niveau de l’expérience vécue, comment s’incarnent nos promesses collectives, nos récits et nos compromis sociaux autour des quatre pactes. Surtout, ils ont révélé l’existence d’une vision effectivement contractuelle de notre vie sociale, politique et économique (chez les personnes interrogées), comme ils ont rendu sensible que notre contrat social est appréhendé comme défaillant par une majorité des individus enquêtés.

Quelles leçons tirer du passé ?

Concernant le pacte Consommation, il semblerait qu’il incarne désormais l'activité sociale par excellence, par laquelle les groupes sociaux et les individus se sentent valorisés et reconnus. Par ailleurs, les acteurs économiques et politiques organisent la consommation de masse selon l’idée qu’elle est une condition de prospérité, mais cette consommation est aussi une course sans fin et une poursuite intenable pour beaucoup, dans une société où les inégalités de ressources sont encore fortes, ce qui génère frustrations et tensions sociales.

Quant à la demande sécuritaire, celle-ci semble également en hausse constante, et concerne de plus en plus de pans de la vie : notre aversion pour le risque est de plus en plus haute, en particulier chez les classes moyennes qui souffrent de l’incertitude à tous niveaux (économique, social, etc.). Cela engendre, chez certains, une forme de frustration sécuritaire à laquelle les institutions et les politiques publiques ne peuvent apporter une réponse systématique, et qui fait monter l’adhésion pour les partis autoritaires.

À l’inverse, les pactes Démocratie et Travail ne semblent pas vraiment avoir fait l’objet de promesses renouvelées depuis les années 1970-1980. Comment proposer et concrétiser une définition émancipatrice du travail moderne ? Quel nouveau système démocratique pourra satisfaire le désir d’engagement - bien réel, mais souvent frustré - des citoyen(ne)s, qui ne se retrouvent pas dans nos institutions actuelles, et voient leurs attentes d’égalisation des conditions (principe fondamental du pacte démocratique) si régulièrement déçues ?

Comment mobiliser cette étude ?

Notre étude est loin d’avoir une simple fonction analytique ou intellectuelle. Elle permet d’interpréter des questions politiques brûlantes de notre actualité comme la contestation régulière, par les classes moyennes ou les agriculteurs, de certaines mesures de transition, ou revendiquées comme telles (Gilets jaunes, crise des agriculteurs, etc.) ; elle offre une base de réflexion pour de nouveaux récits politiques et écologiques, qui peuvent être utiles aux partis politiques, aux acteurs de la société civile et aux divers acteurs économiques, désireux de s’engager dans la transition ; elle fournit également des bases de questionnement pour les processus de démocratie participative ; elle constitue une ressource pour organiser des discussions cherchant à concilier progrès social et transition écologique, par exemple en facilitant la réflexion commune avec des experts sectoriels confrontés à des difficultés de mise en œuvre pratique, avec des promoteurs d'initiatives incarnant de nouveaux modèles de société, avec la société civile engagée en faveur d'une société plus équitable et plus durable.

Enfin, ce cadre permet de se demander si les tensions – sociales, économiques et politiques – que nous traversons actuellement sont comparables à certains moments historiques de redéfinition des pactes (par exemple, les grèves survenues après la victoire du Front populaire en 1936, en France, qui ont conduit à l’instauration des congés payés et de la semaine de quarante heures ; ou encore le rapport Beveridge en 1942 au Royaume-Uni et le programme de résistance « Les Jours heureux » en France pour fonder l’État-providence) : à ce titre, il permet de réfléchir aux conditions et coalitions sociales nécessaires à l’avènement d’un nouveau contrat social, pourvu que l’on examine, à travers l’histoire, les associations et les alliances qui ont porté leurs fruits, et engagé de véritables transformations sociales. 

 

La Caisse des Dépôts soutient les activités de l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). Ce centre de recherche indépendant diffuse ses travaux pour faciliter la transition vers le développement durable. Son objectif est d'identifier les conditions et de proposer des outils pour placer le développement durable au coeur des relations internationales et des politiques publiques et privées.  

Pour approfondir :

Télécharger la publication : "Vers un contrat social du XXIe s."

Auteurs : Mathieu Saujot, Marion Bet, Saamah Abdallah, Magnus Bengtsson, Charlotte Rogers