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Le vieillissement de la population se définit comme l’augmentation de la proportion de la population âgée au sein d’une population considérée. Mais n’est-ce pas une notion plurielle dans ses causes, ses déclinaisons et sa géographie ?
Prendre la mesure du vieillissement suppose de considérer le rapport entre le nombre de personnes âgées et la population totale. Concernant le numérateur, depuis la Seconde Guerre mondiale, la France a enregistré, à l’exception des années où sont arrivées à l’âge de 65 ans les faibles générations nées pendant la Première Guerre mondiale, une hausse du nombre des personnes âgées, phénomène pour lequel il est proposé le néologisme « gérontocroissance[1] ».
Cette gérontocroissance a deux causes. La première tient à ce que l’espérance de vie des personnes âgées a augmenté au fil des années, améliorant en conséquence leur taux de survie et donc leur nombre. En France, en dépit de petites variations annuelles dans la hausse de l’espérance de vie des personnes âgées, notamment selon l’intensité mortifère des grippes saisonnières, l’évolution tendancielle a été croissante à l’exception de l’année 2003, sous l’effet d’une canicule ayant entraîné environ 15 000 morts supplémentaires, puis les années 2020, 2021 et 2022, sous l’effet de la surmortalité due à la pandémie Covid-19. Ainsi, l’espérance de vie à 65 ans qui était pour les femmes de 14,3 ans en 1946, puis 16,8 ans en 1970, s’établit à 23,6 ans en 2024. Pour les hommes, les données, il est vrai moins favorables notamment en raison d’une surconsommation d’alcool, de tabac ou de drogue, sont respectivement de 12,2 ans, 13 ans et 19,8 ans.
La seconde cause de la gérontocroissance se déploie à compter des années 2010. Elle s’explique par l’histoire démographique de la France qui a connu, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, un renouveau démographique, d’où résulte logiquement, 65 ans plus tard, l’arrivée de générations plus nombreuses aux âges de 65 ans ou plus.
Portée par ces deux causes, la gérontocroissance participe de ce qu’on appelle le vieillissement « par le haut », c’est-à-dire par le haut de la pyramide des âges, avec des générations de populations âgées en augmentation au fil des années, soit 4,4 millions de personnes âgées de 65 ans ou plus en 1946, 6,5 millions en 1970, 10,5 millions en 2010, suivie d’un gérontocroissance plus intense conduisant à 14,4 millions au 1er janvier 2024 (figure 1).
Examinons désormais le dénominateur du rapport de vieillissement, soit la population totale de la France métropolitaine[2]. Cette population a certes augmenté, mais sa croissance s’est trouvée en moyenne fortement ralentie depuis le milieu des années 1970 sous l’effet d’une fécondité abaissée et en dépit des apports migratoires. Les naissances, toujours supérieures à 800 000 de 1946 à 1973 en France métropolitaine, sont depuis, sauf quelques années exceptionnelles, en dessous de ce chiffre et même en dessous de 700 000 depuis 2022. Il en résulte des effectifs de jeunes générations moindres, ce qui limite le total de la population, et contribue à ce que l’on désigne le vieillissement « par le bas ».
Sous les effets de la gérontocroissance et de la fécondité abaissée, la mesure du vieillissement de la population indique une proportion de 65 ans ou plus dans la population passée de 11,1 % en 1946 à 12,8 % en 1970 et à plus d’un cinquième de la population depuis 2019, précisément 21,8 % au 1er janvier 2024. Comme le pourcentage des moins de 20 ans diminue depuis le milieu des années 1960, les évolutions en cours laissent prévoir un prochain effet de ciseau, soit une proportion de personnes âgées de 65 ans qui deviendrait supérieure à celles des moins de 20 ans (figure 2).
Les conséquences de l’effet de flux dû à la gérontocroissance appellent par exemple des besoins d’adaptation de millions de logements à des populations plus nombreuses en risque d’incapacité due à l’âge et, très probablement, davantage d’établissements pouvant accueillir un nombre plus élevé de personnes âgées dépendantes même si leur part dans la population âgée n’augmente pas, voire se réduit. Quant à l’effet de structure qu’est le vieillissement, il se traduit par une composition des besoins des populations qui évolue, et par exemple une demande économique qui se modifie au fil des changements dans la composition par âge de la population.
Mais le vieillissement de la population revêt d’autres aspects qu’il ne faut pas négliger.
L’un d’eux concerne la population active. En effet, en conséquence de l’héritage démographique des naissances survenues vingt à vingt-cinq ans auparavant, la population active, sauf apports migratoires massifs d’actifs jeunes, est appelée à vieillir. Autrement dit, la proportion des actifs âgés de 50 à 64 ans dans le total des actifs augmente depuis l’arrivée à ces âges de générations plus nombreuses, phénomène couplé avec la hausse de l’âge réel de départ à la retraite. Une telle évolution devrait interroger davantage sur l’importance de la formation continue tout au long de la vie, et notamment pour les populations actives les plus âgées.
En outre, le vieillissement de la population ne doit pas être appréhendé de façon uniforme sur l’ensemble du territoire français. En effet, son intensité peut être fort différenciée selon les territoires[3] en raison des différences d’espérance de vie des personnes âgées, des niveaux de fécondité variés et des migrations. Ainsi, le nord de la France voit son vieillissement « par le haut » - malheureusement - limité par une espérance de vie inférieure à la moyenne nationale. Dans d’autres territoires, c’est une fécondité supérieure à la moyenne nationale qui limite le vieillissement, précisément le vieillissement « par le bas ».
D’autres grandes différences de vieillissement selon les territoires tiennent aux migrations internationales et aux migrations internes. Les premières sont à la fois facteurs d’un vieillissement accru et facteurs de moindre vieillissement. En effet, la France, comme le révèle le solde migratoire négatif des personnes nées en France, est un pays d’émigration[4] pour de nombreux jeunes Français partant poursuivre des études supérieures à l’étranger ou y exercer une activité professionnelle. Ces flux d’émigration concernent plus précisément les villes universitaires. Mais, en même temps, la France est un pays d’immigration avec des flux d’arrivées dont la composition par âge est plus jeune que la moyenne nationale, ce qui contribue à limiter le vieillissement. Ces flux, au moins dans un premier temps, se polarisent sur les grandes métropoles, par exemple à hauteur de deux cinquièmes sur la région Île-de-France qui compte pourtant moins d’un cinquième de la population de la France.
Quant aux migrations internes, elles modifient aussi la composition par âge des territoires. L’émigration de jeunes vers des villes universitaires ou des grands pôles urbains d’emploi limite le vieillissement des territoires les plus urbanisés et accentue celui des territoires d’origine de ces jeunes. L’émigration de retraités des grands pôles d’emploi vers des territoires où ils considèrent trouver de meilleures aménités limite le vieillissement des pôles les plus urbanisés, mais concourt au vieillissement, voire au survieillissement des territoires, notamment littoraux[5].
Le vieillissement de la population, sous ses différents aspects, appelle des politiques nationales. Mais il suppose également des politiques locales, compte tenu de ses dynamiques très différenciées selon les territoires.
Références
[1] Dumont, Gérard-François (dir.), Les territoires face au vieillissement en France et en Europe, Paris, Ellipses, 2006.
[2] Pour une bonne mesure des évolutions, il est toujours souhaitable de distinguer la France métropolitaine des Outre-mer, car chacun de ces derniers connaît un régime démographique différent à la fois de celui de la France métropolitaine et de celui des autres Outre-mer.
[3] Dumont, Gérard-François (dir.), Populations, peuplement et territoires en France, Paris, Armand Colin, 2022. https://doi.org/10.3917/arco.dumon.2022.01
[4] Le Penven, Éric, « Populations de France : une émigration croissante à la géographie diversifiée », Les analyses de Population & Avenir, n° 35, août 2021. https://doi.org/10.3917/lap.035.0001
[5] Léger, Jean-François, « Les littoraux en France : un dynamisme démographique porté par les seniors », Population & Avenir, n° 767, mars-avril 2024. https://doi.org/10.3917/popav.767.0004
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