Érigée au côté de l’efficacité énergétique, des renouvelables et du nucléaire comme l’un des quatre grands piliers de la stratégie énergétique française, la sobriété énergétique voit pourtant son potentiel demeurer largement sous-exploité. Bien qu’omniprésente dans le discours politique dès lors qu’il s’agit de surmonter un choc exogène (choc pétrolier des années 1970, récent choc gazier entraînant la crise énergétique), sa promotion s’estompe concomitamment à la résorption des difficultés. Afin de faire de la sobriété énergétique une matrice à part entière de la stratégie de décarbonation de la France, il importe de passer d'une politique de gestion de crise à une gestion politique de long terme, permettant de pérenniser la sobriété de manière structurelle. 

Trois éléments sont indispensables pour réussir cette transition : le besoin de se doter d’indicateurs pour suivre et chiffrer les bénéfices multiples engendrés par la sobriété, l’intérêt de recourir à une approche législative afin de favoriser sa promotion et la nécessité de voir les acteurs publics et privés faire preuve d’un volontarisme et d’une exemplarité sans faille. 

Mesurer les bénéfices multiples en se dotant d’indicateurs

La sobriété énergétique ne se limite pas à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Elle génère également des co-bénéfices multiples, en termes d’économies, de santé publique, ou encore sécuritaires qu’il convient de chiffrer afin d’orienter la prise de décision publique. Une plus faible consommation de gaz en France réduirait le coût des importations, passé de 8 Mds d’€ en 2019 à 46 Mds d’€ en 2022. La réduction des émissions polluantes pourrait prévenir des milliers de décès prématurés liés à la pollution chaque année. Une plus faible consommation des ressources (matériaux critiques, terres rares…) permettrait de réduire notre dépendance à des puissances étrangères.

Ainsi, ces bénéfices doivent être systématiquement mesurés au travers d’indicateurs évaluant l’impact global des mesures déployées. Un suivi régulier permettrait de justifier les investissements de long terme et de guider au mieux les décisions politiques. Il éviterait les écueils des choix à court terme étant entendu que le retour sur investissement des politiques de sobriété est plus diffus.

Par-delà les incitations : une approche législative couplée à des investissements

Bien que les plans de sobriété et les incitations volontaires associées (écogestes) aient contribué à sensibiliser utilement l'opinion, ils demeurent largement insuffisants pour construire une politique de sobriété viable de long terme. En effet, jusqu’à présent, la pratique des écogestes au sein des foyers français est identifiée comme étant l’unique avatar de la sobriété par les citoyens. 

Pourtant, les politiques publiques de sobriété et le développement des infrastructures peuvent largement influencer les comportements à plus grande échelle, en rendant, par exemple, la mobilité à faible émission de carbone accessible à tous. Cela inclut des mesures réglementaires pour contraindre les constructeurs à produire et commercialiser des véhicules plus légers, tout en améliorant en parallèle l’offre de transports publics disponible et en investissant dans le déploiement de pistes cyclables. Alors que ces dernières représentent aujourd’hui le plus grand besoin d'investissement au niveau local en France, notre pays traverse une période d’austérité budgétaire avec une possible réduction de l’enveloppe du Fonds vert. Ce faisant, les arbitrages économiques à venir seront déterminants pour l’essor d’une politique de sobriété structurelle.    

Enfin, la promotion de la sobriété implique de cibler en priorité les secteurs les plus polluants et, dans une logique de justice sociale, les acteurs les plus aisés. Les industries à forte intensité carbone ou encore les entreprises devront être mises à contribution, avant les ménages, déjà largement sollicités durant la crise énergétique. Un tel mode opératoire, empreint de progressivité, permettra de contribuer à la généralisation dans l’imaginaire collectif d’une politique de sobriété dès lors qu’elle touche l’ensemble des pans de la société. 

Faire rimer sobriété avec réciprocité et exemplarité

Le déploiement réussi d’une politique de sobriété énergétique repose aussi sur le leadership des acteurs publics combiné à une participation des acteurs privés, notamment des entreprises. En France, les actions pour réduire la consommation d’énergie ont d’abord été réalisées au niveau individuel (“à la maison”, 82%) puis au niveau du “transport” (57%) et enfin “au travail” (39%)[1]. Comparativement, cela signifie que le lieu de travail représente un gisement de sobriété encore sous-exploité. 

Dans une logique d’exemplarité, les mesures préconisées devront d'abord concerner l’Etat, son administration et ses agents publics. A titre d’exemple, le secteur public, avec 400 millions de repas servis chaque année, a un rôle modèle à jouer. L’adoption de pratiques plus sobres, telles que la réduction des produits d'origine animale dans les repas servis, peut entraîner un effet d'acculturation auprès de l'ensemble de la société. Adopter un régime végétalien est en effet le moyen le plus efficace pour réduire son impact environnemental. En plus des avantages environnementaux, un régime équilibré avec peu ou pas de produits d'origine animale présente le co-bénéfice d’être associé à un risque plus faible de mortalité, toutes causes confondues, y compris diverses formes de cancer, de maladies cardiovasculaires et d'obésité[2].

Les entreprises doivent également suivre cette voie en intégrant ces pratiques dans leurs fonctionnement (consignes de chauffage, recours au télétravail, organisation de covoiturage…). Cette exemplarité permettra d’encourager une adoption généralisée des mesures de sobriété et renforcera la confiance du public dans la transition.

Libérer tout le potentiel de la sobriété

En conclusion, pour maximiser les bénéfices d’une politique de sobriété énergétique, il est nécessaire de passer d’une sobriété de l’urgence à des politiques consacrant l’urgence de la sobriété. Cela implique l’adoption d’indicateurs de suivi précis, un cadre législatif ferme, soutenu par des investissements, et un leadership fort à tous les étages de la société, en commençant par les acteurs plus aisés. La sobriété énergétique n’est pas un simple outil de gestion de crise : il s’agit d’une stratégie à long terme, essentielle pour parvenir à décarboner notre économie, tout en apportant des co-bénéfices considérables à la société. Il appartient désormais aux décideurs publics de capitaliser sur l’expérience passée, afin de construire un récit autour de la sobriété. Un tel récit n’est pas seulement écologique, il est également économique, social, sanitaire, sécuritaire et géostratégique. Il se nourrira de réalisations concrètes ayant pour fondement la promotion de l'équité, l’exemplarité et pour corollaire la réduction des inégalités sociales.

Notes

[1] Eurobaromètre - septembre 2024].

[2] Etude Gibbs J, Cappuccio FP. Plant-Based Dietary Patterns for Human and Planetary Health. Nutrients. 2022 Apr 13;14(8):1614. doi: 10.3390/nu14081614

Pour aller plus loin

Cet article est tiré de l'étude « Sobriété énergétique, l’année d'après » publiée sur le site de l'Institut Jacques Delors.

 

 

La Caisse des Dépôts soutient les travaux de l'Institut Jacques Delors. Ce think tank, fondé par Jacques Delors en 1996, consacre ses recherches à l'Union européenne. Il produit analyses et propositions destinées aux décideurs européens et aux citoyens, et contribue aux débats relatifs à l’Europe.