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Crédit ©Tricky Shark / Adobe stock
La France traverse actuellement sa plus grave crise énergétique depuis 50 ans. Cette dernière illustre de façon douloureuse les conséquences de notre dépendance aux énergies fossiles importées et fortement émettrices de CO2. Mais elle remet également sur le devant de la scène l’importance de la transition bas-carbone, principal levier pour améliorer notre résilience face aux crises à venir.
Si la sobriété énergétique s’est imposée comme un « incontournable » du débat public, elle ne saurait supplanter l’importance cruciale des mesures d’efficacité énergétique, à commencer par la rénovation énergétique des bâtiments. Un éclairage des enjeux stratégiques au regard du contexte actuel.
Dans le contexte actuel de tensions géopolitiques croissantes autour de l’énergie et de l’envolée des prix, un simple regard rétrospectif suffit pour illustrer l’importance des politiques de rénovation énergétique : si la France avait respecté ses objectifs du Grenelle de l’Environnement de 2009 (-38 % de consommation d’énergie dans les bâtiments et 400 000 rénovations lourdes par an), elle aurait déjà pu être indépendante du gaz russe à partir de 2020. [1]
Les canicules record de l’été 2022 apportent une autre illustration de l’importance cruciale de la performance des bâtiments, en y intégrant par ailleurs l’enjeu du confort d’été, encore trop peu pris en compte dans les politiques de rénovation énergétique (contrairement à la réglementation pour le neuf).
Face à ce potentiel, la mise en œuvre des politiques de rénovation énergétique reste encore hésitante, en dépit d’améliorations notables depuis quelques années. Avec -18 % entre 1990 et 2019, la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre se situe actuellement en dessous de celle fixée par les budgets carbone de la stratégie nationale bas-carbone. Il s’agit néanmoins d’un succès à nuancer, puisque ce résultat est en partie dû au relèvement du budget carbone intervenu lors de la révision de la SNBC (Stratégie nationale bas carbone) et d’un changement de méthodologie de la comptabilisation des émissions dans les bâtiments. Et sachant qu’il faudra par ailleurs fortement accélérer la dynamique pour atteindre l’objectif 2030 d’une réduction des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 50 % pour le secteur.
Mais c’est surtout au niveau des gains d’efficacité énergétique que le bât blesse : alors que la loi Grenelle visait une baisse de 38 %, la réduction de la consommation d’énergie des bâtiments entre 2008 et 2021 s’élève à… 2 %. En effet, la croissance du parc en surface [2] a en grande partie compensé les gains unitaires d’efficacité, notamment sur le neuf, illustrant parfaitement la nécessité de croiser les politiques d’efficacité et de sobriété énergétique.
Fruit d’un travail co-financé par la Caisse des Dépôts, mené pendant 2 ans avec un groupe d’experts, l’IDDRI et l’Ademe ont récemment publié une étude et une note de propositions pour accélérer les politiques de rénovation énergétiques, résumés ici autour de 5 chantiers stratégiques :
Les scénarios prospectifs visant à atteindre la neutralité climatique en 2050 convergent fortement autour de la priorité accordée aux rénovations performantes, comme l’illustre un récent travail de comparaison. Il s’agit désormais de traduire cette priorité sur le plan politique et également d’en faire une nouvelle « norme sociale » pour l’ensemble des acteurs du marché immobilier.
Cela devrait passer en premier lieu par un resserrement de la définition réglementaire pour les rénovations performantes issue de la loi climat et résilience de 2021 afin d’afficher plus clairement la priorité accordée aux rénovations BBC (bâtiment basse consommation).
Accélérer la transition écologique en période de crises – géopolitique, énergétique, économique, sociale, écologique – semble aussi indispensable que difficile. Avec une tentation politique forte de se focaliser sur l’urgence sociale et économique à court terme, parfois à contre-courant des logiques de transition. Or, les limites d’une telle politique apparaissent rapidement, dans un contexte où les prix des énergies risquent de rester durablement à des niveaux bien plus élevés que par le passé.
Pour la France, il s’agit ainsi de se préparer à la sortie du « bouclier tarifaire », au coût exorbitant de 30 milliards d’euros en 2022 (soit autant que les financements publics favorables au climat en 2021, plan de relance compris).
Afin d’y arriver, l’IDDRI a proposé une mesure simple : 1€ = 1€. Pour chaque euro d’argent public investi dans l’aide d’urgence au paiement des factures (idéalement ciblé sur les plus vulnérables), 1 euro additionnel devrait être fléché pour accélérer la transition à toutes les échelles, en déployant notamment un « plan Marshall » de rénovation des passoires thermiques.
Le marché des rénovations performantes reste encore embryonnaire en France. Une stratégie de massification implique ainsi de considérer non seulement la demande mais également l’offre, autour des enjeux de formation et de besoins de main d’œuvre. Afin de réellement mobiliser les acteurs professionnels, deux points paraissent indispensables : un signal politique clair en faveur de ce changement d’échelle ; et l’élaboration d’une feuille de route claire avec l’ensemble des parties prenantes.
Politiques sociales, accès au logement, urbanisme et aménagement, rénovation énergétique : de nombreuses politiques se focalisent sur les logements avec des approches et objectifs divergents. A la croisée des dimensions sociales (précarité énergétique et hausse des prix), sanitaires (insalubrité, privation de chauffage et santé publique), économiques et écologiques (transition et adaptation aux impacts du réchauffement climatique), les enjeux climat-énergie devront être intégrés de façon transversale dans ces politiques, en identifiant non seulement les synergies mais également les points de friction et arbitrages nécessaires.
La difficulté à réellement changer d’échelle s’explique ainsi en grande partie par le fait que la majorité des dispositifs politiques continuent à être gérés de façon conjoncturelle, sans aucune visibilité sur leurs évolutions à plus long terme.
A l’inverse, une transformation structurelle des dispositifs politiques en faveur de la massification et de la priorité accordée aux rénovations performantes ne pourra se faire du jour au lendemain, et exige une planification respectant plusieurs critères :
Pour concrétiser cette vision stratégique, le gouvernement dispose actuellement de trois opportunités, dont l’articulation reste par ailleurs à préciser :
Tout un chantier. Mais dont l’importance ne cesse de croître face aux crises que nous vivons.
[1] Réduire de 38 % la consommation des bâtiments équivaut à un peu plus de 200 TWh. Si 50 % des travaux auraient été ciblées sur les bâtiments chauffés au gaz, cela correspond à une baisse d’environ 100 TWh. Une rénovation performante permettrait de gagner de 20 à 25 MWh par mois, soit jusqu’à 10 TWh d’économies par an pour 400 000 rénovations et jusqu’à 100 TWh sur 10 ans.
[2] Le parc de résidences principales a augmenté de 23 % entre 2000 et 2018 pour atteindre près de 30 millions de logements. La surface habitable a même augmenté de 50 % depuis 1990.
La Caisse des Dépôts soutient les travaux de l’Institut du développement durable et des relations internationales (www.iddri.org). Ce centre de recherche indépendant diffuse ses études pour faciliter la transition vers le développement durable. Son objectif est d’identifier les conditions et de proposer des outils pour placer le développement durable au cœur des relations internationales et des politiques publiques et privées.