Le secteur du tourisme a, depuis un moment déjà, largement entrepris son virage numérique avec plus de 79% des touristes qui préparent leur voyage sur Internet, 55% qui réservent en ligne. Le « m-tourisme » est en pleine croissance (le m-tourisme c’est simplement du e-tourisme via son mobile). On note ainsi que 58% des Français partis en 2018 ont utilisé leur mobile ou leur tablette pour préparer leurs séjours de loisir, avec une prééminence pour celles qui utilisent la géolocalisation, et qui permet de mieux appréhender les besoins immédiats.
Par ailleurs, les ventes en ligne de voyage ont augmenté de 9% en 2018 (Source Fevad)
La récente crise sanitaire liée au COVID19 que le monde a traversé va profondément et durablement impacter le secteur du tourisme. Nul ne peut prétendre savoir aujourd’hui toutes les conséquences qui en découleront, mais il y a fort à parier que les évolutions liées au numérique vont encore s’accroître. Alors quelles sont ces évolutions ? Et quelles places pour les territoires et les acteurs territoriaux ?

Cinq grandes évolutions liées au numérique sont à l’œuvre dans le secteur du tourisme

 

  • Une intensité concurrentielle accrue

Dans le domaine du tourisme, la concurrence s’intensifie en raison de l’émergence de nouveaux acteurs, mais aussi du fait de l’extension du champ d’activité d’acteurs traditionnels qui tirent profit des technologies numériques. Parmi ces nouveaux acteurs, figurent des "pure-players" historiques comme Expedia, des start-ups comme HotelTonight, mais aussi des géants d’Internet de moins en moins "en sommeil" sur le segment du tourisme comme Google. Toutes ces entreprises du « numérique » offrent aux consommateurs de nouveaux moyens de préparer, planifier et réserver leurs vacances : comparaison en temps réel, agrégation d’offres, etc.

Dans le même temps, des agences de voyage en ligne comme Expedia, Govoyage ou voyages-sncf.com captent des parts de marché croissantes au détriment des agences de voyages et des tour-opérateurs traditionnels ; la faillite du centenaire britannique Thomas Cook est en cela emblématique des changements profonds de ce marché. Handicapés par des coûts de structure plus élevés, les acteurs traditionnels ont vu s’éroder leurs avantages concurrentiels : accès exclusif aux produits, relations privilégiées avec les prestataires, pouvoir de fixation des prix. Les tour-opérateurs font désormais face aux acteurs de la désintermédiation, car les services en ligne permettent à l’internaute de packager en temps réel une offre de voyage complète.

 

Dans ce paysage en recomposition, les géants du Web ne demeurent pas en reste. Google a mis au point sa propre offre de recherche de vols d’avion, intégrant la comparaison en temps réel des prix, et a aussi développé une offre intégrée à son service de cartographie, qui permet la recherche d’hôtels, ainsi que leur appréciation par les clients. Google est en concurrence quasi directe avec les méta-moteurs de recherche spécialisés comme Kayak ou Trivago. De leur côté, les acteurs traditionnels mettent également à profit le numérique pour accroître leurs ventes en direct. Pour acheter leurs billets d’avion, les Français privilégient très nettement Internet, pour 70% d’entre eux. Cette proportion est encore plus élevée chez les loueurs de voitures ou dans le transport ferroviaire par exemple pour la SNCF, qui a été pionnière dans les applications mobiles). Ainsi, ces entreprises accroissent leurs marges et s’assurent une plus grande maîtrise de la relation client, tout en bénéficiant de l’accès aux données et des opportunités de ventes croisées.

 

  • Une nouvelle expérience client via le « multicanal »

Les technologies numériques nourrissent désormais chaque étape de l’expérience touristique : la réservation, la transaction, la préparation du voyage en amont, son déroulement, le feedback et le suivi en aval.

La tendance croissante à la mobilité refaçonne également la relation entre les acteurs du secteur touristique et leur clientèle. Personnalisée, sociale (au sens « réseau social » avec un partage d’expérience de plus en plus important dans le cercle de connaissances et d’amis sur les réseaux sociaux) et géo-localisée, l’expérience offerte au client peut prendre une nouvelle dimension. L’environnement des applications mobiles – plus contrôlé – permet de mieux maîtriser le cheminement du client, donc de lui offrir a priori un meilleur service. Un mouvement sans doute amené à se poursuivre avec les innovations et nouvelles interfaces connectées (lunettes, vêtements, capteurs ; réalité augmentée ; recherche sémantique), grâce auxquelles la machine sera capable d’interpréter des requêtes en fonction du contexte.

 

  • Une nouvelle façon de proposer des produits et services

Les technologies numériques permettent aux entreprises du tourisme de concevoir et mettre en place des services à forte valeur ajoutée pour leurs clients : applications, fonctionnalités innovantes, etc. On notera par exemple l’émergence d’applications mobiles pour effectuer rapidement des réservations, accéder à des programmes de fidélité, ou encore à des services tels les relevés de frais, guides des us et coutumes locales, agenda, suggestions de sorties et promenades.

De leur côté, les agences de voyage en ligne et les entreprises de transport ont elles aussi lancé de nouveaux services et applications : planification d’itinéraires complexes, changements de dernière minute, check-in, informations en temps réel sur le statut des vols ou des trains, cartes et navigation assistée, etc.

 

  • L’impact des données sur les services et les modèles

Les acteurs du tourisme recueillent une masse considérable d’informations croisées avec celles disponibles sur internet, ce qui leur permet d’affiner leurs modèles de fixation des prix et d’améliorer leurs approches commerciales. Les compagnies aériennes pratiquent de longue date des niveaux de prix variables ("yield management"), afin de capturer un maximum de valeur et d’optimiser le taux de remplissage de leurs avions. Avec le numérique, ces pratiques atteignent un niveau de sophistication accru, en permettant de multiplier les options de tarifs, ce dont découle une palette de choix élargie pour les clients et des taux de remplissage optimisés pour les compagnies.

Par ailleurs, le traitement analytique des données permet aux entreprises du secteur d’augmenter les ventes croisées ou la vente de services optionnels. En examinant instantanément l’historique du client ou son profil, elles peuvent par exemple déterminer quels services sont les plus susceptibles de l’intéresser – et le mettre en avant de la manière la plus appropriée au cours des différentes interactions (bagages supplémentaires, repas, assurance annulation, etc.).

 

  • Une transformation numérique des processus de bout en bout

Il devient possible de numériser certains processus liés au cœur de métier des entreprises touristiques, comme la production des voyages ou la réservation. Outre des gains d’efficacité, cette démarche permet parfois de repenser totalement le « produit » ou l’offre. C’est le cas pour les tour-opérateurs, qui évoluent ainsi d’un modèle économique "statique" (des produits packagés une fois par saison, présentés via un catalogue papier et n’autorisant qu’un faible nombre d’options) à un modèle "dynamique", c’est-à-dire une offre élaborée pour s’adapter au mieux à la demande du client et aux conditions de remplissage et de prix, communiquée "en temps réel" par les fournisseurs. Au-delà de l’aspect lié au coût de la prestation, c’est avant tout la réactivité de l’offre, la productivité et la satisfaction des clients qui sont grandement améliorés.

 

e-tourisme : une nouvelle donne pour les territoires

Comme on peut le voir, le numérique perturbe les schémas établis, et l’ensemble des acteurs territoriaux doivent souvent s’adapter, savoir changer certaines pratiques et surtout soutenir et être à l’affut de l’innovation pour renforcer le tourisme sur leur territoire, source d’attractivité, de développement économique, ainsi que de maintien, voire de création d’emplois non délocalisables. Mais il faut aussi le faire dans le respect de règles, qu’elles soient législatives, mais aussi morales ou éthiques. On entrevoit bien que les acteurs territoriaux ont un rôle important à jouer pour préserver les acteurs locaux d’acteurs parfois prédateurs, pour protéger les consommateurs touristes, et veiller à un développement harmonieux de leurs territoires.

Alors comment les acteurs territoriaux peuvent-ils tirer leur épingle du jeu ? Passage en revue de quelques opportunités à saisir.

 

  • Le défi de l’information touristique

Les institutionnels du tourisme (Offices de Tourisme, Conseils régionaux ou départementaux) ont tout intérêt à opérer leur transition numérique au niveau des métiers de l’accueil touristique et de la promotion de leur territoire, et à l’accélérer. Il existe encore une grande disparité de projets stratégiques pour répondre à ces enjeux entre ces différents acteurs : certains ont déployé de vraies stratégies en utilisant le levier numérique, alors que d’autres sont encore restés sur des modes d’accueil plus traditionnels (présentiel et support papier essentiellement). Le présentiel et le papier, pourquoi pas, mais attention à ne pas se laisser surclasser par les acteurs qui savent atteindre plus de monde avec le numérique

Les principaux acteurs concernés sont les CDT (Comité Départementaux de Tourisme, dont l’association nationale est RN2D) qui organisent l’information, les CRT (Comités Régionaux de Tourisme) qui diffusent l’information, et les Offices de Tourisme, qui sont chargés de l’accueil des touristes et de l’animation de l’écosystème touristique local.

Cette problématique de l’information touristique, qui se traduit par le terme d’« Internet de destination », comporte de forts enjeux territoriaux, d’attractivité et de compétitivité touristique du territoire.

C’est pourquoi la Banque des Territoires s’intéresse particulièrement à ces stratégies qui consistent à opérer la transition numérique sur les modes de communication vers le touriste, à former les personnels à ces nouveaux modes de communication, à revoir leur organisation, et à animer l’écosystème des prestataires locaux de tourisme autour d’objectifs numériques.

 

  • Une nouvelle approche de la réservation

La réservation est le segment des activités de « e-tourisme » le plus mature, le plus rentable et le plus concurrentiel (les autres segments étant classiquement répertoriés dans un cycle connu comprenant le «rêve», la «préparation», l’«expérience vécue sur place», et après le voyage, la phase de  «compte-rendu»). Les grands «OTA» (Online Tour Agencies) sont dominantes sur ce marché (on retrouve par exemple  Booking ou Expedia).

Dans ce type de projet lié à la réservation, le rôle et la place des territoires dans la construction des offres doivent être intégrés dès le départ, soit par les institutionnels locaux du tourisme, soit par les différentes associations ou fédérations actives sur le tourisme et l’itinérance.

Les territoires ont en effet un rôle à jouer dans ces offres, eux qui ont été happés ces dernières années par ces grandes plateformes qui viennent rogner la valeur créée dans les territoires. Une possibilité pour les territoires est de s’intéresser aux projets de réservation en itinérance, qui sont à même d’apporter une offre concurrentielle, non frontale, mais différenciée des OTA. Ces offres sont notamment basées sur la connaissance terrain des itinéraires touristiques et elles sont économiquement fondées sur des commissions moins prédatrices, au bénéfice des prestataires locaux et des clients finaux.

 

  • Les places de marché : une opportunité pour les territoires

Les places de marché Internet sont des sites dans lesquels sont présentes des offres commerciales de différents prestataires d’hébergements, de transports, de restauration, d’activités culturelles ou sportives, regroupés sous une marque commune et fédératrice : celle de la destination.

Dans cet esprit, il est tout à fait envisageable de répliquer un modèle dans lequel se regrouperaient plusieurs destinations ou stations, partageant une même géographie ou une même ambition.

C’est par exemple le cas de 7 stations pyrénéennes qui se sont regroupées dans une SEM (Société d’Economie Mixte) appelée « N’Py ». Le service « N’Py Résa » permet l’achat en ligne de services groupés à partir d’un site Internet unique : hébergement, location de matériel, cours de ski, forfaits de remontées mécaniques, etc.

 

  • La dématérialisation des forfaits et passes touristiques

Les passes et forfaits touristiques (de type « Citypass » ou de type « Museum Pass ») sont des « offres commerciales » qui vivent leur transition numérique vers la dématérialisation. A ce titre, les forfaits ou passes continuent d’apporter les bénéfices habituels de ce genre de solution, notamment l’accroissement des flux de visiteurs, l’augmentation du nombre de visites, et l’augmentation des « paniers moyens » (c’est-à-dire de ce qu’achète en moyenne chaque visiteur) ; la numérisation et la dématérialisation permettent de mieux communiquer envers cette clientèle et de leur proposer d’autres services.

Dans ce domaine, ce sont essentiellement les acteurs publics qui sont à même d’exprimer les besoins et de déclencher les projets ; la Banque des Territoires accompagne beaucoup de ces projets avec les opérateurs privés de services et les prestataires de tourisme désireux de lancer ces solutions.

 

  • Le big data et la valorisation des données touristiques

La numérisation des données culturelles et patrimoniales offre un certain nombre d’opportunités pour valoriser ce qu’on pourrait appeler les « actifs » des territoires touristiques sur les différents segments du e-tourisme. De nombreux acteurs imaginent aujourd’hui des applications tirant partie de ces données. En les croisant, et dans le respect du RGPD, on peut plus facilement comprendre, et suivre les touristes dans leurs parcours et leurs usages. On peut aussi analyser l’attractivité d’un territoire et l’améliorer en temps réeL

Alors, tout ceci peut faire peur, et donner l’impression d’un touriste traqué et poussé à son insu à consommer. Il est nécessaire d’envisager ces projets avec une dimension d’intérêt général. C’est principalement là que réside la place vigilante des acteurs territoriaux et de la Caisse des Dépôts.

Le plan de relance tourisme annoncé récemment va permettre de repenser le rôle de chacun et de promouvoir l’innovation au service des territoires et des touristes. Soutien historique du tourisme français, la Caisse des Dépôts aura un rôle crucial dans ce plan de relance. Pour soutenir les acteurs de la filière Tourisme, la Caisse des Dépôts va mobiliser une enveloppe globale de 3,6 Md€ d’ici à 2023 en solutions de financement, investissement et accompagnement, via sa Banque des Territoires et Bpifrance.