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11 mar. 2025

Crise du logement : penser en parcours de vie plutôt qu’en m² !

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5min

Face à la crise du logement, le discours dominant reste figé : il manquerait des logements. Pourtant, cette approche « simpliste » ne répond pas aux enjeux réels. Car si la production de logements est essentielle, elle ne répond pas, à elle seule, à toutes les questions qui permettent d’articuler l'offre et les besoins des habitants. Le logement n’est pas qu’une affaire de volume, c’est avant tout une question de parcours de vie.

Un modèle résidentiel obsolète

Aujourd’hui, les trajectoires résidentielles sont devenues complexes et hétérogènes. Ruptures professionnelles, familles recomposées, allongement de la durée de vie : autant de mutations sociétales qui dépassent largement le schéma traditionnel "location puis accession".
Pourtant, les politiques publiques et les dispositifs d’accompagnement restent pensés pour un modèle révolu, impuissant à répondre à la fluctuation des besoins au fil du parcours de vie.

Des blocages à tous les niveaux

Sortie de l’hébergement : l'impasse invisible

L’offre de logements d’insertion fait cruellement défaut. Trop de personnes stagnent dans des dispositifs d’hébergement précaires à défaut d’alternative.

Un marché social sclérosé

Faute d’offres différencées (typologies, localisation) pour répondre à toutes les demandes, les mutations dans le parc social demeurent rares. Quel que soit le financement, les loyers sur les opérations récentes excluent les plus précaires, et les renvoient vers des secteurs de report. Les locataires du parc social n’ont plus de perspective de sortie avec l’envolée des prix en accession et la réduction de l’accès au crédit

Un marché privé inaccessible

Entre l’explosion des loyers et les restrictions d’accès au crédit, les ménages modestes et les classes moyennes sont piégés. La stratégie du "toujours plus cher" a figé la mobilité et aggravé les inégalités territoriales. Dans de nombreux territoires, se loger est devenu un luxe. La part du budget consacrée au logement explose, rendant toute évolution résidentielle impossible pour des milliers de ménages.

Le parc inadapté aux seniors : un gâchis social et spatial

Vieillir chez soi est une aspiration légitime. Encore faut-il que le logement le permette. La rareté des solutions adaptées fige la situation et empêche la libération de logements pour les jeunes générations. Elle génère également des charges (chauffage, entretiens) surévaluées pour leurs occupants.

Quelles solutions ?

--> Investir sur le logement des actifs en mobilité

Certaines Sociétés d'Économie Mixte (SEM) proposent déjà des réponses innovantes pour les travailleurs en mobilité. En conventionnant avec les entreprises locales, elles permettent la mise à disposition de logements-passerelles facilitant l’accueil de salariés. En complément, les territoires concernés peuvent être facilitants pour les ménages en mobilité professionnelle : accompagnement à la recherche de logement, à l’emploi pour le conjoint, etc.  Il faut généraliser ces dispositifs.

--> Mettre en place une politique anti-spéculative audacieuse

Le logement ne peut être un simple placement financier. Il faut encadrer la production pour garantir du logement abordable, et agir sur le coût du foncier ou limiter son impact au sein des opérations de construction.

A ce titre, la production en Bail Réel Solidaire (BRS) gagnerait à être amplifiée en élargissant les territoires-cibles. Ce dispositif innovant permet d'accéder à la propriété à un prix réduit en dissociant le foncier du bâti. Le logement est acheté à un coût inférieur au marché, tandis que le terrain reste la propriété d'un Organisme de Foncier Solidaire (OFS), contre une redevance mensuelle.

Ce dispositif aide notamment les ménages issus du parc locatif à accéder à un logement à moindre coût, avec plus de 40 % des bénéficiaires venant du parc privé et 27 % du parc social . Il favorise également le maintien des habitants dans leur territoire, puisque 42 % des accédants résidaient déjà dans la même commune avant leur achat , renforçant ainsi la cohésion locale. Enfin, le BRS séduit particulièrement les jeunes ménages, avec 50 % des acquéreurs âgés de 21 à 40 ans , confirmant son rôle de tremplin vers la propriété pour les actifs en début de parcours résidentiel.

--> Rendre les seniors acteurs de la conception de l’habitat inclusif

Dans la plupart des territoires, le logement des seniors n’est plus un besoin spécifique. Il s’agit du besoin principal en logement. La transition démographique en cours en France avec la vague de veillissement  des baby-boomers crée un besoin sans précédent de logements adapés.

Le soutien des collectivités (départements, communes, EPCI) au logement inclusif constitue une première réponse.

Pour encourager la mobilité des seniors, il faut également garantir un niveau de loyer accessible et travailler la conception du programme en concertation avec la population locale afin de donner envie d’investir ce nouvel habitat et tisser du lien entre les futurs occupants.

--> Expérimenter de nouveaux modèles de loyers dans le parc social

Le coût du loyer constitue le principal obstacle à la mobilité dans le parc social.

Rennes Métropole a expérimenté un loyer unique, permettant de fluidifier le parcours résidentiel et d’optimiser la gestion du parc social.

Le loyer unique supprime les freins financiers à la mobilité , permettant aux locataires d'adapter leur logement à leurs besoins (naissance, séparation, vieillissement). Il réduit la sous-occupation , libérant des logements pour les ménages en attente, et renforce l'attractivité du parc social en simplifiant les démarches. Pour les bailleurs, c'est un outil stratégique qui optimise les attributions et limite les coûts liés aux logements inadaptés. Enfin, il favorise un peuplement équilibré, bénéfique aux territoires et aux habitants.

D’autres bailleurs adoptent des solutions pour maintenir le prix au m², bien que de manière plus discrète et sous certaines conditions : sur des logements au financement identique, sur des cibles de ménages (personnes âgées, publics en impayés), sur des situations particulières (sous-occupation, ménages suivis par une CESF).

Les intercommunalités investissent également le sujet. Dans le Sud de la France, un EPCI participe ainsi au maintien du prix au m² pour encourager la fluidité résidentielle dans le parc social dans le cadre de sa politique d’attributions.

Il s’agit de redonner du pouvoir d'agir aux habitants. Une approche coordonnée des politiques de loyers de plusieurs bailleurs sur un territoire qu’ils partagent est déjà un premier pas.

--> Réinventer la mobilité résidentielle + rendre le locataire acteur de son parcours

Certains bailleurs accompagnent leurs locataires dans leur projet de sortie du parc social en développant une offre diversifiée de logements et en proposant des services nouveaux :

  • Par exemple vers de l’accession, en proposant une offre en accession ou une offre de services de conseil, d’aide au financement, de mise en relation avec des courtiers et des formations pour sécuriser l’accession à la propriété ;
  • Par exemple vers des produits spécifiques pour les ménages seniors, notamment en proposant une offre de résidences seniors ou d’habitat inclusif.

Les bourses d’échange de logements sociaux permettent aux locataires d’adapter leur logement à l’évolution de leur situation (agrandissement de la famille, séparation, vieillissement, mutation professionnelle). Ces dispositifs portés par les bailleurs sociaux se développent. Des exemples de bourses d’échanges portées par des EPCI voient également le jour. Ces dispositifs méritent d’être déployés plus largement.

Des stratégies de mobilité résidentielle sont également mises en œuvre, ciblées sur des publics ou des situations particulières. Des démarches visant à proposer de nouveaux logements à des publics seniors en sous-occupation se développent de plus en plus, mobilisant une organisation et des moyens dédiés . Certaines sont copilotées par des EPCI.

La crise du logement ne se résoudra pas en construisant uniquement plus, mais en construisant mieux, en facilitant les parcours résidentiels et en diversifiant les solutions adaptées aux réalités des habitants.

Expérimentations sur les loyers, développement du Bail Réel Solidaire, logements-passerelles pour les actifs ou encore habitat inclusif pour les seniors : ces initiatives montrent qu'un changement de modèle est possible.

La crise actuelle n'est pas une fatalité : c'est une opportunité de repenser nos modèles et d'engager une transformation ambitieuse, à la hauteur des défis sociaux et territoriaux d'aujourd'hui.