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c'est poincarré
Crédit ©UlyssePixel/Adobe stock
La sobriété foncière est aujourd’hui au cœur des débats sur l’urbanisme et les acteurs des Territoires. « Faire sobriété » pour les aménageurs, ne date pas de la loi Climat et Résilience. Ils œuvrent depuis plusieurs décennies à la conception d’écoquartiers économes, durables et même désirables. Tandis que l’urgence environnementale, sociale et économique appellent à une accélération de cette sobriété, pensons-le comme une forme de résilience à impact positif pour les territoires, plutôt que comme une contrainte. Il s’agit de faire mieux avec moins, au profit des habitants et de l’environnement : formidable défi !
Bon pour la biodiversité : en finir avec l’imperméabilisation des sols, première cause de perte de la biodiversité. Les sols vivants constituent un réservoir de biodiversité, limitent les risques d’inondation et stockent les émissions carbones.
Bon pour les habitants : lutter contre l’étalement urbain, concevoir des modèles urbains plus denses, permettrait de réduire en moyenne de 10% des factures énergétiques des ménages, et de réduire les distances parcourues en voiture : 1,5 fois plus courtes environ.
Bon pour les Collectivités : la préservation des espaces verts et naturels couplée à l’amélioration du cadre de vie des habitants renforce l’attractivité des collectivités. Enfin, à terme, cela permettra d’optimiser les dépenses d’investissement (réduction des réseaux, infrastructures à construire) et de fonctionnement.
Depuis la période des grands schémas directeurs qui a suivi la reconstruction d’après-guerre, les acteurs de l’Économie Mixte et les Entreprises Publiques Locales ont dû sans cesse composer avec les évolutions socio-économiques et environnementales du moment
Je dis souvent que les aménageurs doivent avoir trois temps d’avance. Une EPL est un outil d’expérimentation pour penser et imaginer les usages de demain dans toutes les composantes qui font la cité !
En voici un exemple concret. Il y a presque 20 ans, Val-de-Seine aménagement, aujourd’hui SPL, était désigné aménageur d’un projet urbain d’envergure aux portes de Paris, à Boulogne Billancourt, sur le site exceptionnel des anciennes usines Renault. La composition urbaine a été basée sur une trame bleue et verte forte, des ouvrages capables de recueillir les eaux pluviales et les potentielles crues de la Seine, ainsi qu’une densité urbaine assumée. Que de critiques avons-nous alors essuyées : « trop dense, trop proche, trop d’ombre, trop d’espace vert à entretenir ». Aujourd’hui, et après avoir interrogé ceux qui ont conçu et réalisé le projet, ceux qui le vivent et n’ont pas souffert des deux dernières canicules et ceux qui en assurent la gestion, l’opération se voit labellisée « EcoQuartier Vécu ». Une résultante du temps long et nécessaire de l’aménagement mais avant tout une vision portée par les élus et leur aménageur. C’était il y a 20 ans : une vision, un projet, un aménageur.
En secteur moins urbain où l’habitat individuel est (encore) possible, l’évolution socio-économique des familles a conduit à revoir la dimension des parcelles, plus petites, repenser l’habitat, modulable, et composer l’espace urbain comme un espace partagé, ouvert, « appropriable » par les habitants.
Cela étant, quelques ingrédients supplémentaires permettront peut-être d’augmenter l’onctuosité du cocktail final.
Tout d’abord, pensons collectif. L’aménagement n’est pas un sport de combat, il se joue à plusieurs. Les récents évènements l’ont démontré : tout au long de la crise sanitaire, cette solidarité entre les territoires a démontré sa nécessité. Avec les problématiques de gestion de l’eau notamment, il sera nécessaire de renforcer ces liens. Disons-le clairement, nous sommes dans un état d’urgence. Ainsi, dans l’arsenal règlementaire français, les schémas de l’eau, de transport, de mobilité ou d’énergie doivent être composés à plusieurs.
De plus, il est important de prendre en compte les spécificités des territoires. A 5 minutes d’une ville moyenne, se dessinent les premiers contours de la ruralité. Chaque poupée russe à ses spécificités socio-économiques, mais in fine elles s’imbriquent pour n’en former qu’une !
Plus concrètement, il s’agit d’embarquer le projet politique à une échelle plus large, afin d’assurer les solidarités entre les Métropoles, les « Villes Centres » et les territoires rurbains et ruraux. En somme, une solution globale et partagée par les territoires en local.
Les grands schémas directeurs des années 80’s ont permis de dessiner les grandes lignes à l’échelle nationale : ne faut-il pas repenser à une échelle « de proximité »
Enfin, notons un élément fondamental dans notre façon de penser l’urbanisme : son temps long, vivement critiqué, va perdurer. L’accélération qui caractérise la mondialisation ne s’applique pas à ce champ. Le portage du foncier rare et cher qu’il faudra maîtriser nécessite un besoin de financement fiable et lui aussi, « durable ».
Notre attachement profond à la propriété du sol est au cœur du sujet : « pas touche à mon sol ! »
Pourtant, il faudra bien se questionner et expérimenter pour accueillir de nouveaux montages comme la dissociation foncière. Nos voisins suisses et anglais la pratiquent depuis quelques siècles et ne semblent pas s’en porter plus mal !
En quoi est-ce nécessaire ? Pour maîtriser le foncier, lutter contre la spéculation, maitriser sa mutation, il faut en être propriétaire et la propriété par la collectivité ou son EPL permettra d’assurer ce temps long de la réflexion. Faire évoluer l’habitat pavillonnaire, densifier en fond de parcelle (BIMBY : Build In My Back Yard), encourager l’habitat participatif…Pour répondre aux évolutions qui nous attendent, il sera nécessaire de maitriser le foncier.
J’aime à rappeler les propos d’Edgar Pisani dans « Utopie foncière », écrit en 1977 et malheureusement épuisé, mais qui, pour les plus chanceux, pourrait devenir leur livre de chevet. « J’ai longtemps cru que le problème foncier était de nature juridique, technique, économique et qu’une bonne dose d’ingéniosité suffirait à le résoudre. J’ai lentement découvert qu’il était le problème politique le plus significatif qui soit parce que nos définitions et nos pratiques foncières fondent tout à la fois notre civilisation et notre système de pouvoir, façonnent nos comportements. »
Bien sûr, ce changement de culture nécessitera pour les EPL, de tester, d’imaginer de nouveaux montages, de démontrer la valeur de l’usage vs la valeur de la possession. Un long travail de pédagogie est nécessaire pour expliquer aux futurs propriétaires l’intérêt de ces nouveaux montages : habiter en centre-ville, disposer de tous les services, abandonner la deuxième voiture, disposer d’un logement à prix maitrisé…. Dans ce nouveau chantier, les acteurs financiers de premier rang tels que la Caisse des Dépôts seront des alliés précieux.
Face à ces défis vertigineux mais non moins exaltants, les EPL sont de formidables laboratoires d’innovation. Elles sont nées pour agir, tester, et réessayer. Elles constituent des laboratoires d’anticipation de premier rang fondamentaux dans la fabrique urbaine de maintenant et demain.