cicéron
c'est poincarré
Dans ce billet, nous faisons le point sur les développements récents qui ont conduit au recul de l’inflation sur un an en France, de 6,3 % en février à 4,8 % en août. Plusieurs forces désinflationnistes sont à l’œuvre et vont le rester : nombre de désordres créés dans la chaîne de formation des prix par le Covid 19 et la guerre en Ukraine vont poursuivre leur résorption en amont des prix à la consommation. Dans l’industrie et l’alimentaire, se font jour, dans la chaîne de formation des prix, des signaux déjà clairs d’un momentum favorable. Les entreprises qui ont augmenté leur taux de marge et, ce faisant, nourri l’inflation, rencontrent maintenant une limite : la moindre demande qui leur est adressée menace in fine leurs résultats. Des chocs confirment donc leur caractère temporaire : la lente désinflation en cours devrait se poursuivre, incitant la BCE à davantage de doigté dans la lutte contre l’inflation. Toutefois, il est d’autres chocs plus permanents qui interrogent sur le nouveau rythme structurel de l’inflation : le retour à 2 % n’est pas acquis.
Dans notre précédente analyse qui dressait, en janvier dernier, le bilan 2022 et les perspectives 2023 (« Dans l’antichambre de la mécanique de formation des prix : quelle désinflation espérer, rapide ou lente ? »), nous tablions sur une désinflation en 2023, mais qui serait lente car contrariée par la reconstitution des marges des entreprises. Cette configuration de désinflation, rappelant qu’il s’agit d’une moindre hausse des prix et non d’une baisse, a bien été observée, avec quelques aléas.
La hausse des prix sur un an en août n’est plus « que » de 4,8 % : c’est encore très élevé, mais le reflux de l’inflation se confirme (tableau 1), rappelant que ce reflux n’est pas une baisse des prix mais un moindre rythme d’augmentation : parmi 103 familles de biens qui composent l’indice Insee, la baisse des prix sur un an ne concerne, en juillet (détails disponibles à la mi-septembre pour août), que 12,6 % d’entre elles, ce qui est historiquement bas.
Le niveau des prix, comme l’impatience quant à la normalisation de son rythme de croissance, est élevée : i) le pouvoir d’achat et le bien-être, et in fine la création de valeur en sont affectés et ii) cela reste insuffisant pour renverser le caractère restrictif de la politique monétaire.
L’inflation actuelle porte encore les stigmates des désordres sur les marchés des biens et services consécutifs aux chocs du Covid 19 (perturbations des chaînes de production, chocs et contre-chocs de demande, déformation de la demande en biens…), de la guerre en Ukraine (flambée des prix énergétiques et alimentaires). La bonne nouvelle, qui se confirme maintenant de mois en mois, est qu’un certain nombre de ces chocs se résorbent petit à petit : on note notamment,
La désinflation des biens et services, en aval des forces désinflationnistes des prix de gros, se réalise avec :
La désinflation dans la chaîne « prix de gros --> prix de production --> prix à la consommation » est bloquée s’il y a hausse du taux de marge : le tout est de savoir si ce phénomène de reconstitution des marges est temporaire. Dans l’industrie, le haut niveau des stocks actuellement constaté (cf. graphique issu de l’enquête Banque de France parue en août), associé à l’essoufflement de la demande, laisse présager une proche normalisation : pour écouler les stocks et stimuler la demande, devenue moins généreuse, les entreprises vont devoir davantage gagner des parts de marché en tempérant les hausses de prix. Les entreprises, dans l’industrie, sont d’ailleurs maintenant autant à signaler qu’elles vont baisser les prix que les augmenter, ce qui n’avait pas été observé depuis 3 ans.
Une hausse structurelle du niveau des marges qui conduirait à une hausse structurelle du niveau des prix n’est pas une hypothèse privilégiée. Pour envisager cela, il faudrait, en effet, que :
L’inflation actuelle a des composantes liées à des chocs ponctuels ou à des facteurs cycliques qui peuvent être jugulés mais l’atterrissage de l’inflation, à 2 % en zone euro, ce qui correspond au mandat de la BCE, sans être pour autant remis sensiblement en cause, est néanmoins challengé : dans l’enquête SPF de la BCE de juillet 2023 auprès des économistes de la zone euro, l’inflation à moyen terme (hors du cycle) dépasse maintenant légèrement 2 % (tout comme les anticipations de marché, notamment le swap inflation 5 ans dans 5 ans) et la probabilité d’un atterrissage final au-dessus de 2,5 % est de 33,1 %, proche de son plus haut historique.
Des forces inflationnistes structurelles vont, en effet, contrarier le retour à 2 % :
Les conséquences de ces nouveaux paradigmes sont ardues à quantifier ex ante, mais elles sont au cœur des réflexions des banquiers centraux, comme en témoigne le discours de Christine Lagarde, présidente de la BCE, tenu le 25/08/2023 « Structural Shifts in the Global Economy ». L’ampleur de ces chocs et l’adaptation de la politique monétaire seront déterminants pour le nouveau régime de taux d’intérêt et d’inflation. Le cadre des politiques économiques mérite d’être repenser (voir la tribune de Jean Pisani-Ferry, Le Monde, le 2/09/2023).