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CD'enjeux

14 nov. 2024

La transformation des locaux d’activités en logements : quelles tendances depuis une décennie ?

À l’heure où la proposition de loi n°2003 du 15 décembre 2023 visant à faciliter la transformation des bureaux en logements a été ralentie par la dissolution de l’Assemblée nationale mais devrait bientôt retourner dans la navette parlementaire, la recherche dont les premiers résultats sont partagés ici propose un état des lieux de l’activité de production de logements par la transformation de locaux d’activités. Combien de logements ont été créés via la transformation depuis une décennie en France ? Dans quels territoires sont-ils localisés ? Les tendances observées laissent-elles présager une montée en puissance de cette modalité de production résidentielle à l’avenir ?

Quelle(s) définition(s) de la transformation ?

Pour y répondre, une exploitation ad hoc des données publiques sur les autorisations d’urbanisme a été réalisée (Sitadel2, version « liste des permis de construire et autres autorisations d’urbanisme », SDES, mai 2024). À partir de cette donnée, un logement a été reconnu comme étant issu d’une transformation de locaux d’activités si :

  1. Une autorisation d’urbanisme (permis de construire, déclaration préalable, permis d’aménager) a été délivrée au cours de la décennie 2013-2022 sans être annulée par la suite,

        Et que celle-ci affiche quatre conditions cumulatives :

  1. Présence d’une surface d’habitation « issue de la transformation » (et que celle-ci représente plus de 50% de la surface totale créée),
  2. Présence initiale d’une surface d’activité « transformée » (et que celle-ci représente plus de 50% de la surface totale transformée lors du projet),
  3. Absence de surface « démolie » (ou dans une proportion inférieure à 25% de la surface des constructions existantes avant le projet),
  4. Hors cas de transformations sans changement de destination (cas identifiés lorsque la surface d’habitat issue de la transformation est la même que la surface transformée et que la surface d’activité issue de la transformation est la même que la surface transformée).

En ne posant pas a priori de limite concernant la taille ou le type d’acteurs à l’origine des projets, une telle définition intègre implicitement les grands projets, mais aussi les petits, les projets portant sur des locaux tertiaires, mais aussi les autres types de locaux d’activités, les projets des professionnels de la production urbaine tout comme ceux des particuliers. Cette première définition statistique large caractérise finalement la transformation de surfaces d’activités en logements (TAL).

Une deuxième définition plus restreinte peut être proposée en ne retenant que les cas de transformations de locaux tertiaires (bureaux, services publics, commerces, hébergements hôteliers) prévoyant au moins deux logements (une manière de mettre de côté les microprojets de transformation ne portant que sur un logement). Cette autre définition possible caractérise la transformation de surfaces tertiaires en logements (TTL).

Une tendance à la hausse qui ne concerne pas seulement les locaux tertiaires

Sur la base d’une définition large de la transformation (TAL), on peut identifier 89 160 projets autorisés en France sur la décennie 2013-2022. Ces projets ont contribué à transformer 15,6 millions de m2 de locaux d’activités pour produire 216 571 logements, soit environ 5% du nombre total de logements autorisés en France sur la même période.

Ainsi, plus de 21 000 logements ont été autorisés en moyenne chaque année entre 2013 et 2022 via la transformation de locaux d’activités. Mais cette moyenne masque une tendance de fond renvoyant à une augmentation tendancielle des volumes de logements en transformation (Figure 1).

Figure 1 – Évolution de la production de logements par transformation de locaux d’activités en France (TAL)

© Sitadel2 (SDES, mai 2024) - Réalisation : Auteurs/trices

Alors qu’au début des années 2010, le nombre de logements créés annuellement par cette voie oscillait autour de 18 000 unités, il dépasse 25 000 unités en 2021 et 2022. L’année 2023, dont les données ne sont pas encore complètes, devrait afficher des niveaux au moins aussi importants confirmant cette tendance à la hausse. Ceci est d’autant plus significatif que l’ensemble de la production de logements a accusé une forte baisse sur la période, notamment entre 2017 et 2021 en France.[1]

Fait notable, ces transformations ne sont pas exclusivement réalisées à partir de bureaux, ni même plus largement de locaux tertiaires, contrairement à ce que pourrait laisser penser les termes du débat public et parlementaire. La transformation de bureaux représente 24,5% des logements autorisés (Figure 2). En ajoutant la transformation de commerces (12,1%), de locaux à l’usage du service public (13,8 %), et d’hébergements hôteliers (9,3%), le total du volet tertiaire s’élève à 60% des logements en transformation. Une part importante donc mais pas exclusive. Moins connus, les phénomènes de création de logements par reconversion de locaux agricoles (22,2%) et d’entrepôts (10,1%) contribuent significativement à la production.

Figure 2 –Répartition de la production de logements issus de la transformation selon la typologie des locaux d’origine (TAL)

Remarque : valeurs exprimées en pourcentage du nombre de logements auto©Sitadel2 (SDES, mai 2024) - Réalisation : Auteurs/trices - Lecture : 22,2% des logements autorisés en transformation l’ont été dans des projets de transformation de locaux agricoles.

Sur un plan géographique, de très nombreuses communes sont concernées par le phénomène de transformation des locaux d’activités en logements (Carte 1). Les plus grands centres urbains : Paris, Lyon, Marseille, Toulouse, Nantes, Bordeaux, Lille, Strasbourg. Mais aussi un certain nombre de pôles urbains secondaires comme : Le Mans, Le Havre, Limoges, Orléans, Rouen, Poitiers, Reims, Blois, ou même Périgueux, qui affichent des volumes significatifs dépassant chacun les 1000 logements créés par transformation sur la période. De larges couronnes périurbaines, allant parfois jusqu’au rural, se distinguent aussi. C’est le cas de communes situées autour de Paris, Nantes, Lyon ou encore Rennes. C’est dire que, contrairement à ce que pourraient laisser penser les termes du débat public, le phénomène de création de logements par transformation ne concerne pas uniquement le centre des grandes métropoles. Il s’enracine dans une grande variété de territoires.

Carte 1 – La production de logements à partir de la transformation de locaux d’activités au sens large (TAL)

©Sitadel2

Une transformation de locaux tertiaires caractéristique des grands centres urbains

Si l’on retient désormais une définition plus restreinte de la production résidentielle par transformation (TTL), centrée sur la reconversion de surfaces tertiaires en excluant les microtransformations ne produisant qu’un seul logement, on identifie 11 470 projets autorisés en France sur la décennie 2013-2022. Ces projets ont contribué à transformer 5,8 millions de m2 de locaux d’activités tertiaires pour produire 108 975 logements (soit environ 2,5% du nombre total de logements autorisés dans le pays et la moitié du volume repéré pour la définition large TAL).

Ainsi, plus de 10 000 logements ont été produits en moyenne chaque année sur la période via la transformation de locaux tertiaires. Mais, tout comme pour la TAL, cette moyenne masque une tendance de fond renvoyant, là encore, à une augmentation tendancielle des volumes de logements produits en reconversion au cours du temps (Figure 3). Alors qu’au début des années 2010, le nombre de logements créés annuellement par cette voie oscillait autour de 8 000 unités, il dépasse 15 000 unités en 2021 et 2022. L’année 2023, dont les données ne sont pas encore complètes, devrait afficher des niveaux tout aussi importants. Une tendance à l’augmentation des volumes se dessine ici aussi.

Figure 3 – Évolution de la production de logements par transformation de locaux d’activités tertiaires en France dans des projets d’au moins deux logements (TTL)

©Sitadel2 (SDES, mai 2024) - Réalisation : Auteurs/trices

La géographie qu’esquisse ce sous-ensemble spécifiquement tertiaire du phénomène de transformation concerne bien moins de communes. Elle s’incarne dans une plus forte concentration spatiale. D’abord autour des grands centres urbains : Paris, Marseille, Lyon, Strasbourg et Bordeaux forment le haut du classement. Ensuite dans des zones littorales comme de Toulon à Nice par exemple, ou dans des zones frontalières comme le Genevois français ou l’axe Metz-Nancy.

Comment rendre compte de cette géographie (Carte 2) plus concentrée que la précédente (Carte 1)? Une hypothèse serait que le type de locaux transformés dans un territoire dépend directement de la composition du parc immobilier de ce territoire. Les grands centres d’emplois tertiaires comme Paris sont pourvus de bureaux qui fournissent potentiellement un gisement important de locaux tertiaires à transformer. Inversement, les zones rurales en sont moins pourvues, mais présentent plus de locaux agricoles servant de gisements potentiels à une transformation. Ceci expliquerait le resserrement territorial caractérisant cette production. Cette hypothèse fera l’objet d’analyses spécifiques dans la suite de la recherche. 

Carte 2 – La production de logements par transformation de locaux d’activités tertiaires en France dans des projets d’au moins deux logements (TTL)

Remarque : valeurs exprimées en nombre de logements autorisés par commune cumulés sur la période 2013-2022 – Filtre : seules les communes ayant autorisé plus de 2 logements sur la période ont été r©Sitadel2 (SDES, mai 2024) - Réalisation : Auteurs/trices.

Conclusion

En somme, deux points importants émergent de ces analyses quantitatives. Le premier est que la production de logements par transformation de locaux d’activités s’inscrit dans une tendance à la hausse avec une augmentation sensible des volumes autorisés au cours du temps, quand bien même la transformation représente encore une part limitée de la production totale de logements en France (de 2,5% à 5% selon la définition retenue).

Le deuxième est que le phénomène revêt une diversité bien plus grande que le laisse penser le débat public contemporain sur le sujet. Cette diversité renvoie aux types de locaux d’activités transformés qui ne sont que minoritairement des bureaux. D’autres types de surfaces, et notamment les surfaces agricoles, contribuent significativement à la production de logements par reconversion. Cette diversité renvoie aussi aux types de territoires. Le phénomène ne se limite pas seulement aux grands centres urbains, mais concerne une large variété de territoires, y compris périurbains et ruraux

Ce travail de recherche est réalisé dans le cadre de la Chaire Le Logement demain, chaire partenariale d’enseignement et de recherche soutenue par le ministère de la Culture au sein des écoles nationales supérieures d’architecture Paris La Villette et Paris Val de Seine. Il bénéfice du soutien financier de la Banque des territoires et de l’Institut pour la Recherche de la Caisse des Dépôts.

Notes

[1] SDES, Construction de logements - Résultats à fin août 2024, Statinfo n°674, Septembre 2024 (ici) .