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Il y a des secteurs où le mot sobriété est difficile à décliner sur le plan mondial, comme l’a souligné la conférence des Nations-Unies sur l’eau qui vient de se tenir du 22 au 24 mars dernier, un évènement qui n’avait plus eu lieu depuis 1977… Une absence d’autant plus étonnante que la pénurie en eau est un des problèmes les plus cruciaux du siècle.

Comme l’a récemment mis en lumière l’UNESCO, plus de 2 milliards de personnes n’ont pas accès à l’eau et « la population urbaine mondiale confrontée au manque d’eau devrait doubler, passant de 930 millions en 2016 à 1,7 à 2,4 milliards de personnes en 2050 », soit « un tiers à près de la moitié de la population urbaine mondiale en 2050 ». En parallèle, la demande devrait continuer à croître d’environ 1 % par an d’ici à 2050, « sous l’effet conjugué de la croissance démographique, du développement socio-économique et de l’évolution des modes de consommation ». En zones rurales, 84 % des terres cultivées dans le monde vont manquer de plus en plus d'eau d'ici 2050, et 60 % d'entre elles devraient connaître des situations de pénurie.

En clair, pour deux milliards de personnes, le droit à l’eau formellement reconnu par l’Assemblée génerale de l’ONU en 2010 est un droit virtuel et les objectifs visés par l’ODD 6[1] « Garantir l’accès de tous à l’eau et à l’assainissement et assurer une gestion durable des ressources en eau » ne seront pas atteints selon la trajectoire mondiale en cours. Les pressions anthropiques actuelles sont trop importantes pour assurer la durabilité de l’eau. Tous les secteurs et activités socioéconomiques sont potentiellement vulnérables aux impacts climatiques en cours et à venir.

Lors de cette conférence, a été adopté un Programme d’action pour l’eau avec plus de 700 engagements visant à sécuriser l’accès à l’eau…Trop, peut-être… On retiendra que l’Union européenne (UE) s’est engagée à soutenir l’accès de 70 millions de personnes à une source d’eau potable améliorée et/ou à des installations sanitaires d’ici 2030. Un Envoyé spécial pour l’eau sera désigné en amont du Sommet sur les Objectifs de développement durable qui se tiendra en septembre 2023.

La multinationale française Danone lancera un fonds de financement mixte afin de permettre à 30 millions de personnes dans le besoin d’avoir accès à de l’eau salubre tous les jours. Le président de l’Assemblée générale des Nations Unies, Csaba Kőrösi, a déclaré que les 300 milliards de dollars d’engagements promis pour soutenir le Programme d’action pour l’eau ont le potentiel de débloquer au moins 1000 milliards de dollars pour les secteurs socio-économiques et les écosystèmes.

Ce Sommet sera-t-il, comme le dit le Secrétaire général de l’ONU celui qui verra « l’humanité « sur la voie d’un avenir où la sécurité hydrique sera assurée pour chacun et chacune d’entre nous » ? Le Comité 21 fait partie, depuis très longtemps de ceux qui ont regretté qu’une Convention mondiale sur l’eau n’ait pas été élaborée avec celles sur le climat et la biodiversité. Nous en payons aujourd’hui les conséquences, faute d’une réflexion internationale sur l’épineux problème du partage de l’eau.

L’adaptation de l’eau aux changements climatiques, un des sujets de la Conférence, reste pour nous crucial.

L’adaptation aux changements climatiques est indispensable pour pouvoir bénéficier de cette ressource vitale qu’est l’eau. Il apparait donc urgent de doubler l’effort consenti pour atteindre l'objectif 2030 de l’indicateur 6.5 des ODD : « mettre en œuvre une gestion intégrée des ressources en eau à tous les niveaux, y compris au moyen de la coopération transfrontière selon qu’il convient ».

Parmi les outils opérationnels plébiscités pour l’adaptation des ressources en eau aux changements climatiques, plusieurs ont fait leur preuve sur le terrain. C’est le cas par exemple des approches systémiques dans la gouvernance et la gestion des ressources en eau utilisées dans un contexte de changements climatiques, de risques et de déclin environnemental. C’est  aussi celui de la gestion intégrée des ressources en eau (GIRE – IWRM), primordiale pour la planification de l'adaptation aux changements climatiques, par exemple par le biais des solutions d’adaptation fondées sur la nature (SafN).

Si la situation mondiale est alarmante, celle de l’Europe l’est aussi. On le constate en ce moment pour l’Espagne, en particulier à travers les conflits de l’eau autour du Tage ; en France, 2022 se révèle être un marqueur significatif des changements climatiques en cours : il s’agit de l’année la plus chaude jamais enregistrée, avec un déficit pluviométrique moyen de 25% et l’année ayant subie la 2ème plus longue sécheresse des sols. Certes, la France a été considérée longtemps comme un «  modèle » en matière de gestion de l’eau : elle  dispose d’une solide expérience en matière de gestion de l’eau par bassin versant tout en étant dotée d’outils et de cadres favorisant les conditions pour une GIRE efficace, et, par ailleurs, les enjeux climatiques y sont progressivement intégrés comme le montrent les politiques d’intervention des Agences de l’eau qui consacrent plus de 40 % de leurs aides (entre 2019 à 2024) à des stratégies d’adaptation opérationnelles.

Mais les investissements engagés dans la gestion de l’eau sont aujourd’hui insuffisants pour faire face à l’ensemble des enjeux conjugués et exacerbés par les pressions climatiques ; d’ailleurs la réflexion sur les conséquences de ces enjeux croisés, y compris climatiques, est évoquée dans la Stratégie de résilience lancée par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN).

La Conférence des Nations-Unies a donc été une nouvelle opportunité pour les acteurs français de l’eau de rappeler la nécessité d’une évolution des modalités de sa gestion sur le territoire national à travers de multiples propositions. Elles   se déclinent en un renforcement significatif des moyens financiers alloués aux acteurs territoriaux de la gestion de l’eau et par l’évolution des outils mis à disposition pour la faire vivre, notamment par des changements réglementaires.

Pour le Comité́ 21, il est nécessaire de repenser l’écosystème territorial de l’eau et de refonder les principes du partage de l’eau. Le conflit des mégabassines doit être une occasion de réfléchir à des pistes nouvelles pour ce partage; c’est pourquoi, nous avons formulé les recommandations suivantes :

  1. Organiser un débat public sur le partage de l’eau eu égard aux nouvelles conditions climatiques

    Différentes institutions, dont le Sénat, la Cour des Comptes ont souligné les lacunes de la gouvernance de l’eau d’autant plus inquiétantes que les usages vont faire l’objet de conflits violents, et que le partage de l’eau n’est pas discuté démocratiquement. Un débat public s’impose, car les récentes consultations sur le Varenne agricole de l’eau ne concernaient pas l’ensemble des usages. Il est trop tard pour l’organiser avant l’été 2023 mais les leçons des saisons prochaines devraient être intégrées à la formulation de ce grand débat.


     
  2. Rendre la gestion de l’eau centrale dans les outils de planification nationale et territoriale.

    L’approche systémique de l’action publique Eau – Climat à l’échelle des territoires et des organisations devrait être renforcée, afin de permettre de tisser des liens aussi bien avec les activités, secteurs ou filières économiques qu’en intégrant les enjeux sociaux et les problématiques environnementales actuelles.
     

  3. Faire évoluer la gestion de l’eau par compétence

    Pour cela, aider élu.e.s et décideurs publics et privés à adopter une vision écosystémique décloisonnée est necessaire.
     

  4. Donner aux échelons locaux davantage de moyens (financiers, humains, expertises) d’action par le biais d’une nouvelle étape de décentralisation des compétences : à ce titre, l’expression utilisée «faire confiance aux échelons locaux» par le Sénat (2022) apparaît particulièrement pertinente.
     
  5. Mettre fin à l’idée d’une optimisation à tout prix de la gestion de l’eau.

    L’enjeu d’adaptation aux changements climatiques consiste ainsi à minimiser les coûts pour les parties prenantes concernées non plus par des compromis mais par des choix, nécessitant des accompagnements solidaires.
     

  6. Inclure la Biodiversité dans le duo Eau – Climat à travers le déploiement massif des options recourant aux Solutions d’adaptation fondées sur la nature (SafN) dans certains critères et conditions de réhabilitation d’infrastructures, de (ré)-aménagement ou encore de planification en lien avec la gestion de l’eau.
     
  7. Innover en matière juridique

    Des avancées juridiques ont été faites en droit français, comme dans l’Article L210-1 du Code de l’environnement : « l’eau fait partie du patrimoine commun de la nation. Sa protection, sa mise en valeur et le développement de la ressource utilisable, dans le respect des équilibres naturels, sont d’intérêt général. » Les conditions climatiques exigent qu’on aille plus loin, en reconnaissant le caractère inappropriable de l’eau et la nécessité de la permanence de l’usage commun, comme l’a proposé au Sénat la juriste Marie Alice Chardeaux. Des principes clairs feraient par exemple rentrer le débat autour des mégabassines dans un cadre juridique identifié.
     

  8. Repenser l’adaptation aux changements climatiques au sens plus large.

    Une véritable révolution conceptuelle est à opérer afin que les véritables besoins des territoires soient identifiés en fonction des ecosystèmes déjà en place et des évolutions à venir.

Tout comme l’ensemble des ressources de notre planète, l’usage de l’eau devra être organisé suivant un nouveau modèle, qui pour la France, comme l’a dit le Président de la République, en mars dernier, devra être fondé sur la sobriété. En fixant notamment un cap à 2030 pour faire 10% d'économie d'eau dans tous les secteurs, planifiés dans la production d’électricité, en particulier dans le nucléaire, et l’hydroélectricité, dans la lutte contre les fuites, la réutilisation des eaux usées, le secteur agricole, avec la généralisation du goutte à goutte, et une tarification progressive.

Finalement, l’eau aujourd’hui est certes, comme le dit l’article L 210.1 du Code de l’environnement une des composantes du "patrimoine commun" à la fois de l’Humanité, et aussi de la Nation, à la condition que cette communauté ne soit pas interprétée comme une « ressource utilisable » sans limite, allant jusqu’à l’« accaparement de ressources naturelles ». Nous partageons en cette matière le terme de « communauté vivante », à l’instar de Marine Calmet, présidente de Wild Legal, qui, très justement met en lumière le statut très particulier de l’eau, à la fois milieu de vie – des fleuves, des rivières, des habitats, une matière – et lien entre les entités naturelles qui composent ces écosystèmes aquatiques.

Notre législation sur l’eau a été faite pour combattre les pollutions de l’eau, elle ne correspond pas aux exigences de la sobriété hydrique, ni du partage de l’eau à notre époque d’accélération du changement climatique. Après les lois de 1964, 1992 et 2006, légiférer sur l’adaptation des ressources en eau aux nouveaux défis du réchauffement sera vite indispensable.

 

La Caisse des Dépôts soutient les activités du Comité 21 (Comité français pour l'environnement et le développement durable). Crée en 1995 dans le but de faire vivre en France l’Agenda 21 (programme d’actions pour le XXIe siècle, ratifié au Sommet de la Terre de Rio), le Comité 21 accompagne les organisations dans la mise en place du développement durable.
 

[1] 17 Objectifs de développement durable (ODD), également nommés Objectifs mondiaux, ont été adoptés par les Nations Unies en 2015.