cicéron
c'est poincarré
Pour nourrir les réflexions sur la rapidité de la désinflation qui devrait se faire jour courant 2023, qui sera clé notamment pour l’orientation du pouvoir d’achat et l’ampleur de la hausse des taux de la BCE, nous nous intéressons au mécanisme de formation des prix des biens et services par et au sein des entreprises : où ont été les mécanismes stabilisateurs ou amplificateurs au sein de l’appareil productif, quelles sont les perspectives ? Il apparaît que le choc inflationniste récent (prix des intrants, énergie, salaires, taux d’intérêt…) a été amorti par la baisse de la profitabilité des entreprises (absorption du choc de coûts par érosion du taux de marge) et l’évolution favorable des impôts nets des subventions mais, de l’autre, accentué par le recul de la productivité (créations d’emploi volumineuses au regard de la nouvelle valeur ajoutée). Le niveau de taux de marge atteint fin 2022, bas au regard des standards historiques, conforte l’hypothèse selon laquelle, côté entreprises, la capacité d’absorption de niveaux de coûts plus élevés (même dans une configuration d’inflation basse des intrants) devient faible, de sorte que le reflux de l’inflation des biens et services à la consommation, en aval, devrait être plutôt lent.
D’une manière simplifiée, la formation des prix (donc leur variation, l’inflation, « C » dans le tableau suivant) découle de 2 étapes :
Concernant les prix mondiaux, on peut distinguer 2 groupes :
Dans ce groupe, sont incluses les denrées pour lesquelles, même en cas de détente, un retour des prix aux équilibres antérieurs est exclu à court et moyen terme : c’est typiquement le prix du gaz et de l’électricité en Europe où la nouvelle configuration géopolitique va de pair avec de nouveaux équilibres de prix. Même après le reflux du 2d semestre 2022, le prix de marché du gaz reste 6 fois plus élevé qu’avant crise et aucun analyste ne table sur une normalisation. Concernant les charges financières et le prix de la monnaie, i.e. le taux d’intérêt, la période de taux zéro ou négatifs est révolue et il faut inclure, dans les charges financières futures, des taux d’intérêt 2 à 3 points plus élevés dans la décennie actuelle par rapport à celle passée.
Concernant le marché du travail enfin, les effets retards de la boucle prix-salaires (même si elle est restée mesurée) et la raréfaction de la main d’œuvre (les difficultés de recrutement sont persistantes et très élevées : elles concernent 53 % des entreprises en décembre, selon le récent point de conjoncture de la Banque de France) présagent d’une inflation salariale qui devrait rester élevée par rapport aux standards passés (et, même en cas de retournement du marché du travail, il y a, de plus, une rigidité nominale à la baisse des salaires : même si l’inflation devenait négative, le niveau des salaires ne baisserait pas et pourrait donc devoir être transmis in fine aux prix à la consommation).
Notons, à l’opposé, que la baisse des impôts de production en 2021, les mesures d’aide à l’emploi (ex : soutien à l’apprentissage) et les celles déployées dans le cadre du plan de résilience économique & social, ont été un facteur désinflationniste. La suppression de la CVAE, en 2023 et 2024, ajoutera à cette dynamique.
Dans le processus de production, les évolutions récentes montrent que les gains de productivité ne sont plus désinflationnistes donc poussent les entreprises, pour amoindrir l’effet de la hausse des prix des intrants sur les prix de vente en aval, à réduire leurs marges :
Cette dégradation de la productivité du facteur travail est commune à de nombreux secteurs.
La phase, en cours, de ralentissement de la croissance ne va pas arranger cela, car i) traditionnellement, lors d’un ralentissement du cycle des affaires, les entreprises cherchent à éviter d’ajuster trop rapidement l’emploi, d’où des gains de productivité négatifs et ii) vu les difficultés de recrutement exacerbées, l’ajustement de l’emploi par les entreprises pourrait être plus mesuré que dans les phases précédentes, l’entreprise ne voulant pas être en situation de manque de main d’œuvre et perte de commandes quand la reprise se manifestera.
Le taux de marge des entreprises (en excluant deux secteurs aux dynamiques spécifiques, i.e. le transport et l’énergie - dont une analyse figure dans la note de conjoncture de l’Insee), qui rapporte l’excédent brut d’exploitation à la valeur ajoutée, a globalement baissé. La faible profitabilité pourrait alors pousser, à l’avenir, les entreprises à répercuter davantage les hausses de coûts dans leurs prix de vente.
Au total, il apparaît que le choc inflationniste récent a été amorti par la baisse de la profitabilité des entreprises (absorption du choc de coûts) et l’évolution des impôts nets des subventions, mais accentué par le recul de la productivité (créations d’emploi volumineuses au regard de la nouvelle valeur ajoutée). Le niveau de taux de marge atteint, bas, conforte l’hypothèse selon laquelle, côté entreprises, la capacité d’absorption de niveaux de coûts plus élevés (même avec inflation basse des intrants) devient faible, de sorte que le reflux de l’inflation des biens et services à la consommation, en aval, devrait être plutôt lent.