cicéron
c'est poincarré
Crédit @sinonvirgule
A quoi ressemblerait un monde reconfiguré autour des interdépendances entre la santé des humains, celle des animaux, et celle des écosystèmes ?
C’est la question autour de laquelle s’articule l’étude “Ooonehealth : une seule santé, plusieurs mondes” publiée récemment par le cabinet de redirection écologique sinonvirgule, avec le soutien de l’Institut pour la Recherche de la Caisse des Dépôts et de la mutuelle Jaji.
Multiplication des événements météorologiques extrêmes (vagues de chaleur, tempêtes, gel…), explosion des cas de maladies chroniques liés aux pollutions, augmentation du risque pandémique… Ces enjeux, en apparence distincts, ont en réalité une origine commune : la façon dont nous, humains, interagissons avec le reste du monde naturel. En témoigne l’augmentation rapide des zoonoses[1]ces dernières années, étroitement liée à une déforestation et une artificialisation des terres toujours croissantes[2]. De cette réalisation découle un constat : la santé des humains, celle des animaux et celle des écosystèmes sont intimement liées, et il est nécessaire de les penser ensemble afin de lutter efficacement contre les risques précédemment cités.
Ce constat est au coeur d’une approche de la santé ayant émergé au cours des années 1990[3] à l’initiative de plusieurs institutions internationales (OMS, FAO, OIE[4]) : l’approche One Health. Notamment mobilisée dans la lutte contre la rage, la grippe aviaire ou encore l’antibiorésistance[5], celle-ci vise à favoriser le dialogue entre des disciplines et des milieux qui collaborent aujourd’hui trop peu. Cependant, comme nous l’ont rapporté les expert·es rencontré·es au début de nos recherches, elle reste aujourd’hui largement sous-exploitée au vu de son pouvoir de transformation réel.
Il n’en fallait pas plus pour nous convaincre de l’intérêt de conduire une étude sur la question, dont l’ambition serait d’activer pleinement ce potentiel. Trois objectifs, en particulier, ont guidé notre démarche :
Notre enquête a révélé trois manières de considérer les interdépendances entre les trois santés, qui dessinent chacune un “monde One Health” bien particulier. Complémentaires, ces visions permettent de mettre en lumière trois grands défis à l’attention de toute personne désireuse d'œuvrer à une meilleure santé globale.
Partant du constat d’un dialogue insuffisant entre les trois santés, ce premier monde vise un décloisonnement complet entre les disciplines (médecine humaine et vétérinaire, écologie, anthropologie, sciences sociales…), les secteurs (santé, environnement, agriculture…), les niveaux de décision (du local au global) et les acteurs (scientifiques, politiques…), en vue de développer des connaissances complexes permettant de lutter contre les maladies de manière efficace et contextualisée.
Poster cartographique d'une clinique interspécifique : un lieu réunissant des professionnels (chercheur·euses et praticien·nes) des trois santés
Ce deuxième monde est quant à lui axé autour de la lutte contre les dégradations écologiques, leurs conséquences sanitaires (maladies infectieuses et chroniques, troubles mentaux…), et leur répartition inégale (selon des critères de classe, de genre, d’origine ethnique…). Il postule pour ce faire l’avènement d’une santé planétaire et communautaire, notamment via de nouvelles pratiques de santé (lutte pour l’accès aux droits de santé, gestion partagée des lieux de santé, réduction des prescriptions médicamenteuses…) et une réorganisation de la société autour d’objectifs de santé publique (remplacement du PIB par des indicateurs sanitaires et socio-écologiques, politiques de co-bénéfices environnement-santé, santé dans toutes les politiques…).
Ce troisième monde, enfin, décrit une réinvention complète de notre rapport au reste du Vivant : la santé y devient un commun multi-espèces, que chaque membre (humain et non-humain) d’une même communauté de santé a la responsabilité d’entretenir, par le respect des relations de réciprocité qui la constituent. Ainsi, face aux “dons” reçus de la nature et qui nous permettent d’être en bonne santé (un air pur, une eau propre et potable, des sols fertiles…), il nous incombe en retour de permettre l’épanouissement de cette dernière, par une reconfiguration de nos modes de production et de nos manières d’habiter les territoires. Trois axes y sont en particulier mis en avant : de nouvelles cohabitations avec le vivant (réensauvagement, zones de libre-évolution…), une redirection des modèles productifs (de l’agro-industrie vers l’agro-écologie) et l’invention de nouvelles institutions qui intègrent des perspectives non-humaines.
Une fiche de paie sur laquelle apparaissent des contributions au financement d’une sécurité sociale de l’alimentation, d’une retraite pour animaux et d’un système de polyactivité.
En définitive, ces trois “mondes One Health” sont porteurs, dans leur complémentarité, d’une vision globale de la santé qui peut être résumée par les cinq points suivants :
Notes
[1] Maladies transmissibles de l’animal à l’humain
[2]La pandémie de Covid-19 est étroitement liée à la question de l'environnement, Institut de Recherche pour le Développement, 2020
[3]Mais qui se base en réalité sur une conception de la santé qui domina durant le plus clair de notre histoire et jusqu’au XIXe siècle (voir notre étude).
[4]Aujourd’hui OMSA.
[5 Résistance progressive des bactéries aux antibiotiques conçus pour les combattre.
Pour aller plus loin, vous pouvez accéder au livret d’étude détaillant les conclusions de notre enquête, au musée en ligne regroupant les productions de la phase d’idéation, et aux guides de mise en application proposant des pistes d’action à destination des territoires, des entreprises et des acteurs de la santé. Si vous l’avez manquée, vous pouvez également y visionner la captation de notre conférence de lancement.
Enfin, si vous vous reconnaissez dans notre vision de la santé, vous pouvez d’ores et déjà rejoindre notre communauté d’action en remplissant le formulaire dédié depuis le site de l’étude (depuis l’onglet “Nous rejoindre”), et ainsi participer à la construction d’un mouvement organisé autour d’événements récurrents, d’expérimentations et de groupes de travail thématiques, afin d’oeuvrer ensemble à l’activation de leviers de transformation concrète pour une meilleure santé commune.
Depuis quatre ans, sinonvirgule étudie les conséquences, pour nos modes de vie modernes, de l’entrée de l’humanité dans une nouvelle ère d’instabilité et de bascules : l’Anthropocène. Après une première étude centrée sur les conséquences des bascules socio-écologiques en cours pour le monde assurantiel, sinonvirgule a souhaité s’intéresser à la question de la santé, indicateur essentiel de notre relation à des environnements de vie toujours plus dégradés.