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Crédit ©Ocskay Bence - Adobe stock
La population âgée ne cesse de croître. D’ici 2050, plus du quart de la population française aura dépassé 65 ans[1]. Cet accroissement de la population âgée va se traduire inéluctablement par une augmentation de la population âgée en perte d’autonomie, estimée à 4 millions en 2050[2].
Dans ce contexte, les professionnels du grand âge, regroupant l’ensemble des professions des domaines du sanitaire et social en contact avec les personnes âgées, jouent un rôle fondamental. Cependant, alors que les besoins s’accroissent, des infirmiers, des aides-soignants et des auxiliaires de vie manquent à l’appel. Ce fait est très spécifique à la France qui est l’un des pays les moins pourvus en professionnels de la dépendance. Entre 2011 et 2016, alors qu’il y a 5 salariés pour 100 seniors en moyenne, dans les 28 pays de l’OCDE, en France, on ne compte que 2,3 salariés pour 100 personnes âgées de plus de 65 ans[3].
Cette situation est d’autant plus grave pour les aides-soignants en établissement de prise en charge de personnes âgées dépendantes, et les professionnels intervenant au domicile de la personne âgée. En 2018, à domicile, 1 poste sur 5 n’est pas pourvu, selon l’UNA[4]. Près de la moitié des EHPAD rencontrent des difficultés de recrutement, particulièrement pour les aides-soignants, pour lesquels un établissement sur 10 déclare un poste non pourvu depuis au moins six-mois[5].
En France, à compter du 1er octobre 2021, est entrée en vigueur, une revalorisation salariale de 13% à 15% des professionnels du secteur associatif (auxiliaires de vie, assistantes de vie...), de l’aide d’accompagnement à domicile (SAAD) et des services de soins infirmiers à domicile (SSIAD)11. Cependant cette hausse « historique » ne concerne pas les professionnels du secteur privé commercial et public qui ne sont pas régis par la convention collective de la branche de l'aide à domicile du secteur non-lucratif (BAD) par laquelle s’effectue cette augmentation. Cette iniquité entre le secteur associatif et le secteur privé est révélatrice des problèmes de coordination des partenaires sociaux.
Néanmoins, revaloriser le salaire de l’ensemble des professionnels du grand-âge, sans distinction de statuts et de secteur est fondamental. En guise d’exemple, à Malte, tous les salaires du secteur des soins de longue durée sont alignés sur ceux des services publics afin de garantir aux prestataires privés de bénéficier des mêmes avantages12. Ainsi, lorsque la législation et les pratiques nationales le permettent, des extensions adaptées des conventions collectives sont nécessaires afin d’améliorer les conditions salariales, et ainsi, l’attractivité de ces métiers.
Dans un objectif d’amélioration des conditions de travail, il devient fondamental que les structures s’appuient sur de nouveaux modèles organisationnels et trouvent leur propre organisation adaptée au contexte français. Par exemple, au Pays-Bas, une organisation « Buurtzorg » (soins de proximité), créée par Jos de Blok en 2006, a permis l’autonomisation des infirmiers et infirmières sous formes de petites équipes locales, qui se répartissent les quartiers et gèrent eux-mêmes les plannings, l'identification des nouveaux patients... Impactant positivement le niveau de satisfaction des professionnels et des patients, en 2011, cette organisation a diminué de 40% le temps passé par patients, de 30% les demandes d’admissions aux urgences des patients suivis et de 33% le turnover13.
A cela, peut s’ajouter le recours aux nouvelles technologies, permettant aux professionnels de mieux suivre leurs patients et de détecter les urgences. Mais aussi, de se concentrer sur leur objectif principal, qui est de prodiguer des soins, et ainsi, de se décharger des autres aspects de la prise en charge (suivi administratif, organisation des soins, etc.)14.
En parallèle, la généralisation des formations de bientraitance s’avère également fondamentale. En 2021, la Chaire TDTE a réalisé une étude en partenariat avec la Caisse des Dépôts15, dans laquelle elle montre l’impact significatif de ces dernières sur le bien-être des personnes âgées et sur les conditions de travail des soignants qui gèrent mieux les situations de conflits, se sentent moins stressés et davantage heureux sur leur lieu de travail.
Lire le billet : Quels effets de la pratique d'activités socialisées des séniors sur l'âge d'entrée en dépendance ?
Valoriser l’expérience sur le terrain et proposer une évolution dans les métiers du grand âge constituent un levier prépondérant permettant à ces professionnels des perspectives d’évolution de carrière et leur donnant envie de rester travailler dans cette branche d’activité. Cette valorisation au cours de la carrière pourrait passer par la délégation d’activités ou de services à plus haute valeur ajoutée. En effet, qui pourrait mieux guider et suivre les personnes âgées dépendantes dans leurs besoins que des professionnels qui connaissent le terrain ?
La Suède, le Danemark ou encore le Japon ont instauré un nouveau métier, celui du « care manager ». Ils sont considérés comme de véritables experts pour définir les services les plus appropriés et pour évaluer les besoins de la personne âgée dans le temps. Les « care manager » s’occupent de l’évaluation du niveau de besoin de la personne dépendante, mais aussi, de la coordination des aides apportées par les services médicaux et sociaux qui interviennent à domicile. Comme au Japon, ce métier pourrait être accessible par concours à toutes personnes ayant cinq ans d’ancienneté dans un métier du grand âge.
Cependant, il convient de mener davantage d’études et de réflexions sur la définition des contours de ce métier. Quelles sont les compétences requises pour le métier de « care manager » ? Quelles sont les attentes des personnes aidées et des professionnels du grand-âge vis-à-vis de ce métier ? Sur quel modèle de financement faut-il s’appuyer ?
La France pourrait s’inspirer de ces trois initiatives et trouver sa propre organisation afin de restaurer l’attractivité des métiers du grand âge. Mais, dans le contexte actuel, où la maltraitance au sein des Ehpad est un sujet d’actualité préoccupant, la question des formations de bientraitance s’avère plus qu’importante. Aujourd’hui, la nécessité est d’améliorer les échanges entre patients et aides-soignants afin de préserver la dignité des personnes âgées dépendantes tout en garantissant une qualité des conditions de travail des professionnels du grand-âge. Encourager la mise en place de formations de bientraitance peut répondre à la problématique de l’attractivité des métiers du grand âge et appréhender une nouvelle vision du métier de soignant. Le soignant n’est pas seulement celui qui procure des soins, il doit aussi s’inscrire dans une démarche collective de bientraitance16.