cicéron
c'est poincarré
Dossier
On a trop longtemps cru que la ressource en eau était intarissable. Le risque d'en manquer n’est pourtant pas une fatalité : des solutions existent pour l'optimiser, la renouveler, la préserver.
L’été 2022 a servi de détonateur pour nous faire prendre conscience que ce bien commun est précieux (et qu’il peut être rare). Au risque de paraître angoissante, la question se pose légitimement : allons-nous un jour manquer d’eau ? D'autant que, selon l’hydrologue Emma Haziza : « Le risque de manquer d’eau courante risque d’arriver plus tôt que prévu. »
Les anomalies de températures qu’entraîne avec lui le réchauffement climatique ont des conséquences parfois irréversibles sur les cours d’eau -forcément très touchés par les épisodes de sécheresse- et sur la biodiversité. D’où, la peur légitime d’une pénurie durable. Les questions environnementales arrivent régulièrement en tête des préoccupations des Français, le sujet se classant même parfois tout en haut des tendances sur les réseaux sociaux !
L’enjeu de l’eau n’est pas uniquement national : nous faisons partie d’un grand écosystème global. Toute la planète est liée sur ce sujet et cette thématique peut provoquer dans certains pays un accaparement, voire des guerres de l’eau entraînant des déplacements de populations. Si la surface de la Terre est majoritairement recouverte par l’eau des océans, la planète bleue n’en aurait-elle que le nom ?
1 %
d’eau douce est disponible sur Terre (« Fake or not : l’eau » de Charlène Descollonges)
Avoir accès à l'eau, ce n'est pas seulement pouvoir se désaltérer et bénéficier de bonnes conditions d'hygiène, c'est aussi pouvoir cultiver la terre, produire de l'énergie, faire tourner les usines… Entre croissance démographique et développement économique, l’ONU anticipe dans un rapport de 2019 une hausse de la demande mondiale de 20 à 30% d'ici à 2050.
Navigatrice aux nombreux exploits et femme engagée, Maud Fontenoy est notre Grand témoin.
Selon le rapport établi pour les Assises de l’eau en mai 2019, la situation française est globalement positive. En France métropolitaine, la quantité d'eau renouvelable disponible (celle qui peut être utilisée pour satisfaire les besoins humains sans compromettre la situation future) a cependant baissé de 14% entre la période 1990-2001 et 2002-2018, « essentiellement en raison de l'élévation des températures de 0,6°C au cours de la décennie 2011-2021 par rapport à la période 1981-2010 », note la Cour des Comptes dans un rapport de 2023.
Tous les étés depuis près de 10 ans, la France subit des restrictions d'eau. Les sécheresses augmentent, le niveau des nappes phréatiques est au plus bas en France (même en hiver). On commence à ressentir les conséquences du réchauffement climatique « en bas de chez soi. » Et ça ne risque pas de s’améliorer de sitôt si on en croit les projections de Météo France jusqu’à 2100, qui montrent un dérèglement durable des précipitations, avec un effet notable sur les cultures, entre autres.
Crédit © Météo France
L’élévation des températures augmente, entre autres, l’évapotranspiration des plantes, qui ne retiennent plus assez l’eau qui retourne donc dans l’atmosphère au détriment des cours d’eau, des sols et des nappes. Quand on sait l’incidence que les périodes de sécheresses et d’inondations ont sur les productions agricoles et énergétiques, le tableau n’est pas très réjouissant...
Cet enjeu de la raréfaction de l’eau dans les rivières, les lacs, les zones humides, les nappes d’eaux souterraines, etc., doit nous faire prendre conscience de la nécessaire sobriété des usages. Nous devons absolument optimiser l’utilisation de la ressource. Chacun est désormais conscient de l’urgence d’adapter nos territoires aux effets des changements climatiques.
Comment ça marche ? Les deux circuits de l’eau :
- le petit cycle de l'eau : concerne l'alimentation en eau potable et le traitement des eaux usées ;
- le grand cycle de l’eau : concerne la désimperméabilisation des sols, la gestion des eaux pluviales, la Gemapi - Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations-, les solutions fondées sur la nature, etc.
Crédit © Ronan Lietar - Fisheye
Un Français consomme en moyenne
149 l
d'eau par jour (Observatoire des services publics d’eau et d’assainissement, 2022).
L’eau est essentielle que ce soit pour la consommation privée ou pour faire tourner l’économie du pays.
Chacun pense que la ressource lui appartient, d’où les conflits d’usage que cela peut provoquer, comme avec le tristement célèbre exemple récent des bassines de Sainte-Soline... En 2020, le rapport Tuffnell à l'Assemblée nationale abordait déjà la gestion des conflits d’usage en situation de pénurie d’eau : « Les conflits d’usage émergent quand la ressource, à un instant, en un lieu donné et pour une qualité donnée, ne permet pas, ou plus, de satisfaire les différents usagers. »
Lire la série d'articles du blog de la Caisse des Dépôts sur « les conflits de l’eau autour de l’agriculture »
Crédit © Groupe Caisse des Dépôts / Adobe Stock
Dans son « Plan eau », présenté le 30 mars 2023, le gouvernement s'attaque au problème des fuites grâce, entre autres, à une augmentation de 180 M€/an d’aides aux Agences de l’eau dédiées au petit cycle de l’eau pour remplacer les canalisations. Il compte aussi beaucoup sur les travaux d’interconnexion des réseaux d'eau potable lancés depuis l’été dernier pour sécuriser l’approvisionnement et éviter les coupures.
700
communes françaises ont été privées d’eau potable à l’été 2022 (ministère de la Transition écologique)
Les infrastructures de l’eau ont besoin d’investissements importants pour moderniser les réseaux et augmenter leur rendement. Près de la moitié des infrastructures françaises ont été installées avant 1972. Elles ont normalement une durée moyenne de vie de 50 à 60 ans.
La lutte contre le gaspillage de la ressource doit permettre d’atteindre l’objectif de réduction des prélèvements en eau de 10% d’ici 2030, puis de 25 % en 15 ans, fixé par les autorités françaises. Car avant d'arriver dans votre robinet, l'eau effectue un grand voyage dans les canalisations... dans lesquelles il y a beaucoup de pertes !
Crédit © Caisse des Dépôts / Adobe Stock
Les écogestes du quotidien selon Suez
La politique de l’eau est territoriale. Le transfert obligatoire des compétences « eau » et « assainissement » aux communautés de communes est prévu au 1er janvier 2026.
Les compétences locales de l’eau sont au nombre de cinq : la distribution de l’eau potable, l’assainissement des eaux usées, la gestion des eaux pluviales urbaines, la Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (GEMA-PI) et la Défense extérieure contre l’incendie (DECI).
La municipalité (ou l’intercommunalité) doit donc faire face aux dépenses d’entretien des équipements et aux investissements indispensables pour maintenir la qualité de ses services d’eau et d’assainissement des eaux usées. Le tarif de l’eau relève ainsi de la compétence des éIus. La tarification progressive en fonction de la consommation a été mise en place à titre expérimental pour les particuliers dans certaines communes (Dunkerque, Montpellier, Livourne...) depuis 2017. A la suite du « plan Eau », qui s’inspire des travaux du Comité national de l’eau, elle devrait s’étendre à d’autres localités
L’eau est certes un bien commun, mais les services qui la rendent potable, la distribuent, puis l’épurent après utilisation ont un coût. C’est pour cela que l’eau potable est facturée aux abonnés du service d’eau. L’argent ainsi collecté couvre le coût des services.
Une famille française dépense en moyenne
1 €
par jour pour le service public de distribution d’eau et d’assainissement des eaux usées. (source : CIE)
Sur les questions de gouvernance liées à la thématique de l’eau, lire la série publiée sur le Blog à l’été 2022.
La question qui se pose aujourd'hui est : comment rendre l'eau disponible à tous ?
Ex-navigatrice et femme de conviction, Maud Fontenoy se bat avec sa fondation pour préserver la ressource qu’elle aime le plus au monde : l’eau. Celle des océans, bien sûr, mais aussi celle qui sort du robinet.
Dans ce contexte d’urgence climatique et de raréfaction des ressources, le groupe Caisse des Dépôts mobilise davantage de moyens financiers et techniques. Cela afin de tenter d’éviter le manque, de pallier les conséquences du réchauffement climatique et d’assurer la distribution d’eau au plus grand nombre.
Les besoins pour le renouvellement annuel des infrastructures en eau sont estimés entre 6,4 à 10,9 Md€ en France (source : Caisse des Dépôts).
Cette somme recouvre la réfection des réseaux, la digitalisation, le développement des interconnexions, ou encore la réfection ou la mise aux normes des stations d’épuration. France Stratégies estime qu’iI faudrait 3 Md€ supplémentaires par an pendant 5 ans, soit 15 Md€, pour adapter les services publics d’eau et d’assainissement au changement climatique.
Des moyens financiers seront déployés sur la période 2023-2027 avec 15 M€ de crédits d’ingénierie, le doublement de l’enveloppe des prêts mobilisables pour la gestion de l’eau et des milieux aquatiques et la prévention des inondations (Gemapi) et des prêts à taux fixes pour des durées de 25 à 40 ans.
Regardez comment le groupe Caisse des Dépôts agit pour préserver la ressource en eau.
Crédit © Caisse des Dépôts
La gestion de la ressource naturelle en eau fait face à des enjeux d’une urgence croissante. Sous l’effet du changement climatique, la ressource voit sa quantité raréfiée, sa qualité dégradée, et les risques l’entourant accentués. De surcroît les besoins en investissement dans les infrastructures et réseaux se font de plus en plus massifs, alors même que l’actuel sous-investissement génère une forme de dette écologique qu’il sera de plus en plus difficile de résorber. Dans ce contexte, la Banque des Territoires entend renforcer son action au service de la transformation de la gestion de l’eau, pour mieux répondre aux besoins des collectivités en la matière tout en massifiant son propre impact.
La sobriété hydrique, c’est-à-dire prendre conscience de l’enjeu d’économiser et de moins consommer la ressource, peut être atteinte entre autres grâce à des actions au niveau des pouvoirs publics.
Ainsi, la Banque des Territoires, qui œuvre pour des territoires plus durables et est le partenaire financier des collectivités locales, s’engage à mettre en œuvre la mesure 41 du Plan eau. Celle-ci vise une massification de la mise en œuvre de l’Aqua prêt et une offre d’accompagnement aux collectivités de bout en bout. Trois territoires pilotes ont déjà été désignés : la Nouvelle-Aquitaine, le Centre Val-de-Loire et les Hauts-de-France.
Ses prêts à taux fixe ou révisable, en particulier de très longue durée (jusqu’à 60 ans), pèsent moins sur l’épargne nette des collectivités, leur permettant ainsi de maintenir ou renforcer leur niveau d’investissement et de ne pas différer des travaux urgents malgré la conjoncture.
Pour encore plus d’efficacité, la Banque des Territoires est membre fondateur du collectif « Aquagir », qui vise à proposer des solutions aux acteurs de l’eau, principalement les syndicats des eaux, sur toute la chaîne de valeur.
Avec sa prise de participation dans le groupe Suez début 2022, le groupe CDC (Caisse des Dépôts et CNP Assurances) a permis de conforter l’ancrage national de cet opérateur majeur de la gestion de l’eau pour qu’il perdure dans un marché fortement concurrentiel. Suez Eau France, héritier de la Lyonnaise des eaux, exploite et maintien des infrastructures dédiées à l’eau et au traitement des eaux usées pour le compte d’environ 2 000 communes françaises. Ses principaux clients sont d’ailleurs des collectivités, qui sont en première ligne pour la mise en œuvre des politiques de l’eau. En soutenant un leader français et mondial dans ce secteur d’activité essentiel, la Caisse des Dépôts renforce son ambition de devenir un acteur de premier plan de la transformation énergétique et écologique de l’économie française, et du développement des territoires.
10.8 M
Crédit © Groupe 6 / KDSL
Afin de mieux connaître la ressource, le Groupe et ses filiales fournissent également un mix de solutions, dont des solutions technologiques innovantes.
Pour mener à bien le « Plan eau », l’amélioration de la connaissance de la ressource est primordiale. Le Groupe dans son ensemble participe à optimiser son utilisation grâce à la recherche et l’innovation. Il promeut la création d’outils s’appuyant sur la data, qui peuvent par exemple servir à anticiper les risques de manque d’eau potable. Grâce à une gestion plus fine des données, l’innovation pourrait aider à résoudre les problématiques très complexes de l’eau.
La Banque des Territoires met son expertise de la data à destination des collectivités et soutient des entreprises spécialistes de la digitalisation de la ressource en eau. C’est pourquoi début 2022, elle est entrée au capital d’Aquasys, pionnier dans l’utilisation de l’intelligence artificielle dans la gestion hydrologique, à hauteur de 750K€ (en deux fois).
Aquasys développe des outils numériques d’aide à la décision dédiés à la gestion de la ressource en eau destinés aux collectivités, aux acteurs publics, industriels et agricoles.
Ces outils permettent de connaître l’état quantitatif et qualitatif des ressources, d’organiser les prélèvements, d’anticiper les risques de pollution, d’inondation et de sécheresse. Les multiples points de surveillance de la ressource présents sur les territoires transmettent des données en open data qui sont analysées quasiment en temps réel. Ces données sont ensuite transformées en informations. Cela répond au besoin croissant de gestion des instances locales induit par le réchauffement climatique. Grâce à l’intelligence artificielle, les experts d’Aquasys proposent des modèles prévisionnels destinés à anticiper l’évolution probable des ressources selon les différents scénarios climatiques. Cette anticipation est indispensable à la prise de décision. L’objectif à moyen terme est d’accompagner la transition des territoires vers une « gestion plus protectrice et dynamique de la ressource en eau ».
Comment l’IA entre au service de la gestion de l’eau
Près de ¾ de l’eau potable est puisée dans les nappes souterraines en France.
Le rapport « Explore 2070 » du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) livrait dès 2012 un constat alarmant sur les niveaux des cours d’eau et le taux de charge des nappes phréatiques attendus à l’horizon 2046-2050, avec « une baisse significative de la recharge des nappes, une baisse du débit moyen annuel des cours d’eau, avec des débits hivernaux réduits de 30 à 60%. » De quoi s’attendre à des perturbations sévères sur l’agriculture, le tourisme et l’énergie ainsi qu’à une probable tension sur l’approvisionnement en eau potable…
Afin d’anticiper ce problème, Suez a trouvé l’option de réalimenter les nappes phréatiques en utilisant de l’eau de rivière, comme à Hyères dans le Var et au Pecq-Croissy dans les Yvelines. Ce dispositif de recharge maîtrisée dépasse parfois 30 M m3/an. La ville de Hyères-les-Palmiers et Suez ont développé Aqua Renova, un important programme de réhabilitation et de restauration des nappes d’eau souterraines exposées aux intrusions salines, visant à redonner à cette agglomération son autonomie en eau. Le principe consiste à repousser l’eau salée en réalimentant la nappe phréatique car lorsque les réserves d’eau douce souterraines baissent en-dessous d’un certain niveau, l’eau de mer remonte et rend l’eau impropre à la consommation.
Le principe de réalimentation d'une nappe phréatique en 30 secondes
Afin de préserver la ressource, il est urgent de ne plus aller contre le cycle de l’eau, de ne plus le contrarier : « Privilégier le génie écologique par rapport au génie civil », comme l'écrit Roxane Benedetti de la SCET dans le Blog.
Pour préserver les « rivières et les milieux humides », le gouvernement envisage de doubler la superficie des aires protégées qui contiennent des milieux humides d’ici à 2030. La Bièvre fait depuis près de 10 ans l’objet d’un important projet d’aménagement conduit par le département du Val-de-Marne et soutenu par la Banque des Territoires. Objectif : rendre la Bièvre à nouveau visible, redonner ses droits à la nature et recréer une vraie rivière. Une manière de remettre de la nature en ville.
En parallèle de la consommation traditionnelle des ménages français, un travail doit être mené sur l’agriculture, premier consommateur d’eau annuel du pays, afin de soutenir la mutation de ses pratiques.
Le démonstrateur SALT’EAUX, lauréat de l’appel à projet « France 2030 - Démonstrateurs territoriaux des transitions agricoles et alimentaires », a pour objet la réutilisation des eaux usées traitées produites par les stations d'épuration de Thau et de Camargue pour irriguer et drainer les surfaces viticoles limitrophes. Il est centré sur le périmètre de l’IGP Sable de Camargue (115 vignerons-producteurs sur près de 3 000 ha de vigne), de la Communauté de Communes Terre de Camargue (CCTC) et de la Communauté d’Agglomération Sète Agglopôle Méditerranée (SAM). Ce projet commun est soutenu par la Banque des Territoires dans le cadre de France 2030.
Il n’existe pas un hectare de notre pays dont l’avenir n’est pas directement lié à l’eau, qu’il s’agisse de sa qualité, de sa quantité, ou encore de la préservation de la biodiversité qui en découle. Notre dépendance à la ressource nous oblige à penser une gestion intelligente de l’eau. Côté consommation, comme c’est le cas pour l’énergie, la sobriété des usages devient un enjeu majeur pour l’avenir des activités humaines et des écosystèmes naturels sur le territoire national. Consommer moins mais surtout consommer mieux : si des solutions technologiques existent, une gestion raisonnée et sobre de l’eau passe aussi par une prise de conscience citoyenne. L’ensemble des acteurs doivent s’allier pour relever le défi d’une gestion durable et sobre de l’eau dans les territoires et la préserver au bénéfice de tous. Faudra-t-il pour cela aller jusqu’à faire entrer le droit à l’eau dans la Constitution, comme le suggèrent certains ?
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