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Crédit ©Dilok/Adobe stock
Ursula von der Leyen a été réélue à la tête de la Commission européenne autour de la promesse du lancement d’un Pacte industriel vert (« Clean Industrial Deal ») lors des 100 premiers jours de son mandat. Après le Pacte vert qui a posé les jalons de la réindustrialisation verte de l’économie européenne, à quoi pourrait ressembler un Pacte industriel vert qui ferait rimer stratégie industrielle avec transition écologique ?
Dans la course mondiale à l’industrie verte, la Chine a pris une longueur d’avance. Elle contrôle d’ores et déjà 60 % des chaînes de valeur des technologies vertes et des matériaux critiques de la transition. Ses capacités de production de panneaux photovoltaïques, de batteries, de turbines d’éoliennes, qui dépassent de trois fois ses besoins, lui permettent d'inonder le marché mondial. Contrairement à leurs homologues chinois, les chaînes de valeur ne sont pas intégrées au niveau européen et empêchent les acteurs européens de tirer pleinement parti du marché unique pour générer des économies d'échelle.
De leurs côtés, les États-Unis regagnent en forces industrielles à travers l’Inflation Reduction Act (IRA), qui aurait déjà attiré 336 milliards de dollars d’investissements et créé 200 000 emplois verts. Au même moment, les conditions de financements de la transition se durcissent dans l’UE. La fin du plan de relance européen en 2026 ainsi que des règles fiscales plus restrictives font craindre une période de sous-investissement qui pénaliserait l’émergence de ces secteurs et les emplois qui vont avec. Mais là n’est pas le seul désavantage des Européens. Le prix de l’énergie y est en moyenne deux fois supérieur par rapport aux États-Unis ou à la Chine. La fin de l’approvisionnement en gaz russe bon marché ébranle le modèle économique européen. L’importation de gaz des États-Unis, du Qatar ou d’Azerbaïdjan rend l’UE extrêmement vulnérable aux fluctuations des prix sur les marchés internationaux.
En d’autres termes, si rien n’est fait, l’Union européenne risque la marginalisation industrielle et économique.
La désindustrialisation de l’Europe n’est pourtant pas une fatalité. Un Pacte industriel vert qui lie investissement dans des chaînes de valeur européennes, décarbonation de l’industrie lourde et réorientation du marché unique peut changer la donne. Cela commence par fixer un cap pour 2040. L’objectif de -90 % d’émission de gaz à effet de serre tel que le propose la Commission européenne, peut donner une vision solide à cette future stratégie industrielle. Il permet de planifier sur 15 ans la transformation de chaque secteur, d’estimer les besoins en technologies vertes tout en accompagnant les travailleurs.
Investir dans les chaînes de valeur au niveau européen doit ensuite devenir une priorité pour faire passer l’Europe du statut de consommateur vert à celui de producteur vert. À l’instar de ce que font la Chine et les États-Unis, les Européens peuvent se doter des outils financiers pour soutenir la construction et le fonctionnement d’usines de technologies vertes, en particulier dans les anciens bastions industriels comme les Hauts-de-France ou la Silésie par exemple. 1,6 millions d’emplois industriels sont à la clé dans les dix prochaines années et jusqu’à 2 millions d’ici à 2040. S’il est alimenté par des ressources propres, un Fonds européen pour la compétitivité tel que le propose la présidente de la Commission pourrait avoir pour objectif de bâtir des chaînes de valeur industrielles intégrées : de la mine à la technologie en passant par le raffinage et en allant jusqu’au recyclage. Aujourd’hui le lithium extrait au Portugal est envoyé en Chine pour être raffiné et réimporté en Europe sous forme de batterie ou de voiture électrique, en laissant sur place une importante partie de la valeur ajoutée. Mais encore faut-il que les États donnent leur feu vert à un tel fonds.
Emplois supplémentaires créés dans l’industrie verte dans le scénario d’une stratégie industrielle européenne verte (en milliers d’emplois créés)
Un Pacte industriel vert devrait également réorienter le marché unique vers le soutien aux technologies fabriquées en Europe. Des limites d’empreinte carbone et des standards de recyclabilité pourraient par exemple être progressivement mis en place pour les turbines d’éoliennes ou les pompes à chaleur afin de favoriser les fabricants européens tout en stimulant l’innovation. En évitant une concurrence uniquement basée sur le prix, ce type de standards permet de rééquilibrer les forces du marché et de facto soutenir des filières « Made-in-Europe ». En sachant que 14 % du PIB européen est dépensé chaque année pour les marchés publics, soit 2000 milliards d’euros, une réforme des règles de la commande publique constituerait un puissant levier pour initier cette transformation. Certains quotas d’acier vert pourraient s’appliquer pour le renouvellement de flottes de véhicules publics quelques années avant leur entrée en vigueur sur l’ensemble du marché unique. De la même manière, les aides publiques pourraient cibler des technologies à haute valeur ajoutée, plus performantes et recyclables, principalement « Made-in-Europe ».
Enfin, alors que les ressources sont plus coûteuses et rares et que l'accès à l’énergie est plus limité en Europe comparé à la Chine ou aux États-Unis, un Pacte industriel vert doit enclencher le tournant vers l’économie circulaire et l’électrification. Une large partie de la production industrielle pourrait venir de matériaux recyclés à travers la mise en place d’objectifs par filière. Cet effort réduirait la facture annuelle d’importations de matériaux de 42 milliards d’euros et permettrait l’émergence de nouvelles activités économiques.
Importations d’aluminium, de cuivre, nickel et de fer avec et sans stratégie industrielle européenne verte (en milliards d’euros)
De la même manière, l’électrification de l’économie réduirait drastiquement nos importations de gaz, pétrole et charbon. Aujourd’hui, l’électricité représente seulement 22 % de notre mix énergétique et pourrait monter à 50 % d’ici à 2040 en raison de l’essor du véhicule électrique, des pompes à chaleur, de l’électrification de l’industrie. Pour répondre à cette demande, 70 gigawatts de capacité électrique décarbonés devront être installés chaque année d’ici à 2040. Un défi majeur, mais atteignable puisqu’en 2023, le déploiement du solaire et de l’éolien a atteint 73 gigawatts.
La désindustrialisation de l’Europe n’est pas une fatalité. En lançant l’idée d’un Pacte industriel vert, Ursula von der Leyen prépare un grand plan de réindustrialisation de l’économie européenne. Reste à présent à trouver une majorité au Parlement comme au sein des États membres pour la soutenir.
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Cet article s’inscrit dans le prolongement de la note intitulée « Bâtir un pacte industriel vert pour l’Europe », écrite par Neil Makaroff et publiée le 27 mai sur le site de la Fondation Jean-Jaurès. La Caisse des Dépôts soutient, via l’Institut pour la recherche, les activités de la Fondation Jean-Jaurès, think tank indépendant, européen et social-démocrate qui encourage la rencontre des idées et le partage des meilleures pratiques par ses débats, ses productions et ses actions de formation.