En mai 2019, je deviens intrapreneuse de la première startup d’Etat de mon administration. A travers la création d’un service numérique pour l’inclusion des personnes handicapées, ANDi, je découvre alors une nouvelle forme d’innovation publique, inspirée des pratiques agiles des startups. Bilan d’une approche expérimentale, celle d’un État pragmatique qui apprend en marchant.

Innover en partant des besoins des usagers

En dépit des avancées de la loi de 2005, la situation des personnes handicapées en France reste préoccupante : 18% de taux de chômage en 2018, le double de la population générale. Une autre voie est-elle possible pour la politique publique du handicap ? Peut-on transformer nos services publics pour mieux prendre en compte les citoyens les plus vulnérables ?

C’est le pari que fait la Caisse des Dépôts en 2019 en créant sa première startup d’État. Ma mission en tant qu’intrapreneuse est de partir des problèmes rencontrés par les usagers, utilisateurs quotidiens des services publics. Entourée d’une équipe dédiée et autonome, armée de convictions et d’un budget modeste, je dois imaginer un produit améliorant l’emploi des personnes handicapées.

Consultation, expérimentation, prototypage : le trio gagnant

Pendant deux mois, nous rencontrons et interrogeons une centaine de personnes handicapées, employeurs publics et privés, structures accompagnantes. En dessinant le parcours d’un usager confronté aux démarches et acteurs de l’emploi, en révélant certains nœuds de complexité, de nouveaux enjeux apparaissent. Dans notre cas, les possibilités restreintes offertes aux personnes handicapées dans le choix d’une filière ou d’un parcours professionnel, qui les enferment dans un métier. Tout accidenté du travail ne souhaite pas se reconvertir comme secrétaire administratif ni tout malvoyant devenir kiné. Dès lors, notre ambition au travers d’ANDi est de permettre aux personnes handicapées de tester un métier facilement près de chez elles, via le dispositif méconnu et très utile de l’immersion professionnelle.

Avant même de développer la moindre ligne de code, le défi d’une startup d’Etat est de trouver ses premiers usagers. Une étape qui nécessite d’aller sur le terrain comme tout bon VRP. Nous identifions une dizaine de personnes handicapées volontaires pour effectuer une immersion professionnelle chez des employeurs du Val d’Oise. Grâce à cette observation du déroulement d’une immersion, des freins et leviers actionnables, notre courbe d’apprentissage est alors fulgurante.

 

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Valoriser le droit à l’erreur 

L’expérimentation ayant validé la pertinence de nos hypothèses, nous lançons une version minimale fonctionnelle au bout de 6 mois. Exit les « produits finis », techniquement parfaits au regard de roadmaps techniques, mais dont aucun usager n’a attesté l’utilité. Il est primordial d’intégrer ce droit à l’erreur, et de laisser de côté cette  tendance naturelle, que nous sommes nombreux à partager, à vouloir mettre en production une fonctionnalité uniquement si elle est exhaustive. Plutôt que de sortir rapidement une version bêta permettant une simple mise en relation entre candidats et employeurs, nous voulons aussi développer un module pour tester l’éligibilité à l’immersion professionnelle.

Open Lab à Paris avec des personnes en situation de handicap, employeurs, prescripteurs

Construire un service expérimental a comme revers une forte exposition aux critiques des usagers. A cet égard, la base d’entreprises ANDi, issue en partie de données publiques INSEE, et de données d’employeurs référencés, est un système hybride. Cela n’a pas manqué de générer des incompréhensions au démarrage, car le site ne permet pas en l’état de s’adapter finement aux recherches des usagers. L’enjeu à cette étape de la démarche est de maintenir l’engagement dans une période de construction et de tâtonnements. Les réseaux sociaux, newsletters et actions de déploiement auprès de nos publics ont été décisifs. Ces premiers usagers, communauté bienveillante, restent nos plus fidèles ambassadeurs.

« Demander pardon plutôt que la permission »

Ce leitmotiv marque tout nouvel arrivant à l’incubateur Bêta.gouv. Innover implique d’avoir un champ d’action assez large pour sortir du mode traditionnel de gestion de projet. La qualité du service public ne se mesure pas au suivi d’indicateurs théoriques ou au respect de la bureaucratie. Au lieu de penser moyens, visons l’amélioration tangible de la situation des citoyens.

Le maintien de cette autonomie de moyens est possible jusqu’à un certain point. Il est difficile pour l’administration d’accorder toute confiance à une équipe installée comme “électron libre” et de la maintenir tout au long du projet. Difficile aussi pour l’État d’investir de façon progressive sur un produit, d’accepter l’incertitude d’une démarche incrémentale quand on connaît les défis qui se posent à lui. C’est pourtant le prix à payer pour rendre l’innovation possible.

 

Le défi de la consolidation et de l’industrialisation

L’objectif de toute startup d’État est de quitter l'incubation pour se pérenniser comme service public. Défi relevé pour ANDi, qui depuis six mois est techniquement intégré sur les serveurs de la Caisse des Dépôts. Du point de vue de l’administration, c’est la preuve d’un service qui a su convaincre de son potentiel.  Pourtant, l’enjeu est que le modèle startup trouve les conditions de son passage à l’échelle. Il ne s’agit pas d’apporter au bout de six mois une preuve de faisabilité technique, mais de s’être confronté aux utilisateurs et de leur avoir rendu un premier service, puis d’accompagner la montée en charge de ce service.

 

Alors, pari gagné ?

Si aujourd’hui ANDi se démarque dans le paysage public du handicap et confirme son potentiel d’impact, un long chemin reste à parcourir. Nous tâtonnons encore collectivement pour construire les conditions de son passage à l’échelle et son articulation avec les services publics existants. Apprendre à une organisation à investir à mesure des succès nécessite un portage politique fort. Le second défi relève de la transformation interne : le modèle des startups d’Etat ne vise pas à créer des services publics rapidement à moindre coût, mais à faire entrer un autre mode de production et d’organisation dans l’administration. [1]

Plus qu’une méthode d’innovation, c’est l’âme du service public qui est portée par les startups d’Etat, avec ses valeurs d’équité et d’égalité. Innover n’est pas automatiser mais réparer le système pour remettre les citoyens au centre des politiques publiques. Et réinventer un État de proximité, qui stimule l’engagement citoyen au service notamment des plus vulnérables.

 

 

Pour en savoir plus sur ANDi :



[1] Pierre Pezziardi et Henri Verdier, Des startups d’État à l’État plateforme, Fondapol, 2017.