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Crédit ©Nicolas Dieppedalle / Adobe stock
Dans le contexte de l’objectif « Zéro artificialisation nette » (ZAN), les territoires doivent réduire de 50% leur rythme de consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers d’ici 2030. Un impératif écologique qui doit composer avec la nécessité d’offrir aux habitants un cadre de vie agréable, proche de la nature, tout en veillant à maintenir un accès facilité aux biens et services indispensables.
Le cahier de recherche « La proximité à la nature, une source de bien-être » de l'Institut pour la Recherche, réalisé en partenariat avec le CREDOC, propose une analyse croisée des données sur l’artificialisation des sols et les perceptions de la population française sur leur qualité de vie. Eclairage avec Lucie Brice Mansencal, Directrice d’études et de recherche au sein du Pôle « Société » du CRÉDOC.
Depuis sa création en 1953, le CREDOC a pour vocation d’analyser et d’anticiper les comportements des individus dans leurs multiples dimensions. L’objectif de ces enquêtes est d’éclairer les décideurs en prenant en compte l'évolution des aspirations des Français et les enjeux prégnants de la période considérée, comme le dérèglement climatique aujourd’hui.
On sait que l’artificialisation des sols, en lien avec l’étalement urbain, est aujourd’hui l’une des causes premières du changement climatique et de l’érosion de la biodiversité, et par ailleurs on observe que la nature fait l’objet d’une préoccupation grandissante dans l’esprit des Français et a un impact direct sur leur bien-être. D’où l’intérêt de rapprocher ces enjeux.
En matière d’aménagement, les défis sont colossaux pour atteindre l’objectif ZAN, et ce d’autant plus que les élus locaux sont confrontés à de véritables dilemmes au regard de logiques sociétales, environnementales et économiques souvent antinomiques. D’une part, il s’agit de s'adapter aux nouvelles contraintes écologiques, et ce faisant d’opérer un véritable changement de modèle, plus sobre et résilient ; d’autre part, de pourvoir aux besoins des habitants en termes de logements et d’infrastructures et de veiller au développement de l’attractivité économique du territoire.
Bien sûr, et spécialement au regard la faible conciliabilité des deux objectifs précédemment cités, le second allant souvent de pair avec une artificialisation des sols. L’enjeu est de parvenir à dessiner de nouvelles voies d’aménagement du territoire alliant bien-être des habitants et impératif écologique.
Ces questions nous ont amenés à nous interroger sur ce qu’était le modèle de société et le cadre de vie voulus par les Français, et par le biais de cette enquête, de mieux situer le besoin d’espaces naturels associés au bien-être, rapporté au souhait d’un accès facilité à de nombreux biens et services, ainsi qu’à des bassins d’emploi qui nécessairement artificialisent la ville.
D’une manière générale, on constate que le maintien d’espaces faiblement artificialisés a très clairement un impact positif sur le bien-être de la population et leur satisfaction à l’égard du cadre de vie. Mais nous voyons aussi que les espaces qui offrent aujourd’hui un accès facilité à des biens et des services nombreux et diversifiés, donc fortement artificialisés, demeurent également primordiaux pour pouvoir s’épanouir et se maintenir hors d’un certain état de précarité.
Quelque part le dilemme reste donc entier, si ce n’est que nous voyons quand même monter l’importance de la proximité de la nature dans le fait de ressentir du bien-être.
Indépendamment de cette enquête, nous préparons une keynote pour l'Institut pour la recherche qui porte sur la ressource en eau et notamment les impacts de la sécheresse à l’échelle territoriale. Sans rentrer ici dans le détail, on relève qu’une expérience territoriale différenciée des évènements climatiques induit une opinion différente. Les populations qui ont été touchées par un épisode climatique, par exemple la sécheresse de 2022, sont plus vigilantes à l'égard de l'environnement et plus exigeantes sur le maintien de son équilibre.
Par ailleurs, sur la question de l'artificialisation, le fait d'avoir grandi dans une commune qui s’est fortement transformée au fil des ans est souvent vécu de manière moins positive par les habitants concernés : quand on artificialise un territoire jusqu’alors à dominante naturelle ou agricole, cela change l’identité du territoire, et parfois, cela peut créer de l'insatisfaction de la part des habitants originaires qui, attachés à l’identité de leur territoire, ne se retrouvent plus dans le nouveau paysage, mais aussi de la part des ménages plus récemment installés, qui avaient fait le choix de vivre dans un environnement plus proche de la nature.
On dispose également de données qui montrent que les personnes vivant en zone rurale sont plus satisfaites de leur cadre de vie, quand bien même leur satisfaction à l’égard du nombre de services publics accessibles à proximité est moindre. Il est important aussi de distinguer dans les espaces naturels, les espaces agricoles qui n’ont pas forcément les mêmes bénéfices sur le bien-être ; d'où il ressort nettement que tous les espaces naturels ne se valent pas. Vivre à côté d’une grande exploitation céréalière, ça n’est pas tout à fait pareil que d’être entouré de montagnes ou de vivre près de l’océan.
Pour les citadins, on relève que la présence d'espaces verts artificialisés, comme les parcs urbains ou les espaces récréatifs, procurent une forme de « bonheur », en particulier dans des villes très denses qui ne bénéficiaient pas de ces espaces auparavant. Les habitants sont plus satisfaits de leur cadre de vie dès lors que de tels lieux sont aménagés.
A l’échelle de la société enfin, on constate des clivages plutôt d’ordre générationnel. S'agissant de la dégradation de l'environnement, chaque génération est plus inquiète que la précédente. On constate également des différences selon le niveau d’études et le niveau de vie : plus ces derniers sont élevés, plus les habitants sont soucieux de leur environnement et plus ils relient leur bien-être à la proximité de la nature. Ces résultats sont cependant à nuancer dans la mesure où plus les revenus sont faibles, plus les besoins pressants et essentiels l’emportent sur le besoin de nature.
Il s’agit majoritairement d’une ville moyenne, imaginaire, un peu fantasmée, qui bénéficie d’un peu de tout à proximité. Idéalement, on peut aller partout à pied ou en tram, on y trouve des commerces et tous les services utiles accessibles en centre-ville, et surtout un mode de vie calme et apaisé. Cela ressemble peu ou prou à une vie de village avec un côté très pittoresque mais avec beaucoup plus d'aménités, beaucoup plus de de services, et en même temps la possibilité de quitter cet espace bâti pour accéder rapidement à des espaces plus naturels. Le simple fait de pouvoir voir des arbres, des montagnes ou encore des oiseaux, a un effet positif sur le bien-être, ou tout du moins sur ce que l'on va considérer comme tel.
D’où la complexité dont nous parlions précédemment pour les élus locaux ! Atteindre cet idéal relève du défi, et c'est tout le jeu d'équilibriste auquel ils essaient de se livrer.
Télécharger le cahier de recherche: La proximité à la nature, une source de bien-être
L’artificialisation des sols, en lien avec l’étalement urbain, est aujourd’hui l’une des causes premières du changement climatique et d’érosion de la biodiversité. Dans le contexte de l’objectif « Zéro artificialisation nette » (ZAN), le Centre de Recherche pour l’Étude et l’Observation des Conditions de Vie (CREDOC) propose une analyse croisée des données sur l’artificialisation des sols et les perceptions de la population française sur leur qualité de vie. Quelles sont les attentes en la matière de la population française ? Comment se situe le besoin de proximité à la nature associée au bien-être et au cadre de vie par rapport au souhait d’un accès facilité à des biens et services nombreux davantage présents dans les espaces artificialisés ?