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Ce texte se rattache à une série de 16 articles issus d'une recherche soutenue par l’Institut pour la recherche de la Caisse des Dépôts sous la direction de François Bafoil et Gilles Lepesant sur les enjeux de l'eau et de l’adaptation au changement climatique.
Tout au long de cette série, à raison d’un nouvel article chaque semaine, François Bafoil, directeur de recherche émérite au CNRS/CERI-Sciences Po., rend compte de plusieurs aspects en s’attachant aux phénomènes d’érosion du trait de côte, de submersion sur les littoraux, d’inondation dans plusieurs territoires à l’instar des marais et des vallées, et enfin de sécheresse et de conflits d'usage autour de l'eau. Ces travaux feront l’objet de la publication d’un rapport en septembre 2022.
SOMMAIRE
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Le phénomène des tempêtes est courant sur le littoral français, à l’instar de celles, importantes, qui ont eu lieu en novembre 1972, novembre 1977, à l’été 1984 et en février 1990. Cette dernière, la tempête Viviane, qui s’est déroulée sur le littoral picard est considérée comme la plus grave submersion du 20ème siècle, ayant entrainé l’abaissement en certains endroit de 2 à 4 mètres du cordon de galets, l’inondation de 150 maisons et de 3000kms de prairies. Dans les communes de Cayeux et de Woignarue dans la baie de Somme cette tempête a occasionné des brèches importantes dans les cordons de galets installés par l’homme pour prévenir les submersions.
D’autres tempêtes se sont déclenchées dans les années suivantes : en octobre 2006, en janvier 2007, en mars et en octobre 2008, enfin le 28 février 2010, plus connue sous le nom de tempête Xynthia. Elle est importante pour notre propos, pas seulement en raison des tragédies humaines et des dégâts matériels qu’elle a entrainés, mais parce qu’elle a eu pour conséquence d’accélérer la décision de mettre en place une vaste stratégie de prévention des risques de submersion marine sur le littoral Atlantique, Manche et Mer du Nord.
La tempête Xynthia qui s’est abattue sur les côtes charentaises et vendéennes dans la nuit du 27 février 2010 a en effet été l’élément déclencheur qui a accéléré la prise de conscience de la vulnérabilité des littoraux français[i]. Xynthia a causé la mort de 53 personnes, dont 41 décédées par noyade et par hypothermie. Elle a entrainé entre 2010 et 2013 la destruction de 1162 maisons situées dans 15 communes ainsi que leur indemnisation pour un montant évalué à 2,5 milliards d’euros auxquels se sont ajoutées les aides directes et indirectes versées aux particuliers, professionnels et aux collectivités[ii]. Comme l’écrivent Arnaud Valadier et Jean Richer, « elle a mis en évidence les faits saillants suivants : défaillances dans le contenu du message et la chaîne d’alerte, anthropisation et urbanisation littorale excessive occultant souvent les notions de risques de submersion et d’inondation (retard dans la mise en œuvre des plans de prévention des risques), défaut de surveillance et d’entretien des digues »[iii].
Les deux hivers de 2013 et de 2014 ont de manière importante fait reculer le littoral sableux aquitain puisque sur certaines zones, il s’est établi au niveau qui était attendu en 2040.
Commentant la carte ci-dessous qui rend compte de l’ampleur de l’inondation dans les marais poitevins, l’auteur écrit que « Cette inondation concerne non seulement les derniers polders conquis, mais aussi de nombreux anciens polders et montrent que les digues internes dormantes n'ont nulle part pu limiter l'extension de l'inondation. Dans le cas où une route avait été établie sur la digue, la submersion s'est aussi produite, mais le revêtement de la route a empêché la formation de brèche ».
Le premier enseignement qui peut être tiré de tempête Xynthia concerne le champ de la connaissance des phénomènes liés aux tempêtes. Il s’est considérablement enrichi depuis cette catastrophe. L’intersection de la topographie de la côte avec le niveau de la mer est désormais maitrisée grâce à des outils de mesure très performants à l’instar du laser aéroporté, LIDAR, financé par le fonds FEDER. L’état de l’art est établi pour tout le littoral : à 10 et même 15 mètres, la connaissance de la topographie est très fine. Il est donc possible maintenant de cartographier ce qui se trouve sous le niveau de la mer.
Côté mer maintenant, le niveau de surveillance est opéré grâce aux marégraphes qui permettent de définir les marées, et mesurent et enregistrent les montées de la mer. S’y ajoutent des satellites et des altimètres. Année après année, les chercheurs combinent les données et concluent à la convergence des mesures.
Enfin l’autre champ de connaissance est couvert par la modélisation et la reproduction numérique des effets des tempêtes localement, et notamment leur rapidité (soit plusieurs décimètres et jusqu’à 2 mètres) en lien avec le niveau de la mer. L’orientation la pression des vagues et du vent est désormais comprise.
Enfin, la tempête Xynthia représente le point de référence à partir duquel est étendu le calcul de l’élévation possible de la mer dans une fourchette de 40 à 80cms et de ses effets sur le littoral, en prenant en compte une hypothèse de croissance de 3°C de chaleur à l’horizon du siècle et de la fonte de l’arctique.
Comme l’affirme le professeur Chaumillon rencontré à l’institut du littoral à La Rochelle :
« Si l’on décuple la force et l’impact de Xynthia, on se dit que ce n’est pas absurde de rajouter 50cms au niveau actuel de la mer. 20cm ce n’est pas peu car c’est ce qui s’est joué sur les littoraux durant les 200 dernières années, soit depuis la révolution industrielle. On aurait donc encore 20cms à l’horizon 2050. Si une défense de côte a lieu en période de tempête, vous verrez qu’il ne reste pas grand-chose »[iv]
S’interrogeant sur la tempête Xynhia à partir des prévisions du GIEC qui dans ses prévisions les plus sombres établies dans son 5ème rapport prévoyait une élévation moyenne du niveau de la mer comprise entre 0,52 m et 0,96 m en 2100 Valadier et Richer se sont demandé si « la submersion liée à la tempête Xynthia ne préfigure-t-elle pas tout ou partie des futures zones qui seront submergées de manière continue à cette échéance ? ».
Dans la foulée, ils ont proposé d’envisager l’abandon de la politique systématique de défense côtière lorsque cela est possible[v]. Seuls les sites d’importance stratégique ou nationale devraient faire l’objet d’une défense maritime rigide alors que les tempêtes marines risquent d’être plus violentes, nécessitant des ouvrages plus hauts et plus robustes.
Elie Chevillot-Miot et Denis Mercier ont pu affirmer, quant à eux, que « Cette tempête a permis à la population, aux élus locaux, aux services de l’État et à l’État lui-même, de se souvenir qu’il existe des territoires vulnérables face au risque de submersion marine en France. En plus d’éviter le déni, cette tempête a permis aux décideurs d’intégrer davantage dans la gestion des risques côtiers un raisonnement à long terme avec l’élévation du niveau moyen des mers, lié aux changements climatiques »[vi].
Une autre leçon tirée de la tempête de 2010 a concerné la prise de conscience de la dimension de l’ancienneté historique agricole des terrains, désormais largement habités. Cette dynamique d’occupation du sol par le bâti a eu pour effet de repousser les activités traditionnelles agricoles et artisanales, et ce au mépris de l’expérience accumulée qui interdisait de construire dans les terres basses (inondables).
La pression de l’habitat est allée de pair avec le tourisme notamment à compter des années 1960 tandis que les aménités favorables aux détenteurs de pouvoir d’achat élevés ont principalement profité aux retraités (avec pour conséquence leur profonde réticence au changement notamment quand il s’agit de délocaliser). Selon l’Insee, « En 2009, le département de la Loire-Atlantique comptait en moyenne 31,38 % de retraités (Insee). Le département de la Vendée présentait une moyenne de 39,4 % de retraités. A l’échelle nationale, les plus de 60 ans représentaient 23,04 % en 2011[vii] »
Comme le concluent les mêmes auteurs, « Ce qui a changé la vulnérabilité de ces communes, c’est l’accroissement des enjeux humains et fonciers au cours de ces dernières décennies. Ces communes agricoles se sont tournées vers l’activité touristique, entrainant une urbanisation à proximité de la mer, dans des zones basses et par conséquent potentiellement inondables. En France, on estime que cinq millions de personnes vivent en zone inondable (avec une montée des eaux de deux mètres) sur la zone côtière ».[viii]
Plusieurs stratégies ont été élaborées dans la foulée de la catastrophe Xynthia. Elles se sont inscrites dans la voie ouverte par la création en 2001 de L’Observatoire National sur les Effets du réchauffement climatique (ONERC) et du Plan National d’Adaptation au Changement Climatique (PNACC) ainsi que différents schémas : schémas de mise en valeur de la mer, schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux, schémas de cohérence territoriale (SCoT). Dans le mois suivant la catastrophe Xynthia, la Direction générale de la prévention des risques a publié une proposition de plan de prévention des submersions marines et des crues rapides (validé en février 2011. Ce Plan Submersions Rapides (PSR) a été intégré par la suite à la Stratégie Nationale de gestion du risque inondation. Il a permis de définir les axes de la politique : maîtrise de l’urbanisation, amélioration des systèmes de surveillance et de prévision ; fiabilité des ouvrages de protection ; amélioration de l’information auprès des populations. A ce titre Météo-France a mis au point l’outil Vigilance Vague Submersion.
Cela s’est traduit localement par la mise au point des Plans de prévention des Risques (PPR). D’un coût global de 1,5 milliard d’euros et financé à hauteur de 500 millions d’euros par le Fonds Barnier ), ce plan d’une durée de 5 ans s’est principalement « focalisé sur la conception de projets de travaux, laissant au second plan les autres types d’actions de prévention » (IGA, 2014). En revanche, il a permis à la France de doubler le rythme actuel des investissements dans le renforcement des digues. En 2010, 190 chantiers avaient été réalisés dans l’urgence juste après la tempête. En 2012, a été promulguée la stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte dont l’objectif est de traiter du trait de côté distinctement du risque submersion.
Tirons-en la conclusion que les catastrophes sont souvent l’occasion d’une avancée en matière stratégique même si l’on peut suivre Vanessa Mulot lorsqu’elle affirme, « la France dispose d’un arsenal juridique important en matière de gestion des risques naturels. Celui-ci s’avère néanmoins peu mis en œuvre »[ix]. Depuis Xynthia, on a noté plusieurs épisodes d’inondation : celui qui cette même année 2010 a frappé le département du Var a entrainé la mort de 25 personnes et environ 600 millions d’euros de dommages assurés. En 2015, les inondations dans la région Sud-Est ont occasionné la mort de 22 personnes et plus de 500 millions d’euros de dommages. En mai et juin 2016 les inondations consécutives aux crues de la Seine et de la Loire, ont entrainé la mort de quatre individus et plus d’un milliard d’euros de dommages. Les inondations de l’Aude en 2018, avec 15 morts et 250 millions d’euros de dommages[x]. Enfin, la tempête Alex dans les vallées de la Roja et de la Vésubie en octobre 2020 a entrainé la mort de 12 individus et des dommages considérables[xi].