cicéron
c'est poincarré
Ce texte se rattache à une série de 16 articles issus d'une recherche soutenue par l’Institut pour la recherche de la Caisse des Dépôts sous la direction de François Bafoil et Gilles Lepesant sur les enjeux de l'eau et de l’adaptation au changement climatique.
Tout au long de cette série, à raison d’un nouvel article chaque semaine, François Bafoil, directeur de recherche émérite au CNRS/CERI-Sciences Po., rend compte de plusieurs aspects en s’attachant aux phénomènes d’érosion du trait de côte, de submersion sur les littoraux, d’inondation dans plusieurs territoires à l’instar des marais et des vallées, et enfin de sécheresse et de conflits d'usage autour de l'eau. Ces travaux feront l’objet de la publication d’un rapport en septembre 2022.
SOMMAIRE
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La tempête Alex qui a eu lieu le samedi 2 octobre 2020 a caractérisé ce que l’on appelle un épisode méditerranéen (« épimed ») qui se traduit selon les spécialistes par la remontée d’un courant de vent venant de la mer et qui, chargé en vapeur d’eau, se condense dans les nuages. S’il lui arrive de rencontrer des masses d’air plus froid, il participe alors au déclenchement des orages. En octobre 2020, 650 millions de tonnes d‘eau sont tombées sur le Mercantour avant de redescendre vers la mer, soit l’équivalent de plusieurs mois de précipitations en quelques heures. Ce type de phénomène se produirait selon Météo France entre 3 et 6 fois par an. Le record de pluviométrie a eu lieu à Saint-Martin-Vésubie avec 510mm en l’espace de douze heures, record absolu à l’échelle de la région PACA. Cela s’est traduit par une intensité unique du débit de la rivière Tinée à raison de 940m3 d’eau par seconde, soit le débit moyen annuel de la Loire à son exutoire, Saint-Nazaire.
A cette intensité des pluies s’est ajouté l’élément de rapidité puisque deux heures auparavant, aucun signe de catastrophe n’était encore prévisible. Pire, le temps était au beau fixe. Comme nous l’a raconté l’ingénieur en chef présent sur les lieux :
« On ne savait pas où ça allait tomber, même si l’on savait qu’il y aurait un évènement méditerranéen. L’alerte était sur l’ensemble du département et à 13 heures il faisait grand soleil. C’est arrivé vers 14 heures et là, on s’est dit qu’il y avait quelque chose de pas normal : le bruit assourdissant des rivières. Les torrents quand il y a des crues ça fait du bruit, mais là c’était autre chose. Ce qui était impressionnant ici c’étaient les torrents d’eau, le volume de transports solides, les bois, les blocs, c’est plus d’un million de m3 de solides qui a été emporté. Et tout en haut, du côté du bassin versant, il a plu pendant une vingtaine d’heures avec des intensités incroyables. On ne sait pas déterminer le lieu exact où les pluies et l’orage vont tomber. Les gens de la météo se sont rendu compte deux heures avant que ça allait tomber ici. L’alerte rouge était sur l’ensemble du département depuis la veille. L’année d’avant on avait eu deux alertes rouges ; mais l’orage s’était concentré à Nice et y était resté, avec une personne décédée. La météo évolue formidablement et dans l’anticipation c’est là où ça va se jouer. Si la mer chauffe, le choc entre masses chaudes et masses froides, ça va être pire ».
Pour expliquer ce phénomène exceptionnel, certains avancent le réchauffement climatique, quand d’autres rappellent qu’en 1926 près d’un siècle plus tôt un épisode semblable avait eu lieu à Roquebillière avec des effets similaires à ceux ressentis près d’un siècle plus tard, en 2020 : engloutissement de la vallée sous l’effet du débordement de la rivière, destructions des environnements et de l’habitat sur les côteaux, et un grand nombre de morts. Pareils phénomènes de type centennal ne sont pas à vrai dire uniques si l’on considère qu’en Allemagne les villages qui ont été affectés par les inondations en juillet 2021 avaient vécu pareils évènements un siècle plus tôt et même deux siècles plus tôt puisque des documents attestent de crues meurtrières dans la première décennie du 19e siècle.
Comme dans tout phénomène naturel exceptionnel, ce qui frappe d’abord la vue c’est l’ampleur des dégâts qui affectent simultanément les biens, les personnes, la nature, jusqu’à la disparition du cimetière emporté par les flots, les cercueils jamais retrouvés. Voies d’accès détruites, maisons aux abords du village éventrées, plus d’un an après la tempête le paysage offre toujours un aspect désolant.
La rivière a retrouvé son lit qui s’était étendu jusqu’à 200 mètres, en détruisant toutes les maisons sur ses bords, ne laissant que des bâtiments promis à une destruction comme celui au toit rouge ci-dessous, et la centrale EDF sur la gauche.
Une histoire a frappé les esprits. Elle nous a été narrée sur le lieu de la tragédie : à la place de l’étendue caillouteuse s’élevaient plusieurs bâtisses dont l’une occupée par un couple de personnes âgées. Averti de l’imminence de la catastrophe notre interlocuteur qui est ingénieur en charge de la sécurité dans la vallée s’est précipité pour prévenir les habitants des côteaux d’une catastrophe imminente. Ce couple n’a pas voulu le croire malgré sa conviction.
L’eau roulant à gros bouillons sur les jantes de son 4x4 il s’est décidé à les abandonner, le temps de remonter sur la route et de voir l’instant d’après dans son rétroviseur la maison disparaître dans le torrent. Aujourd’hui le site n’offre que désolation. Seule désormais une plaque déposée par Christian Estrosi, maire de Nice et président de la métropole rappelle qu’en ce lieu vivaient Josette et Léopold.
Partout, des maisons éventrées ; pendant dans le vide ou écrasées par la route qui a glissé. Partout sur les côteaux, des maisons au bord du vide à l’image de cette splendide bâtisse de la fin du 19e, autrefois un hôtel, et qui se tenait avant la tempête à une distance d’une quarantaine de mètres de la falaise. Elle se retrouve là en équilibre avant que les pelleteuses ne la détruisent à bref délai.
Des rochers de plusieurs tonnes et des bois ont dévalé la pente arrachant arbres et plantes, heurté les côteaux au gré de la violence des flots, détruisant chemins et ponts et écrasant les engins de déblayage et les camions. Des engins de plusieurs tonnes, tous littéralement ratatinés sous le choc des rochers pesant plusieurs tonnes. Au détour de la route la carcasse d’une voiture apparaît. Sa conductrice qui venait du sommet de la montagne s’en est extraite, espérant emprunter le chemin de côteau pour la ramener au village. Elle a disparu emportée par les flots. Son corps n’a pas été retrouvé.
Comme nous l’a raconté l’ingénieur en chef :
« Jamais de mémoire d’habitant on n’avait connu pareille catastrophe. Aucun exemple, aucune expérience ne pouvait nous aider. Aucune procédure d’urgence n’était écrite. La première stratégie a été de répondre à l’urgence et de rétablir les accès. Si les routes sont là, c’est qu’elles étaient nécessaires. Ce qu’on a pu faire de manière définitive, on l’a fait tout de suite. Tout ce qu’on a fait pour les rivières, on a fait nos projets, on a envoyé à l’Etat et on est passé très vite à l’action. On n’a pas attendu les réponses pour agir. »
Très vite et sans discussion, les décisions ont été adoptées de refaire les voies de communication, un pont suspendu reliant les deux rives à Saint-Martin, d’autres ponts provisoires, les routes permettant de désenclaver le sommet et de rejoindre en aval la vallée.
Enfin un autre chantier a très vite lancé la consolidation des côteaux par le biais de construction de digues soit en épi soit dotées de gabions, sortes de caissons remplis de galets provenant des environs immédiats.
Une leçon importante de la tragédie de la tempête Alex est la remarquable gouvernance de crise qui a vu le jour dans les heures qui ont suivi la catastrophe et qui a fonctionné sans heurts tout au long des mois suivants. C’est ce dont a témoigné notre interlocuteur.
Elle s’est adossée au double patronage du conseil des élus de la métropole de Nice et du préfet nommé par le Président Macron, le préfet Pelletier. Échelon déconcentré de l’État et échelon décentralisé de la métropole ont ainsi su trouver la voie pour parer d’abord au plus pressé – la mise en sécurité des habitants et la remise en état des voies de communication – puis mettre en marche les procédures d’indemnisation.
« Il fallait assurer la coordination de tous les intervenants La difficulté de la métropole c’est qu’elle est très éloignée de la Vésubie et de la Tinée. Les conseillers métropolitains qui sont les maires des quarante communes entrant dans le périmètre de la métropole, ont tous travaillé main dans la main. La tempête Alex a été le moment où l’on a tous travaillé ensemble, nous dans la vallée et avec la métropole. Là on est vraiment dans la décentralisation, avec ses bons côtés qui font qu’on travaille vraiment bien avec les élus. C’était une grosse machine qui a très bien travaillé. Une énorme logistique, agence sanitaire, et toute l’alimentation. Le pilotage s’est fait par la préfecture sur la gestion de la crise avec le centre opérationnel du département et les cellules locales, avec les représentants du préfet, avec ceux de la métropole, les pompiers, et tous les services. L’État a même fait venir une partie de l’armée dans la Roja pour la recherche des corps : c’étaient les pompiers et nous on mettait à disposition les engins. C’est seulement maintenant qu’on commence à associer la population, mais avant non. »
La tempête Alex a causé les plus importants dégâts depuis la seconde guerre mondiale en France métropolitaine : 420 maisons impactées, 180 détruites, des infrastructures détruites pour une valeur de 780 millions d’euros. L’Etat s’est engagé à hauteur de 572 millions d’euros.
« On a déplacé les gens et quand on le leur a dit, ils nous ont suivis. 150 maisons ont été détruites sur Saint-Martin-Vésubie. C’est lent. Tous ont été relogés. Pour ceux qui ont perdu, le fonds Barnier s’applique pour un montant qui se fonde sur la valeur d’avant la catastrophe. Certains ont été totalement indemnisés. C’est l’établissement public foncier qui intervient et ensuite les services GEMAPI. »
La loi impose au maire de prendre les mesure adéquates quand il y a un risque. Une fois qu’il a connaissance du danger il doit le supprimer :
« On essaie de prévenir les gens et certains n’y croient pas pour plein de raison. Une fois que l’orage a démarré on ne peut plus rien faire. Que fallait-il faire ? Les déplacer de force ? »
Sur ce point si sensible du déplacement des populations en danger, d’autres opinions voient le jour à l’image de celle avancée par un participant, membre de la direction des risques à Nice qui était présent à notre entretien :
« Nous, à Nice s’il le faut on évacue de force, et on les menace de mettre des barrières pour faire en sorte qu’ils ne puissent plus rentrer chez eux. Quand on décide que c’est interdit d’accès on mure même les appartements, il faut faire attention évidemment de ne pas tomber dans l’abus de pouvoir car il faut savoir évaluer le risque mais il vaut mieux faire trop de prévention qu’à Saint-Martin-Vésubie où les procès sont légion. Le maire doit protéger sa population et protéger sa responsabilité. Il faut savoir si les maisons sont détruites et doivent être détruites. On est intervenus pour signaler au maire le risque et lui dire de prendre un arrêté d’interdiction et de fermeture. Mais comme beaucoup de gens interviennent, d’autres maisons ont été ajoutées comme étant inhabitables. Mais on considère que ce serait trop cher, pour les défendre ».
Et notre interlocuteur de Roquebillière de conclure :
« Le paysage a changé, la rivière occupe beaucoup de place, avant c’était quinze mètres, maintenant deux cents mètres, ce qui est sûr c’est qu’on ne reconstruira plus entre deux. On peut remodeler mais pas reconstruire. Il faut redonner un visage car il y a des cicatrices. On aura le droit de faire des choses mais avec le risque que ça parte avec. On n’a plus le droit de faire du bâti, plus d’habitations, on va essayer d’enlever l’humain, on va faire des jardins partagés. L’OFB sur les matériaux, la bonne nature, il faut trouver le juste milieu, reconstruire et faire du paysage. Ils disent que j’extrais ; moi je dis, je réemploie et eux, ils veulent ne rien toucher. Il faut pourtant toucher pour réaménager, on ne peut pas rester ainsi. »
A la question de savoir s’il est possible de reculer, la réponse largement partagée est de mettre en avant la proximité des coteaux qui limite toute tentative de ce type, d’autant plus que la stratégie dans les vallées alluviales est de protéger, de renforcer, et de dimensionner différemment. Quant à laisser un territoire en l’abandonnant, il y a certes des associations dans la Roja qui sont sur cette position et arguent de laisser la nature se refaire après la tempête.
« Mais ces différents groupes n’ont pas eu la majorité. Il n’est pas porteur pour eux de tenir un discours dur, du type : on laisse passer. Ça revient à dire : on ne fait rien. Il y avait urgence : il fallait sauver les gens ».