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La biodiversité s’érode à un rythme alarmant sous l’effet des activités humaines. Cette réalité, souvent sous-estimée, menace l’existence même de nos sociétés. Dans son rapport “Biodiversité et Économie, les Inséparables”, publié en octobre 2024, l’Institut Montaigne, souligne ces enjeux et propose des solutions pour mieux intégrer la préservation de la biodiversité dans les modèles économiques et sociétaux.
La biodiversité peut se définir comme l’ensemble du tissu du vivant. Elle se caractérise à la fois par une diversité des espèces, une diversité génétique au sein des espèces et une diversité des écosystèmes eux-mêmes. Plus de la moitié du PIB mondial, 72% des entreprises européennes et 100% des besoins humains primaires en dépendent directement.
Si « l’extinction est le destin ultime de toute espèce »1, le rythme actuel de ces disparitions - au moins cent espèces par jour - est inédit. Sur les 8 millions connues sur Terre2], l’IPBES3 évalue à un million le nombre d’espèces menacées de disparition dans les prochaines décennies.
Marquée par cette extinction massive, une diminution de la diversité génétique et la dégradation des écosystèmes, l’accélération de l’érosion de la biodiversité est principalement due à cinq pressions4 d’origine anthropique qui compromettent les conditions d’habitabilité de la Terre pour l’espèce humaine.
Le réchauffement climatique, parfois désigné comme une « surpression », a pour conséquence directe la destruction et la fragmentation des habitats ainsi que la raréfaction des sources de nourriture dont dépendent les espèces. Le changement climatique est également à l’origine d’une multiplication des événements climatiques extrêmes : alors que 82 jours séparaient, en moyenne, deux événements extrêmes aux Etats-Unis dans les années 1980, ce délai est tombé à 12 jours en 20245 . Ceux-ci peuvent conduire à la disparition d’espèces6ou à des migrations forcées du fait de la raréfaction des ressources alimentaires et en eau. Selon le Muséum national d’histoire naturelle, les oiseaux se seraient ainsi déplacés de 90 kilomètres vers le nord en vingt ans tandis que les forêts de montagne seraient remontées de 30 mètres ces cinquante dernières années.
Le changement climatique influence également l’évolution des espèces : les œufs de tortues deviennent femelles quand la température dépasse 31°C. Au nord de la Grande barrière de corail, 87 % des tortues sont aujourd’hui des femelles, causant des déséquilibres démographiques certains.
En parallèle, l’érosion de la biodiversité accélère les effets du changement climatique : les puits de carbone sont dégradés et absorbent de moins en moins de CO₂.
Malgré son importance vitale, la biodiversité reste un enjeu mal identifié. La crise climatique est mieux comprise, probablement car elle est dotée d’un indicateur unique. Cette focalisation exclusive sur la Teq CO2 conduit parfois à l’adoption de solutions favorisant la « transition énergétique » mais qui aggravent l’érosion de la biodiversité
L'État, instigateur des politiques en faveur de la protection de l’environnement, s’est tardivement et imparfaitement saisi des enjeux liés à la biodiversité. Or, l’imbrication des crises du climat et de la biodiversité plaide pour que les acteurs, publics comme privés, adressent les deux sujets de front, depuis l’analyse des impacts, dépendances, risques et opportunités jusqu’à la définition de la stratégie environnementale.
Plusieurs obstacles limitent néanmoins cette nécessaire prise de conscience. Sur le plan conceptuel, l’idée que l’être humain est extérieur aux écosystèmes réduit la nature7 à un simple outil d’exploitation8. Sur le plan méthodologique, l’absence d’un indicateur agrégé et unique empêche une quantification claire des services écosystémiques ou des impacts humains. Pour les entreprises, intégrer ces enjeux requiert une cartographie des dépendances et risques liés à la biodiversité, cartographie qui nécessite une analyse à la fois locale et globale.
Loin de constituer une simple contrainte, la préservation de la biodiversité offre aussi des opportunités économiques. Les évolutions réglementaires, comme la directive CSRD, encouragent une intégration stratégique de la biodiversité, une évolution du modèle d’affaires et favorisent une compétitivité long terme. Par ailleurs, la valorisation des services environnementaux, les solutions fondées sur la nature et les marchés des certificats biodiversité9sont autant de leviers à approfondir. Ces initiatives doivent être accompagnées d’une diplomatie économique et environnementale volontariste pour assurer une transformation globale sur la chaîne de valeur et limiter les distorsions de concurrence.
La déclinaison du concept des “limites planétaires” à une échelle territoriale pourrait constituer une autre voie prometteuse afin de lutter contre l’érosion de la biodiversité. Cette approche repose sur l’identification de neuf processus clés (changement climatique, érosion de la biodiversité, perturbation des cycles de l’azote et du phosphore, modifications de l'usage des sols, etc.) pour lesquels le dépassement de certains seuils compromet la stabilité de la biosphère. Fondées sur des indicateurs chiffrés associés à des seuils d’habitabilité, elles constituent un outil d’analyse puissant pour objectiver les pressions exercées sur la biodiversité et ainsi prioriser les actions à mener.
Des études pionnières, menées notamment sur le territoire du Sud Loire (Epures) ou en Nouvelle Calédonie (WWF-AFD) illustrent l’intérêt de territorialiser la mesure des limites planétaires. Elles montrent qu’il est possible de fixer, à l’échelle d’un territoire, des objectifs concrets pour respecter ou rétablir ces seuils d’habitabilité. Certaines entreprises ont également entrepris d’appliquer ces limites à leur propre fonctionnement, ouvrant la voie à l’appropriation de cette démarche prometteuse par des acteurs privés.
Cette territorialisation des limites planétaires et la cartographie de la biodiversité permettront de fixer les états de références, de qualifier l’état général de ces territoires, de déterminer des indicateurs pour orienter l’action des acteurs publics et des acteurs économiques qui s'y trouvent.
Enfin, afin de renforcer l’acceptabilité des mesures visant à préserver les seuils des limites planétaires, il serait pertinent d’intégrer ces thématiques dans les discussions des parlements nationaux et locaux ainsi que dans les comités locaux de l’eau.
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La Caisse des Dépôts soutient, via l’Institut pour la recherche, les activités de l’Institut Montaigne. Créé en 2000, ce think tank propose des études et des débats sur les politiques publiques au service de l'intérêt général.
Références
1 Franz Broswimmer, Une brève histoire de l’extinction de masse des espèces, Agone, 2010
2 8 millions d’espèces auxquelles il faut ajouter jusqu’à 12 millions qui ne sont pas décrites.
3 La plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques, équivalent pour la biodiversité de ce qu’est le GIEC pour le climat.
4 Selon l’IPBES : le changement d’usage des terres, la surexploitation des ressources, les pollutions, les espèces exotiques envahissantes et le changement climatique.
5Contre 82 au début des années 1980. Les “événements climatiques extrêmes” sont définis comme ceux dont les dégâts dépassent le milliard de dollars. (Climate Inc, 2024)
6Au Costa Rica, la disparition du crapaud doré dans les années 1990 est ainsi directement liée à des inondations. Les feux de brousse australiens ont pour leur part conduit à la mort ou au déplacement de 3 milliards d’animaux en 2019-2020 (WWF, 2020).
7Il faut noter qu’un certain nombre de peuples autochtones n’ont pas de terme pour désigner la “nature”; l’utilisation même du mot nature impliquant une séparation entre l’humain et le non humain.
8L’emploi de l’expression “ressources naturelles” est à cet égard évocateur.
9Sous réserve de ne pas reproduire les errements du marché volontaire du carbone.