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Ce texte se rattache à une série de 16 articles issus d'une recherche soutenue par l’Institut pour la recherche de la Caisse des Dépôts sous la direction de François Bafoil et Gilles Lepesant sur les enjeux de l'eau et de l’adaptation au changement climatique.
Tout au long de cette série, à raison d’un nouvel article chaque semaine, François Bafoil, directeur de recherche émérite au CNRS/CERI-Sciences Po., rend compte de plusieurs aspects en s’attachant aux phénomènes d’érosion du trait de côte, de submersion sur les littoraux, d’inondation dans plusieurs territoires à l’instar des marais et des vallées, et enfin de sécheresse et de conflits d'usage autour de l'eau. Ces travaux feront l’objet de la publication d’un rapport en septembre 2022.
SOMMAIRE
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Ayant relevé l’importance de la culture du risque à plusieurs reprises dans cette série d’articles sur les enjeux de l’adaptation au changement climatique- notamment L'EAU ET LA GOUVERNANCE (3/3) PAPI. Le cas de l’agglomération Cannes-Lérins et LA CULTURE DU RISQUE (1/2) Les dimensions de l’ignorance, de l’oubli et du déni – ce dernier volet a pour objet la présentation du dispositif national et associatif en charge de la culture du risque. Il s’attache principalement à restituer la parole des acteurs locaux rencontrés lors cette étude.
Notons d’abord que l’Etat dispose de plusieurs relais à l’instar du Conseil d’orientation pour la prévention des risques naturels majeurs (COPRNM)[1]. De niveau national - puisqu’il dépend du ministère de la Transition écologique -, il coopère également avec l’Association française de prévention des catastrophes naturelles (AFPCNT) et plusieurs établissements publics territoriaux de bassin (EPTB). L’autre réseau d’acteurs est constitué des membres regroupés dans un Programme d’actions pour la prévention des inondations (PAPI) - voir L’EAU ET LA GOUVERNANCE (1/3) La lutte contre les inondations. Gemapi et Papi - et plus particulièrement dans la commission mixte d’inondation.
La culture du risque
« La culture du risque est le premier chapitre de chaque PAPI. Depuis 30 ans, l’argent public est à disposition, mais le constat tiré de la période écoulée est que l’argent se concentrait sur l’ouvrage : la digue en dur, le béton, mais sans lien avec la gestion de crise, la culture, ou encore l’habitation. A partir de ce constat, il y a eu le plan Bachelot qui a consisté à payer les travaux sous réserve que les conditions structurelles soient réalisées (ce sont maintenant les 5 premiers chapitres des PAPI). Désormais, il faut faire un PAPI avec une large part laissée à cette culture du risque, et c’est à partir de là que les financements pour les travaux vont être octroyés. Et ça, ça marche : on est dans la 3ème génération des PAPI, et on a vu émerger des professions nouvelles, à côté de celles concernant les ouvrages, avec au premier chef, la culture du risque. C’était le parent pauvre des collectivités territoriales ».
Le chargé de projet papi d'episeine, direction appui au territoire - EPTB Seine Grand Lac - Entretien du 31 août 2021
La réflexion s’oriente aujourd’hui autour de la création de commissions mixtes au niveau territorial alors que nombreux sont les acteurs à réclamer que soit maintenu le double niveau garant de l’égalité de traitement des territoires : à la fois étatique (central et société civile) et territorial, au risque sinon du « copinage » propre aux commissions composées des mêmes individus qui se connaissent tous et partagent le même référentiel.
La question est donc de savoir s’il faut favoriser la stricte territorialisation, au risque de l’entregent local ou bien la dimension centrale, au risque de l’éloignement des réalités locales.
Au niveau régional, citons parmi les acteurs publics la Mission interrégionale inondation de l’arc méditerranée (MIAM), dont la zone s’étend de Rhône-Alpes jusqu’à Toulouse, et qui dépend de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) du ministère de la Transition écologique.
Les autres acteurs qui travaillent constamment sur le terrain de la prévention se retrouvent dans le champ associatif qui regroupe les plus importantes interventions, notamment au travers des associations de type 1901, à l’instar de l’Institut des risques majeurs (IRMa) - principalement en Rhône-Alpes -, du Cyprès, orienté pour ce dernier vers la gestion des risques de feux de forêt en coopération avec les collectivités locales notamment dans l’arc méditerranée, mais aussi du Centre européen de prévention du risque d'inondation (CEPRI) et de Institut français des formateurs risques majeurs et protection de l'environnement (IFFO-RME).
Le CEPRI et l’IFFO-RME sont deux organismes importants pour notre sujet de la culture du risque puisqu’ils ont la charge d’élaborer la stratégie de la culture du risque en direction de deux publics : les écoliers et les fonctionnaires.
Le CEPRI et la formation des fonctionnaires
Le CEPRI[2] est une association régie par la loi de 1901, qui a été créée le 1er décembre 2006 comme centre de ressources sur les inondations par Eric Doligé, président du conseil départemental du Loiret et sénateur. Ayant déjà travaillé sur le risque inondation, il était à l’origine de la création des EPTB. La création du CEPRI a correspondu à la volonté de capitaliser sur l’expérience qui avait associé le département avec la ville d’Orléans, mais aussi la région Centre et le ministère de l’Écologie. Tous ont participé à la création du centre de ressource pour la gestion du risque inondation. Très vite, le CEPRI a regroupé une centaine de membres, rassemblant toutes les strates de la gouvernance française : communes, intercommunalités, syndicats mixtes, les maires avec l’AMF, les départements avec l’ADF.
L’équipe est composée de sept personnes. Son budget est de 600 000 euros en provenance, pour chaque tiers environ, du ministère de la Transition écologique, des collectivités adhérentes et des conventions avec certains territoires.
Au titre de ses axes d’action :
L’approche en direction des fonctionnaires en charge du risque constitue le champ d’intervention du CEPRI qui a conduit nombre de travaux en privilégiant le thème de la mécanique de la sensibilisation aux risques.
La question a été clairement posée : pourquoi tant d’individus n’ont pas le comportement attendu alors qu’ils sont informés ? Pourquoi, lors d’une inondation, vont-ils récupérer leurs enfants quand justement il ne faut surtout pas le faire car en prenant sa voiture au parking, le risque de périr noyé est très élevé. Chacun connaît l’exemple de ce parking à Cannes où plusieurs habitants se sont rués pour prendre leur voiture et ont péri emportés par les inondations (voir L'EAU ET LA GOUVERNANCE (3/3) PAPI. Le cas de l’agglomération Cannes-Lérins).
Une formation a été destinée aux agents de collectivités territoriales habitant les lieux inondables - le choix s’est porté sur Orléans -, charge pour eux de faire un retour rapide pour aider les habitants à faire face à de tels évènements. « Or - s’interroge la responsable du CEPRI au cours d’un entretien, le 12 avril 2021 - que voit-on ? Un phénomène du déni. La question est de savoir comment on reçoit une information brutale, à savoir que l’inondation va noyer votre appartement et comment on va réagir à pareille situation ».
La formation a ensuite porté sur l’évaluation des régimes réglementaires que les territoires doivent mettre en œuvre à propos des repères de crues. Le projet d’Évaluation des dispositifs réglementaires sur le risque et la sensibilisation (EDRRIS) a permis de s’interroger sur le niveau de perception, de connaissance et d’action des populations sur la base d’un test réalisé dans deux villes : Orléans où il n’y avait pas eu d’inondation depuis très longtemps, et Arles, fréquemment soumise à ce genre d’aléas. La synthèse a été sans appel : les dispositifs réglementaires ne sont pas connus ; les comportements adaptés ne sont pas au rendez-vous.
L’IFFRO-RME et l’enfance
L’IFFRO-RME est une association loi 1901 qui a pour objet la prévention des risques majeurs sur le territoire national, (y compris les territoires ultramarins) ainsi qu’en Afrique francophone - Benin et Sénégal -, en Tunisie et en Turquie.
L’association est constituée d’un réseau de formateurs intervenant dans le champ professionnel et dans le champ amateur de la gestion des risques majeurs. Elle opère sous couvert d’un accord passé avec le ministère de la Transition écologique pour participer à un appel à candidatures qui voit le jour deux fois par an. En sont destinataires, les différents relais publics : rectorat, préfecture, agences régionales de la santé. L’association a pour objectif le développement du réseau, la diffusion des supports et la préparation de la communauté scolaire pour comprendre les situations de crise (que ce soit dans ou hors temps scolaire). Les équipes locales sont représentées par un individu nommé par le recteur et identifiée comme le Coordinateur académique risques majeurs (le CARM).
L’appel d’offre est dirigé également en direction des collectivités avec lesquelles l’association entretient des liens par l’entremise d’un formateur. Les partenaires sont massivement les chefs d’établissement dont dépend la mise en place du plan de sûreté (Plans particuliers de mise en sûreté, PPMS) avec leur équipe de gestionnaires, mais aussi les chargés de prévention d’université désignés par les rectorats.
La convention d’association avec le ministère de la Transition écologique est pluriannuelle (trois ans) mais chaque année le budget doit être défendu ce qui fait planer une incertitude préjudiciable sur la pérennité des actions entreprises.
« Si d’aventure les subsides manquent par défaut de soutien de l’acteur public, alors le soutien aux populations va manquer. Or la culture du risque, cela s’entretient, sinon on recule ».
La directrice de l’iffro-rme - entretien du 28 juin 2021
La question de l’éducation aux risques est apparue il y a plusieurs années. Aujourd’hui, elle fait partie du code de l’éducation qui prescrit que chaque élève a droit à cette éducation, et c’est pourquoi elle est transcrite dans les disciplines enseignées : les thèmes les plus importants sont abordés en classe de 5ème et les risques technologiques également, notamment en histoire et géographie. Cette culture du risque se construit tout au long de la vie. Donc elle doit commencer dans le premier degré et chaque année, cela doit faire écho et rebondir dans un enseignement. Les tous petits doivent savoir si l’on est plus en sécurité à l’intérieur ou à l’extérieur d’un bâtiment. En CM1 et en CM2, l’entrée porte sur l’énergie : énergie en eau (hydraulique) et énergie renouvelable avec les risques, notamment nucléaires. Sauf qu’à ne rentrer que par les aléas naturels, regrette la directrice, on s’y enferme et l’on n’aborde pas la question du réchauffement de l’eau avec le nucléaire et ses zones de refroidissement.
La stratégie de l’IFFRO-RME est de développer des axes hors temps scolaires, c’est-à-dire avec les animateurs qui sont regroupés par la ville. L’idée est de leur apporter des éléments d’information sur les risques en les amenant à conduire des activités ludo-pédagogiques, cohérentes avec ce qui se passe à l’école. Le souci est d’abord de préparation à la crise ; ensuite pédagogique.
Des bilans académiques sont établis comprenant les retours sur la dynamique de formation concernant la mise en place et les types de formation, ainsi que leur durée. L’approche reste générale sur les risques, et par ailleurs, notre interlocutrice regrette que le temps de formation se limite désormais à un jour, quand antérieurement trois jours y étaient consacrés. La raison surtout, en est, selon elle, que le retour d’expérience n’entrant pas dans les évaluations personnelles des enseignants, ces derniers ne sont pas incités à les obtenir. Enfin, comme elle l’indique, « un projet d’établissement adossé à un tissu partenarial ne peut pas se faire partout, c’est très chronophage ».
L’évaluation qui est portée sur le système français de prévention des risques est plutôt positive. Cela tient au fait qu’en France, selon notre interlocutrice, le dispositif est articulé aux deux niveaux, central et local, alors qu’en Allemagne il dépend des seuls Länder, et en Italie, des seules provinces.
Deux qualités sont reconnues à la France, selon plusieurs interlocuteurs étrangers : d’une part, la cohérence de l’impulsion fournie par les ministères et l’égalité de traitement des territoires ; d’autre part, la combinaison des interventions du ministère de la Transition écologique qui portent sur le volet préventif (information) avec celles du ministère de l’Intérieur qui portent sur la protection des populations avec la planification et la gestion de crise. Cette dissociation n’existe pas dans d’autres pays.
L’autre qualité reconnue à l’étranger est le travail en interministériel qui dessine en France un certain nombre de périmètres dotés de deux champs de compétences sur la culture du risque : la formation et le réseau de formateurs.
Par ailleurs, on note que cet axe d’intervention auprès des enfants est également celui de très nombreuses municipalités visitées.
Considérons l’exemple de Nice :
« On réalise des miniguides, on mène des actions « grand public », on fait du porte-à-porte avec la sécurité civile, on leur remet le livre, on leur demande de s’évaluer. On intervient dans les écoles depuis 2010. Toutes les écoles de CM1, soit à peu près 3500 enfants concernés, et sur les autres communes, ce sont les communes qui travaillent pour elles, et nous on a fait le guide « Risques majeurs jeunes ». On organise des réunions publiques, la dernière s’est tenue à Cagnes-sur-Mer. On ne fait pas d’évaluation mais on a vu les enfants et la rémanence marche. On a conduit nos actions avec la structure du rectorat et on a adossé nos interventions sur les programmes de l’éducation nationale ; et on a été validés par l’inspection académique. Quand les crises surviennent, on utilise les outils modernes en direction des administrés susceptibles d’être impactés pour qu’ils soient informés. On transmet nos documents aux petites communes, mais c’est le maire de chaque commune qui décide. Nous, on distribue les informations météo dès qu’on les a, et de leur côté, les maires peuvent intervenir sur leur commune »
la direction des risques de la métropole de Nice - entretien du 6 décembre 2021
Concluons le dernier billet de notre série en rappelant ce que nous disait le directeur d’Episeine lorsqu’il soulignait « l’importance de la masse d’informations à disposition des acteurs, mais en retour la faible accessibilité aux données de la part de nombre de citoyens ». De ce constat, il tirait la conclusion que cela rendait d’autant plus nécessaire la formation de chacun aux risques environnementaux.
« La connaissance, il y en a. Je pourrais même dire qu’on a un niveau de connaissance supérieur à la moyenne. Nombre de spécialistes ont non seulement la mémoire du bassin de la Seine mais aussi d’autres, selon des modèles hydrauliques. Mais c’est une information qui peine à sortir du cercle des spécialistes pour plusieurs raisons. Raison de fond d’abord : c’est un sujet qu’on peut vulgariser mais ça ne passionne pas les foules. Ensuite, des raisons de forme : on est sur 44 000 kms sur le bassin amont avec 3600 communes, 335 intercommunalités, 65 syndicats de rivière et donc, si l’on veut porter la bonne parole, c’est énorme : il y a beaucoup de lieux et ils ne sont pas tous pareils ».
Le directeur d’episeine -entretien à troyes, le 22 novembre 2021
C’est dire tout à la fois l’importance décisive de la culture du risque face aux enjeux de l’eau, mais aussi la complexité de la gouvernance et des acteurs en présence, la multiplicité des territoires et la variété des conflits dont on a essayé, dans cette série, de rendre compte à partir des travaux d’une étude qui sera bientôt disponible auprès de l’institut de la Recherche de la Caisse des Dépôts.
https://www.caissedesdepots.fr/institut-pour-la-recherche
[1] Cette commission consultative est chargée d’émettre des avis et de faire des propositions en matière de prévention des risques naturels, sur les actions et politiques publiques qui concourent à la réduction de la vulnérabilité aux catastrophes naturelles. C’est un lieu de concertation, d’orientation, de conseil et d’arbitrage, composé d’élus, d’experts et professionnels, de représentants de la société civile et des services de l’Etat