cicéron
c'est poincarré
Les reprises économiques sont davantage inflationnistes que prévu, tant aux Etats-Unis qu’en zone euro (et en France). Mais les dynamiques sous-jacentes aux prix ne sont exactement les mêmes : il est hâtif d’importer, en France, le contexte américain (« boucle prix-salaire, nécessaire réaction de la banque centrale… »). Dans ce billet, nous analysons, en 4 points, pourquoi la Fed a renoncé à qualifier l’inflation de « temporaire » contrairement à la BCE et en tirons les implications en termes de divergence de politique monétaire et de taux d’intérêt.
Dans les deux économies sous revue, des politiques budgétaires expansionnistes ont été mises en œuvre mais avec une échelle différente : aux Etats-Unis, l’impulsion budgétaire a été beaucoup plus sensible qu’en zone euro (80 % plus élevée).
Ainsi, pour les ménages :
La politique économique a cherché, en zone euro, à rééquilibrer les marchés du travail et des biens et services touchés par la crise alors qu’aux Etats-Unis, elle vise le passage d’un déséquilibre (crise / dépression) à l’autre (surchauffe). Ce surrégime comporte des risques (dette, déséquilibre commercial, inflation) mais il dispose d’avantages (gains de productivité relancés, diminution des inégalités). Il s’est ensuivi une surconsommation de biens & services au détail beaucoup plus sensible aux Etats-Unis qu’en zone euro (cf. graphiques). Cela se concrétise logiquement par une pression sur les prix des biens beaucoup plus sensible et diffuse outre Atlantique qu’en zone euro.
L’inflation est logiquement plus élevée (en décembre 7 % aux Etats-Unis vs. 5 % en zone euro et 2,8 % en France) mais, davantage que le niveau, ce sont les sources inflationnistes qui sont importantes à explorer pour augurer du caractère « temporaire » ou non des hausses de prix. Distinguons 2 sources inflationnistes :
Or, utilisant des travaux du FMI sur l’inflation depuis décembre 2020 (lien), on constate une nette différence de source inflationniste entre les deux zones économiques : en Europe, la hausse des prix est majoritairement due à la crise énergétique, alors qu’aux Etats-Unis, ce sont des dérèglements sur le marché du travail et des biens et services qui ont davantage joué.
La distinction est très importante en termes de perspectives d’inflation et de politique monétaire, étant entendu qu’au contraire d’une inflation due à des facteurs domestiques (Etats-Unis), une inflation importée (zone euro) :
L’inflation est donc davantage installée aux Etats-Unis.
Les salaires peuvent augmenter pour de multiples raisons : gains de productivité (facteur non inflationniste), rareté de la main d’œuvre et boucle prix-salaire (facteurs inflationnistes). Là encore, 2 illustrations de la dynamique très différente d’une zone à l’autre.
1) Au sortir de la crise, le marché du travail américain connaît un choc d’offre négatif : des travailleurs ayant perdu leur travail lors de la crise ne sont pas revenus sur le marché du travail, ils s’en sont retirés (pour partie des retraités). La rareté de la main d’œuvre liée au rebond économique est exacerbée par cette nouvelle donne, qui alimente les tensions salariales, donc les coûts de production et in fine les prix de vente. En France, un tel choc négatif sur le marché du travail n’est pas observé.
2) Les salaires évoluent différemment : il n’apparaît pas, à ce stade, de pression salariale en zone euro contrairement aux Etats-Unis. Les salaires sont sages en zone euro et, bien qu’attendus en hausse en 2022, une progression de 3 % peut être enregistrée sans générer d’inflation supérieure à 2 %, grâce aux gains de productivité.
Au total, on constate une inflation élevée dans les deux zones mais, aux Etats-Unis, l’inflation résulte de déséquilibres sur les marchés des biens et services et de l’emploi avec une boucle prix-salaires-prix qui pose question, alors qu’en zone euro, l’inflation est surtout due à des facteurs exogènes, sans déséquilibre domestique majeur à contrer à ce stade. En conséquence :
Les politiques monétaires de part et d’autre de l’Atlantique ne sont pas forcément jumelles, comme l’illustre l’historique des taux directeurs lors de la décennie passée.