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CD'enjeux

15 fév. 2024

Donner du sens aux politiques d’attribution de logements sociaux : de l’intention aux impacts

Avec un cadre réglementaire très technique et balisé, la mise en œuvre des réformes portant sur la gestion de la demande en logement social et les attributions s’appréhende avec de plus en plus de difficultés. Bien que l’on parle d’humain et de politiques de l’habitat, les aspects « tableurs Excel » cristallisent des prises de position fortes sur certains territoires. Le manque de sens fait perdre de vue les finalités recherchées, les positions tranchées limitent le dialogue et les maturités des territoires sur ces questions sont plus que jamais déterminantes !

Alors comment concrètement considérer ces obligations et faire qu’elles soient vectrices de valeurs ajoutées pour les ménages concernés ?

Certains territoires ont élaboré leurs politiques d’attributions il y a 6 ans, tirant les premiers bilans de leurs effets, quand d’autres s’interrogent sur les réelles actions à mettre en œuvre pour rendre leur politique efficace. Certaines définissent même leur stratégie pour la première fois, bénéficiant du recul et de l’expérience des dernières années. Quel que soit le cas de figure, nous disposons désormais de recul, de bilans et de retours d’expériences permettant de se forger des convictions sur le sujet et la manière d’aborder ces politiques.

A travers de nombreuses missions menées auprès des EPCI, nous avons pu constater l’intérêt du chemin plus que de la destination. Sur les territoires les plus matures – ceux qui ont depuis longtemps mis en place des systèmes intercommunaux sur le logement social –, l’occasion se présente de partager des solutions concrètes mises en œuvre par telle ou telle commune, ainsi que certains constats.

Sur les territoires moins expérimentés ou aux contours d’EPCI récemment modifiés, c’est l’occasion de réaliser que tout le monde gère surtout des déceptions dans la demande de logement social avec la pression actuelle, beaucoup de candidats pour peu d’élus !

 

Objectiver ensemble la situation, pour sortir de l’anecdote

Les ateliers et les réunions que nous menons sont souvent passionnés. Et tout l’enjeu est de sortir des échanges d’anecdotes. Le sujet de la demande et des attributions est sensible. Tous les acteurs ont des expériences à partager. Souvent de l’ordre du « cas vécu » qui permet de démontrer l’absurdité des nouvelles obligations. Celles-ci, il faut le reconnaitre, sont à la fois désincarnées et interprétées de façons dogmatiques et très différentes par les services de l’Etat sans pour autant qu’il y ait une prise en compte des particularités territoriales. Il est parfois ardu de s’y retrouver !

Quoiqu’il en soit, la démarche doit permettre d’objectiver et de quantifier pour essayer de sortir de la notion d’«anecdote confortable». Il est d’ailleurs important de noter que les histoires citées sont systématiquement un désaveu du fonctionnement du logement social. Nous n’entendons que très rarement des anecdotes sur la fierté d’avoir logé une famille en difficulté ou permis à un jeune couple de rester sur la commune.

Il faut ainsi pouvoir dépasser l’obligation réglementaire qui s’impose aux territoires et aux partenaires, souvent de façons contreproductives, pour lui donner du sens : entre réalisme du terrain et objectivation de la situation pour mesurer les pistes de progrès collectives.

Pour réussir cette équation replaçons le ménage demandeur au centre de l’approche.

 

Comprendre la demande et les spécificités du territoire

C’est pourquoi il est nécessaire de comprendre la demande et les besoins de ceux qu’on ne parvient pas à loger dans le parc social.  Il convient aussi de bien connaître les interlocuteurs et les partenaires : partir du terrain pour arriver à définir les enjeux, puis recroiser ces éléments avec ce que disent les textes. Et non pas le contraire.

Sans doute manque-t-il une vision plus globale ; chacun reste cantonné dans son périmètre. Celle-ci permettrait une harmonisation des pratiques et des discours de la part de tous les acteurs qui, finalement, travaillent pour un demandeur mais pas tous de la même manière, pas avec les mêmes enjeux, pas dans la même direction, pas avec les mêmes priorités.

Après la phase de prise de conscience vient celle des effets.

De l’intention aux impacts

Il s’agit de travailler sur la stratégie de développement de l’offre, la rotation dans le parc social, la politique des loyers, mais aussi reposer la question du rôle du parc social sur le territoire au sein du marché immobilier : le marché privé pouvant servir de parc social de fait. Il s’agit aussi de réarticuler la politique d’attribution avec le reste de la politique de l’habitat (aménagement, urbanisme, offre) afin d’identifier les bons leviers.

C’est aussi l’occasion de créer un dialogue avec le PLH : à quoi bon hiérarchiser les publics si l’offre est insuffisante ou inadaptée ? L’intérêt est ainsi de pouvoir mettre les actions de développement du parc social à l’épreuve de la réalité de la demande et de pouvoir ainsi analyser, au fil des échanges, la réalité des besoins.

Dans l’attente d’une loi « logement-décentralisation », aux contours encore flous, qui permettrait aux collectivités d’ajuster localement les dispositifs nationaux, un certain nombre de réflexions, issues de nos travaux sont à partager et discuter :

  • Proposer une véritable analyse de marché du logement social, afin de caractériser l’offre en termes d’accessibilité pour les ménages. L’offre la plus sociale étant constituée par les logements les plus anciens, souvent en QPV, et l’offre neuve, même en PLAi exclue souvent le premier quartile, il s’agit d’objectiver les itinéraires résidentiels captifs et sortir du « yakafofon » de la mixité décrétée. Analysons donc clairement le rôle social de l’offre pour mieux réfléchir à une politique territoriale des loyers.
  • Intégrer, dans les sujets des CIL, le rôle du parc social de fait pour caractériser des secteurs à occupation très sociale dans le parc privé et ainsi comprendre le « jeu de peuplement » de ce patrimoine au regard du logement social. Il s’agit ainsi de (re)mettre en évidence la mission des HLM, et le besoin de développement de l’offre publique de qualité.
  • Animer les CIL et autres pour apaiser et prendre de la hauteur dans les débats sur les attributions et la gestion de la demande, en poussant les acteurs à sortir de registres de donneurs de leçons ou de sphères de confort et en s’offrant le luxe du « parler vrai » pour vider tous les placards des éventuels cadavres. C’est sans doute une clef de réussite majeure pour passer à un nouveau modèle, objectivé sans dogmatisme et au service des ménages sans populisme ou clientélisme.