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Crédit @Yoan Miot
La vacance résidentielle est l’une des principales caractéristiques des villes en décroissance. Dans ces villes marquées par une diminution durable du nombre d’habitants et d’emplois, les logements sont plus fréquemment inoccupés notamment dans les centres-anciens ou les quartiers d’habitat sociaux. Ces concentrations de logements vacants sont problématiques à de nombreux égards pour les acteurs locaux : baisse générale des prix et loyers, désinvestissement des propriétaires, problèmes de maintenance conduisant à une dégradation progressive des bâtiments pouvant aller jusqu’à leur effondrement dans les cas extrêmes. Par conséquent, la gestion de la vacance interpelle l’action publique et depuis la fin des années 2010, les programmes nationaux ciblant les villes petites moyennes intègrent la lutte contre la vacance dans leurs objectifs (Action Cœur de Ville, Petites Villes de demain).
A cet égard, la gestion de la vacance par les organismes HLM apparaît instructive. Maîtriser la vacance constitue en effet une activité ordinaire du métier de bailleur social, qu’il s’agisse d’optimiser les délais entre le départ et l’arrivée d’un nouveau locataire ou de gérer les effets sociaux et urbains d’une concentration de la vacance.
Dans ce texte, nous restituons les principaux enseignements d’une recherche sur les pratiques de gestion de la vacance par les organismes HLM implantés dans des marchés immobiliers déstructurés par le phénomène de décroissance urbaine et marqués par une vacance résidentielle généralisée.
Illustration 1 : Logements sociaux vacants à Vitry-le-François
Nos travaux s’inscrivent dans les recherches sur les ressources et instruments des politiques urbaines en contexte de décroissance. Ces analyses témoignent de la spécificité des enjeux des politiques urbaines face à ces dynamiques : relative disponibilité du foncier, dé-densification subie, sous-utilisation des infrastructures collectives, inadéquation des standards des politiques d’attractivité, etc. Ce contexte induit également un renouvellement des acteurs de ces politiques à travers une fragilisation des collectivités locales et des dynamiques de retrait des acteurs économiques privés. De ce point de vue, les organismes HLM deviennent des acteurs importants de ces politiques urbaines. En Allemagne (Bernt, 2009), au Royaume-Uni ou encore au Pays-Bas (Hoekstra et al., 2020),les parcs de logements sociaux ont été ciblés pour lutter contre la vacance résidentielle découlant du déclin démographique. Dans cette perspective, les démolitions, avec ou sans reconstruction partiellement, ont constitué un instrument privilégié de la régulation des marchés immobiliers fragilisés par la décroissance urbaine. Rares sont toutefois les travaux à interroger ou à documenter l’existence d’autres leviers (Florentin, 2009 ; Meyfroidt, 2011 ; Radzimski, 2016).
L’enquête que nous avons menée s’intéresse à l’ensemble des leviers à disposition des organismes de logements sociaux (OLS) pour intervenir et gérer la vacance. Nous avons mené des entretiens semi-directifs auprès de dix équipes dirigeantes d’organismes HLM implantés dans des villes en décroissance en Marne, Haute-Marne, Nièvre, Orne, Saône-et-Loire et Seine-Maritime. Les personnes rencontrées sont des directeurs (9) et des techniciens (6) travaillant aussi bien dans l’activité de construction que de gestion des logements.
Agir sur le patrimoine constitue un levier majeur d’intervention des organismes de logements sociaux pour résorber la vacance résidentielle. La démolition de logements est une action commune à l’ensemble des OLS. Mise en œuvre depuis les années 1990, son emploi s’est généralisé depuis les années 2000. Elle vise deux types de patrimoine : l’offre située dans les quartiers de grands ensembles labelisés « Politique de la Ville », des opérations ciblées dans de petites villes et communes rurales.
Si cette action est commune à tous les OLS enquêtés et plus généralement aux stratégies de bailleurs, elle se combine toutefois avec une diversité d’interventions visant à repositionner l’offre existante sur le marché. Ces actions ne sont pas davantage spécifiques aux OLS implantés dans les villes en décroissance, elles sont néanmoins présentées par les équipes dirigeantes comme articulées à une démarche plus globale de lutte contre la vacance. Les OLS conduisent des stratégies d’amélioration de leur parc se traduisant par trois types de démarches. Des programmes de réhabilitation permettent de mettre aux normes de marché l’offre existante à travers la mise en conformité aux personnes à mobilité réduite ou la réhabilitation énergétique qui constitue ainsi un moyen de diminuer les charges pour tenir compte de la paupérisation des ménages demandeurs. Les OLS enquêtés expliquent aussi intensifier les travaux au moment de la mise en location des logements, qu’il s’agisse de réaliser des travaux préalables à la remise en location ou bien d’effectuer des travaux à la demande du nouveau preneur à bail. Troisièmement, les démarches de gestion urbaine sont présentées comme un moyen d’améliorer l’image du quartier et de stabiliser son peuplement dans un contexte de faible demande.
Face à la vacance résidentielle, la production neuve est aussi considérée comme un instrument stratégique. Si les OLS sont unanimes pour réduire la production de logements sociaux à l’échelle d’un territoire, ceux-ci revendiquent aussi de continuer à construire une offre nouvelle. Cet apparent paradoxe – produire du neuf alors qu’une partie du parc existant est vide et se vide – est justifié par plusieurs arguments. Dans un contexte de concurrence entre bailleurs, y compris sociaux, pour loger un nombre restreint de ménages, la production neuve serait le moyen le plus compétitif pour attirer les ménages en offrant des logements correspondant aux modes de vie actuels, à la différence d’une offre ancienne, construite massivement dans les années 1950-1970, jugée obsolète. La production neuve est aussi présentée comme la conséquence de la participation des OLS aux politiques locales de l’habitat. C’est un moyen de satisfaire d’autres objectifs des politiques locales comme éviter la fermeture de classes dans une école par la construction de logements accueillant des familles, etc.
Les OLS portent ainsi des stratégies de construction neuve dans les marchés immobiliers à forte vacance. Ils plaident souvent, à l’échelle intercommunale pour une diminution globale de la production de logements, privée y compris, notamment dans le cadre de la révision des objectifs de production inscrits dans les programmes locaux de l’habitat. A l’échelle de leur patrimoine, la construction de logements neufs est conçue comme un moyen de repositionner l’offre : en termes de publics avec le déploiement de logements destinés à des publics spécifiques (résidences seniors, foyers de jeunes travailleurs, logements pour internes de médecine, etc.) et de logements individuels ; en termes spatiaux à travers une concentration de la production dans les villes et centres-bourgs où les services sont les plus développés.
Pour les bailleurs, agir sur la vacance, passe aussi par la mobilisation des services de gestion locative. Si la gestion de la vacance est une activité inhérente au métier de bailleur, l’ampleur du phénomène incite les OLS à mobiliser davantage de moyens pour limiter la vacance. Les actions mises en œuvre peuvent aussi entrer en tension avec des objectifs d’égalité d’accès au logement, de mixité sociale ou de maîtrise des dépenses.
Un premier ensemble d’actions vise à s’assurer de capter un maximum de ménages demandeurs dans un contexte de forte concurrence, entre bailleurs sociaux et vis-à-vis du parc locatif privé, et à susciter de nouvelles demandes. Ces démarches reposent sur le développement d’une approche commerciale de l’attribution du logement. Les bailleurs présentent cette évolution comme une véritable évolution où la situation de marché se confronte au fonctionnement administratif de l’attribution de logements. Il s’agit notamment d’accélérer le processus d’attribution, régit par un ensemble d’avis et de contrôles, justifiés par ailleurs pour garantir le droit au logement pour tous. La réduction des délais apparaît comme un moyen de sécuriser l’attribution en évitant que le ménage demandeur trouve un autre logement durant l’attente. Les équipes de gestion locative vont, par exemple anticiper les choix de la commission d’attribution en laissant de côté des dossiers qui ont moins de chance d’être acceptés. Elles peuvent aussi sensibiliser les administrateurs de la commission d’attribution aux problèmes de vacance pour infléchir certaines décisions ou encore introduire des procédures d’attribution dérogatoire pour les logements considérés comme difficiles à louer.
Au-delà des ménages déjà identifiés, les OLS cherchent aussi à susciter des demandes auprès de publics peu présents dans le parc social. Les ménages aux revenus modestes qui peuvent prétendre au logement social mais n’ont pas déposé de demande constitue une cible privilégiée. Les OLS recourent à de nombreux médias (annonces immobilières, publicités, etc.) pour les informer de l’offre disponible. Les OLS se tournent aussi vers les acteurs de l’hébergement et les services sociaux pour loger davantage de ménages peu autonomes ou en très grande difficulté sociale dans le parc existant. A travers la contractualisation de baux avec ces associations, il s’agit de loger ce public tout en sécurisant l’entretien du logement et la perception des loyers.
Illustration 2 : Campagne d’affichage publicitaire pour louer des logements sociaux dans l’Orne
Un deuxième ensemble de démarches visent à conserver les locataires déjà logés dans le parc du bailleur. Dans ces territoires, une part importante des demandes en logement provient de ménages déjà locataires. Les OLS développent ainsi des mesures pour permettre le maintien dans leur logement et à défaut dans leur parc des locataires : adaptation du logement, récompense de l’ancienneté d’occupation, gestion en interne des demandes de mutation.
Face à la vacance, les OLS disposent d’un troisième levier pour transformer l’offre proposée sans intervention lourde sur le patrimoine. Il s’agit du développement de services ou compensations financières en complément de la location d’un logement. L’amélioration de la qualité de service est ainsi au cœur du discours des professionnels rencontrés. Cela correspond pour partie à des actions de gestion relativement « classiques » de développement de centres relation clients ou de contrats de maintenance. Cela peut aussi amener à des choix de gestion plus coûteux pour l’OLS. La gestion de l’entretien des parties communes, enjeu fort de l’image des OLS, est parfois réinternalisée afin d’assurer une meilleure réactivité des équipes et d’améliorer les relations entre bailleurs et locataires. De même, la quasi-totalité des OLS enquêtés procèdent à des baisses de loyers ou de charges pour les logements les moins attractifs de leur patrimoine. Elles sont justifiées par la nécessité de conserver un écart avec les loyers du parc privé ou bien pour tenir compte de la qualité du logement proposé.
L’analyse des activités des OLS donne à voir la diversité des modalités d’action de lutte contre la vacance. Aux côtés de la démolition, largement mise en avant dans la littérature internationale, la construction neuve demeure un instrument important des actions patrimoniales de lutte contre la vacance. Dans le système actuel de financement du logement social, elle permet de renouveler le patrimoine et de répondre aux demandes actuelles en logement social. Notre enquête met aussi en évidence l’importance des actions entreprises pour repositionner l’offre locative sociale sur ces marchés dévalorisés. Elle relève de la maîtrise d’ouvrage mais aussi des services de gestion locative. L’analyse globale de l’activité des organismes de logements sociaux permet ainsi d’élargir les questionnements de recherche sur la participation de ces acteurs aux politiques urbaines en s’intéressant au déploiement de services à la population et aux interventions sur le cadre de vie. Elle permet aussi d’envisager une analyse plus systémique sur les effets socio-spatiaux des politiques dites de « resserrement urbain » en croisant l’analyse des démolitions avec celle des attributions des logements existants.
Ces éléments sont issus de la synthèse du chapitre « Agir sur la vacance résidentielle. L’expérience des organismes de logements sociaux français dans les territoires en décroissance. » paru en 2021 dans l’ouvrage La ville inoccupée aux Presses des Ponts, sous la direction de Yoan Miot et Nadia Arab.
Le chapitre d'ouvrage rédigé par Marie Mondain et de Yoan Miot s'est vu attribuer un des deux prix spéciaux par le jury du Prix 2022 de l'article scientifique sur l'habitat social organisé par l'Union sociale pour l'habitat et le Groupe Caisse des Dépôts.